Talk:Athéisme
Est-ce que les athées sont nécessairement(par la définition) matérialistes? - samarre
- J'aurai tendance à dire oui. Si Dieu n'existe pas, si l'âme n'est qu'un mythe, si il n'y a pas de puissance supérieure, de royaume caché et si la poussière retourne à la poussière, alors la seule explication possible pour tout ce qui existe, pour l'état actuel de l'univers est que rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme, que tout est dans la matière qui nous entoure, tout est là et rien ne nous échappe ou nous est caché (d'un point de vue physique j'entends, non cognitif), ce qui correspond d'après moi (et les définition que j'ai pu en lire surtout) à du matérialisme. Etant donné que l'athée nie fermement tout ce qui est irrationnel, irréel, alors il se base sur le réel, d'où matérialisme (à moins qu'il n'y ai quelque chose en dehors de la dualité réel-irréel, ce qui est difficilement concevable :D ) Stevo 15 avril 2007 à 01:57 (UTC)
- Mais apparemment je viens juste d'écrire une connerie, puisque dans le paragraphe Athéisme et rationalisme, il est dit "[Les athées] ne rejettent en rien l'existence de phénomènes irrationnels", mais j'ai un peu de mal à voir comment expliquer l'irrationnel à par en faisant appel au surnaturel et au divin, nié par les athées ("L'athéiste ne croit ni au surnaturel ni aux manifestations du divin, et explique de façon constructive et critique."), a moins que ce ne soit un irrationnel non-prouvé scientifiquement et prouvable scientiiquement, et dans ce cas j'ai pas dit une si grosse connerie puisqu'on en reviens au matérialisme. :) Stevo 15 avril 2007 à 02:04 (UTC)
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essayer de comprendre
que penser de cela ? :-)
sachant que l'athéisme (tel qu'il est pensé en France) est issu de la civilisation judéo-chrétienne (traduction de "judéo-chrétien" : "occidental"), comment penser que l'athéisme n'est pas une croyance, ni une religion (par le biais des idéologies qui s'en réclamaient : communisme, stalinisme, maoïsme, khmer rouge... au dernière nouvelle, l'anarchisme n'oblige pas d'être "athée", ce qui est le cas du communisme) ? Selon moi, l'athéisme est aujourd'hui une forme de néo-colonialisme (d'autant plus que dans la plupart des pays occidentaux, la pratique religieuse CONSCIENTE est réduite à néant, ou à des ruines : l'Occident est ressenti partout ailleurs dans le monde - : pays forcément colonisés - comme athée, et il l'est, rassurez-vous... enfoncer une porte déjà ouverte a au moins le mérite de surprendre, et je le dis sans ironie).
Depuis qu'il y a une humanité, il n'y a jamais eu de civilisation non-religieuse ; je ne vois pas en quoi et comment l'homme (et sa civilisation) sera un jour "non-croyant" : la croyance, c'est entre le doute et la certitude : il faut au moins CROIRE que la vie mérite d'être vécue pour continuer à vivre : aucune certitude, lorsqu'un enfant né, que sa vie soit plus heureuse que malheureuse, lui qui de toute manière est condamné à mort ; si l'on doute que sa propre vie ne mérite plus d'être vécue : on se suicide ; si l'on est pas croyant ni religieux de manière consciente, on le reste de manière INCONSCIENTE, car toute croyance et religion sont liées à une hiérarchie des valeurs, cette même hiérarchie étant liée à une civilisation particulière. Allez expliquer à l'ancien peuple colonisé par le "Blanc", que c'est toujours une même idéologie occidentale ("l'athéisme"), qui les sauvera de leurs erreurs... n'est-ce-pas, au fond, un discours particulièrement judéo-chrétien, de vouloir "sauver" (si ce n'est convertir) les "mécréants" qui ont forcément torts (on peut dissimuler cet état d'esprit par de la condescendance, mais sur le fond, il y a l'oubli que la logique peut constater ses limites, et que ce constat est en effet LOGIQUE), plongés dans leur "ignorance" ? Car l'athéisme occidental n'est-il pas une des nombreuses branches (ou tentacules) de la civilisation judéo-chrétienne ? Ou alors faut-il penser que l'Occident est La civilisation des civilisation, peuplée par les hommes les plus raisonnables (face à tous les sauvages idolâtres), et ce, de manière catégorique ? Je pensais que les excès du nazisme avaient permis de relativiser cette vanité ? Et pour info, ce n'est pas Hitler qui a inventé le "racisme scientifique", l'anti-judaïsme, ou les camps de concentration (inventés par les anglais en Afrique du sud) : c'est l'Occident du XIXe ; faut-il s'en étonner ? l'Occident est la plus grande des civilisations cannibales qui n'ait jamais existée, exterminant la civilisation de tout un continent (: l'Amérique), humiliant de façon spontanée jusqu'à pervertir celle d'Océanie, de l'Afrique, en considérant ses habitants comme des "échecs" (jusqu'à aujourd'hui ! exemple de ce mépris qui, pour donner "bonne" conscience, peut être condescendance : le musée des arts premiers, - quelle hypocrisie ; à quand la Joconde et le penseur de Rodin à Dakar ? - que cela soit mutuel !... ou même, est-ce vraiment respecter des artistes (dits "primitifs" : comme c'est puant ou fallacieux ! - universel tout en étant unique plutôt !) qui les avaient conçus, non pour un musée, un collectionneur, ou une gallerie, bref, pour le goût du fric et du snobisme intellectuel, mais pour l'amour du rite, du mythe, de la Magie, de l'Homme, de la Nature, de la Spontanéité...)
cordialement ; Dino Castelbou
Jean-louis GABIN : Parmi les articles sur lesquels je travaille en ce moment pour les Cahiers du Mleccha, il y en a un qui a été publié dans le Monde en 1973 sous le titre "Hindouisme Hippie" et dans lequel vous évoquez la question des drogues...
Alain DANIELOU : Dans toutes les religions il y a toujours eu une drogue considérée comme facilitant la concentration pour obtenir une certaine perception du monde et sortir de la matérialité des questions ordinaires. Mais c'est très différent d'utiliser des produits dans un but précis, comme le font les yoguis par exemple, et de les vulgariser par un usage absolument irrationnel, et alors extrêmement pernicieux.
JLG : Parce que dans ce cas c'est un usage contrôlé, dans un but de connaissance, et dans l'autre un refuge contre la réalité ?
AD : Oui. D'un côté c'est une façon d'aller plus loin dans la recherche, et de l'autre c'est une tentative de la fuir. C'est pour cela que l'usage des drogues était, et devrait toujours être, ritualisé. Il y a des rites du bhang, du haschich, dans les boissons qu'on en fait en Inde, qui montrent leur caractère sacré. Les drogues sont des substances chimiques mais aussi des entités magiques, liées à des êtres subtils. IL existe un génie de l'opium, comme il existe un génie du chanvre, que l'on doit rendre propice par des rites. C'est tout à fait autre chose que d'en prendre à tout bout de champ, et non dans des périodes de tranquilité, de réflexion. C'est toute la différence entre certains rites liés au vin, dans le christianisme, et l'alcoolisme. Il ne faut pas confondre des choses qui existent dans la nature, qui jouent un rôle dans l'équilibre naturel, et qui ont donc toute leur raison d'être, avec leur usage aberrant et irrationnel.
JLG : Lorsque vous dites qu'il faut une certaine tranquilité et un cadre protecteur pour pouvoir utiliser telle substance dans un but de recherche, est-ce qu'on ne pourrait pas le dire aussi à propos du yoga ?
AD : Le yoga est une technique pour arriver à développer certaines facultés et certains pouvoirs ; ça n'a rien à voir avec une gymnastique que les gens pratiquent à n'importe quel moment en pensant à leurs occupations habituelles. S'asseoir dans une posture de yoga, dans ce cas, ça n'a aucun sens.
JLG : Le yoga vise à développer quel genre de faculté ?
AD : Le yoga, c'est l'union avec des principes d'ordre supérieur. C'est au fond l'essentiel même de la religion. C'est la méthode pour établir des contacts avec le surnaturel. Dans les moments où on effectue ces exercices, on ne doit avoir aucune préoccupation, et l'essentiel est d'être dans un endroit isolé. On peut essayer alors de pratiquer cette espèce de méthode de méditation qui vous permet d'arriver à une certaine connaissance. Ca n'a rien à voir avec des exercices collectifs.
JLG : Une autre question que je voulais de poser, toujours à partir de ces textes sur lesquels je travaille, c'est à propos des préoccupations écologiques que vous exprimez depuis une vingtaine d'année, où vous parliez de pollution, de surpopulation, à une époque où c'était tout à fait minoritaire. Or aujourd'hui ces questions se sont terriblement aggravées, et j'aurai voulu savoir quel est le sens que vous donnez à cette aggravation.
AD : C'est une caractéristique de la décadence des civilisations de ne s'occuper d'un problème que lorsqu'il atteint un niveau catastrophique. On ne s'intéresse d'ailleurs qu'aux catastrophes. Il faut qu'il y ait des dizaines d'accidents sur une autoroute pour qu'on décide que peut-être ce virage était mal fait. Et c'est ainsi pour tout. Pour des raisons d'économie, d'intérêt, on ne sait pas. Mais tous les problèmes du monde moderne étaient prévus depuis longtemps, et connus. C'est extraordinaire justement qu'on néglige des risques comme ceux-là et qu'on attende des catastrophes pour s'en occuper.
JLG : Lorsqu'on lit vos textes sur l'organisation de la civilisation hindoue, sur le système des castes par exemple, qui témoignait de la recherche d'un certain équilibre entre les différents groupes, les différentes ethnies composant cette civilisation, et qu'on compare avec la situation qu'on connaît aujourd'hui, on a l'impression que les dirigeants politiques du monde moderne vivent dans l'imprévoyance la plus totale, n'ont aucune vision globale de l'intérêt de la société.
AD : Je crois qu'il s'agit surtout d'une ignorance de la nature des choses. Au lieu de considérer que le monde est bien fait, qu'il y a des raisons pour tout, et qu'il faut essayer de les comprendre et de s'y associer, on considère que le monde est mal fait, que nous sommes là pour tout réorganiser, avec des résultats qui sont évidemment ceux que nous voyons.
JLG : Un des obstacles à la compréhension de la civilisation indienne, qui empêche justement ceux qui essaient de réfléchir, de tirer éventuellement des leçons de cette civilisation, c'est l'image que nous en avons aujourd'hui. On nous parle de famines, de problèmes d'intolérance, toujours rapportés à la religion. Et on nous dit, ou sous-entend, que ces problèmes devraient être dépassés par la démocratie...
AD : La démocratie est un système politique qui n'a rien à voir avec les conceptions traditionnelles de la société. Aujourd'hui on présente la démocratie comme une panacée, ce qui est une excuse pour ne pas s'occuper des vrais problèmes. Le tableau qu'on a fait de la civilisation indienne a d'ailleurs été calculé et systématique. Cela faisait parti d'un programme pour christianiser l'Inde en présentant cette civilisation et cette religion comme aberrantes, monstrueuses, etc. Ca a été fait systématiquement et absolument sans tenir compte des réalités.
JLG : A propos de ce qui s'est passé autour de la mosquée d'Ayodhya, on a parlé dans les médias de l'émergence d'un intégrisme hindou et on a montré l'hindouisme comme une religion aussi intolérante et fanatique que les autres.
AD : C'est toujours une façon de présenter les problèmes à l'envers et de mettre sur le même plan des choses qui ne le sont pas. Ce ne sont pas les Hindous qui ont construits un temple sur un lieu sacré des Musulmans, qui d'ailleurs n'en avaient pas en principe, mais ce sont des Musulmans qui ont détruits un lieu sacré, et pour marquer leur mépris en quelque sorte, ont construits là -dessus une mosquée de manière à empêcher qu'on reconstruise le temple. C'est une histoire simple. Qu'il y ait une réaction, une fois... Il y a une chose dont on n'a pas l'air de s'apercevoir, c'est que les Musulmans refont des mosquées avec des églises que les Chrétiens avaint construites sur des emplacements qui leur étaient sacrés. Est-ce que Sainte-Sophie est un monument musulman à tout jamais, alors que c'est un chef-d'oeuvre de l'art chrétien ? Bien sûr, qu'il peut y avoir un certain fanatisme des gens pour rétablir des choses anciennes, pour retrouver des lieux sacrés. Mais est-ce que si les Incas prétendaient retourner au temple du Soleil, il faudrait le leur reprocher comme un outrage à la civilisation ?
JLG : Dans la littérature ancienne, l'Inde a été considérée depuis l'antiquité comme un pays de richesses fabuleuses. Or aujourd'hui elle est devenue synonyme de pauvreté et, dans l'esprit du public, c'est la société indienne elle-même, ses traditions, sa religion, qui génèrent la misère.
AD : On oublie simplement que lorsque les Européens sont arrivés dans l'Inde, le niveau de vie de ce pays était le plus élevé du monde. La richesse de l'Inde était proverbiale, et réelle. Ce n'était pas la richesse de quelques princes, c'était un bien-être général de la population dont on a bien la preuve par la floraison de la production artistique - ces milliers de sculteurs qui ont construit des temples. C'est un pays qui avaient des industries très avancées, qui faisait les plus beaux textiles du monde, qui était très riche, et que l'on a sciemment ruiné. Quand les Anglais ont mis des taxes à l'exportation des textiles indiens, lesquels étaient très recherchés, et entrée libre pour les textiles anglais, en quelques années ils ont ruiné l'industrie de l'Inde? Et ils ont fait cela sur tous les plans? Ce n'est pas du tout par hasard. Et ensuite on nous dit que ce sont les Indiens qui sont responsables de leur pauvreté. Pas du tout. C'est une série de gouvernements, d'abord islamiques - les conquêtes islamiques ont commis des destructions effroyables - et ensuite l'exploitation systématique par les Occidentaux qui ont réduit ce pays à la misère? Il suffit tout de même de regarder les statistiques de l'Histoire. C'est comme si vous disiez que l'état de misère des Indiens d'Amérique vient du fait de leur nature, de leur religion. C'est absurde, c'est un mensonge épouvantable.
JLG : Il y a un autre élément que l'on présente toujours comme négative lorsqu'on parle de l'Inde - je m'excuse de me faire l'écho de tout cela, mais c'est pour connaître vos arguments - c'est celui du statut des femmes, leurs droits, leur liberté sexuelle en particulier dans le monde traditionnel.
AD : Je crois que c'est la domination islamique qui a provoqué l'enfermement des femmes, qui n'existaient absolument pas dans l'Inde ancienne. Les hordes musulmanes et mongoles qui sont arrivées en Inde saisissaient les femmes et de les appropriaient, provoquant une réaction de retrait qui a fait, en effet, que les Hindous - pas seulement les Hindous, toutes les religions de l'Inde, les Jaïns, les Bouddhistes - ont cherché à protéger leurs familles et leurs femmes. Mais ce retrait des femmes atteint certaines classes de la société, parce qu'il y a toujours eu une place extraordinaire de la femme dans la société indienne. Ca existe encore. Si vous allez dans les villages, les femmes ne sont pas du tout enfermées, elles sont très libres, elles s'amusent beaucoup. Allez dans une foire d'un village indien, vous n'aurez pas du tout l'impression d'avoir affaire à de pauvres créatures humiliées et frustées. Tout ça, ce sont des images fabriquées sur de fausses données.
JLG : Malgré ces images négatives, il y a tout de même un mouvement qui porte depuis des années des jeunes vers l'Inde, mais alors on dit en Occident qu'il s'agit d'une fuite, que ce qu'ils vont chercher dans l'Inde, ils pourraient le trouver aussi bien dans les traditions occidentales.
AD : C'est vrai du monde gréco-romain. Ce n'est pas vrai du monde sémitique. Or le christianisme, comme l'islam, dérive du monde sémitique qui était très particulier et très restrictif, alors qu'au fond, si on remonte à des périodes préchrétiennes, la différence est très peu de chose. La vie en Grèce, en Egypte, et la vie indienne, c'est sur un certain plan la même civilisation. En revanche, si vous pensez à ce que représentait l'Egypte et ce que représente l'Egypte islamique : ça n'a rien à voir. Il y a eu une conquête qui a détruit totalement une civilisation pour la remplacer par une autre, avec des conceptions de la vie, de la recherche, de la société, complétement différentes.
JLG : Ce qui est frappant en effet, lorsqu'on visite l'Egypte, c'est d'abord que les temples sont vides - et lorsqu'on va en Inde on peut imaginer ce que devrait être la vie de ces temples - et d'autre part que la population égyptienne actuelle n'a aucunn respect pour l'Egypte ancienne, si ce n'est parce qu'elle attire les touristes.
AD : On a construit toutes les églises de Rome sur des sanctuaires anciens. Exactement comme cette mosquée qui recouvre une partie du temple de Louxor. C'est une façon de détruire les valeurs d'une société que, malheureusement, ensuite, on ne retrouve pas... Parce que, tout de même, ce qui nous reste des pensées les plus importantes, c'est essentiellement préchrétien. C'est Pythagore, c'est Aristote, c'est Platon. ce n'est pas Thomas d'Aquin, ni Saint Paul, qui peuvent servir d'inspiration pour une pensée philosophique et un mode de vie. Mais beaucoup de gens qui, aujourd'hui, sont soi-disant attirés par l'Inde fuient en réalité l'Occident. C'est un prétexte. s'il n'y avait pas l'Inde, ce serait autre chose. Ils n'y comprennent rien, ils y amènent leurs préjugés, et ils ne peuvent pas avoir de contact avec ceux qui pourraient leur apporter quelque chose.
JLG : Ils sont la plupart du temps orientés vers les ashrams, et conditionnés par toute une littérature qui présente une certaine idée de l'Inde.
AD : C'est comme tout, dans le monde moderne, il y a des sortes de mafias qui canalisent les bonnes intentions et s'en servent pour des fins de profit économique ou de pouvoir. La notion d'ashram, telle qu'on la présente aujourd'hui, n'a jamais existé. L'enseignement dans l'Inde traditionnelle ne peut pas avoir un caractère commercial. Donc on ne peut pas dire aux gens de participer aux frais (rire), ce n'est pas possible. C'est une situation contraire à l'esprit des Hindous. Ces ashrams sont en réalité des organisations commerciales, occidentales, sous couvert de faux-indianisme. Qu'est-ce que l'Inde peut y faire ? Sûrement pas grand chose.
JLG : Vous vous moquez de certains Occidentaux qui, pendant leurs vacances en Inde, dites-vous, s'échangent des adresses de bons gourous comme on s'échange des adresses de bons restaurants. Est-ce que leur recherche ne vous semble pas correspondre à quelque chose de sincère ?
AD : Pourquoi quelqu'un possédant réellement des connaissance et une certaine sagesse voudrait-il les transmettre à un Occidental plus ou moins déboussolé ? Pourquoi ? Je crois que les motivations ne sont pas légitimes. Si elles l'étaient, s'il s'agissait de gens qui cherchaient vraiment, comme à certaines époques, dans le monde chrétien, on a essayé de retrouver la sagesse antique... Mais là il ne s'agit pas de quête, il s'agit de gens qui se croient tellement importants qu'ils estiment que des personnes possédant de véritables connaissances sont à leur disposition. S'ils avaient des qualifications pour les obtenir, ils les trouveraient. C'est différent. Tous ces problèmes sont pris à l'envers.
JLG : A propos de poésie, lorsque vous citez l'Atharva Veda qui établit des correspondances entre les couleurs, les sentiments, les notes de musique, cela rejoint tout à fait la théorie des Correspondances de Baudelaire. Mais cette théorie est présentée en Occident comme une fantaisie "poétique" dans le sens péjoratif que l'on peut donner à ce mot, alors que, d'après ce que vous dites, elle fait partie des sciences traditionnelles hindoues ?
AD : Ces théories correspondent à une recherche sur la nature du monde. La façon dont a été construite la matuère et la façon dont nous avons des sens pour la percevoir sont forcément liées. Cela fait partie d'un système. Les conceptions cosmologiques cherchent à retrouver les facteurs dominants dans toutes les formes de la Création. C'est pourquoi elles mettent en évidence des connexions et des correspondance entre des domaines apparemment séparés. Cette conception des correspondances n'est pas seulement indienne : les Grecs avaient la même idée quand ils considéraient que la musique, la recherche des rapports numériques entre les sons, était la clé des sciences. Ce n'est pas du tout une fantaisie, c'est vrai... Et probablement qu'en poussant un peu les recherches, aussi bien sur la nature de la matière dans ses formes microscopiques que dans ses formes astronomiques, on arriverait à des données de fond d'ordre mathématique qui ont été considérées depuis toujours dans la cosmologie hindoue.
JLG : Pensez-vous que, si le savoir traditionnel de l'Inde parvenait à être connu et étudié dans le monde moderne, il pourrait conduire à une nouvelle Renaissance ?
AD : L'Inde souffre de l'occupation étrangère depuis presque plus d'un millénaire. Et le trésor de connaissances qu'elle représente, qui a disparu en Egypte et en Occident, est toujopurs vivant mais devient de plus en plus caché puisqu'il est persécuté et incompris. Donc on ne sait pas si l'Inde pourra un jour trouver des circonstances qui permettront à sa pensée et à sa civilisation de refleurir, comme c'est déjà arrivé deux ou trois fois dans les périodes historiques, quand le shivaïsme a été redévouvert, s'est de nouveau manifesté. Il était occulté pendant plusieurs siècles, et puis tout d'un coup il a connu une effervescence dans le développement de sa pensée, des arts, de la philosophie, de la vie sociale, extraordinaire. Ca peut très bien arriver à nouveau si le noyau secret reste vivant.
JLG : Votre oeuvre, par rapport à cette situation, qui peut paraître pessimiste, est allée dans le sens, justement, de faire connaître et respecter par le monde occidental des valeurs qui étaient celle de l'Inde. Vous avez réussi à ranimer la musique traditionnelle, qui semblait condamnée par le modernisme, et vous n'avez pas craint de défendre des notions très attaquées, comme le polythéisme ou le système des castes. Pensez-vous que ce rôle que vous avez joué pourrait être poursuivi par d'autres ?
AD : Ca, j'ai eu la chance, par hasard, parce que je me trouvais là et que j'étais sans préjugés, sans ambition, de pouvoir apprendre certaines choses de certaines gens qui appartenaient au plus haut niveau de la tradition indienne. Et ce sont eux qui m'ont dit qu'il serait utile que j'essaie de présenter hors de l'Inde le vrai visage de cette civilisation, parce que l'attitude des gens envers l'hindouisme était perverse et nocive. Est-ce que cela pourrait arriver à d'autres ?... Oui, parce que, dans un sens, si quelques personnes changent leur point de vue et comprennent où sont les vrais valeurs, c'est une chose qui n'est pas négligeable... Ca ne veut pas dire qu'on peut sauver le monde actuel. Ce qui est important c'est peut être de sauver quelque chose de l'hindouisme en lui évitant des persécutions excessives. Ce n'est pas du tout de sauver l'Occident, qui suit son cours malencontreux, et n'a pas l'intention de la changer.
JLG : En même temps, ne vous paraît-il pas invraisembable que l'Occident reconnaisse tout d'un coup comme positives les valeurs qui ont maintenu la civilisation indienne pendant des millénaires, c'est-à -dire qu'il désavoue sa propre histoire depuis quatre ou cinq cent ans ?
AD : Ce serait pourtant la seule chose à faire. Il suffirait d'arrêter le processus, de retrouver les valeurs de civilisation qui étaient celles de l'Occident préchrétien, la présence des forces surnaturelles, que l'on nie, des rites qui permettent l'harmonie entre les dieux et les hommes, le respect de la vie et des espèces, c'est-à -dire une attitude envers le monde qui est simplement du bon sens. Si les Hindous ont conservé certains aspects, ça ne veut pas dire qu'il faut le faire pour nous sous cette forme. Simplement, c'est une question de sagesse, de raison, d'autoprotection. si l'on s'attache à de faux systèmes, à ce qu'on appelle des idéologies, il n'y a pas de raison d'en sortir...
JLG : Je pense qu'il y avait des rites agrestes encore vivants dans les campagnes tout près de nous. Dans les Pyrénées, dans les années trente, il a fallu une ordonnance de l'évêque de Tarbes pour interdire les dances "obsènes" autour des feux de la Saint Jean, c'est-à -dire les rites liés au solstice. A la même époque, toujours dans les Pyrénées, les autorités ecclésiastiques ont fait abattre les pierres phalliques préhistoriques, extrêmement réalistes, qui étaient encore vénérées par les villageois. il en est resté quelques-unes, heureusement, et d'autres ont été surmontées d'un croix.
AD : Le catholicisme a d'abord essayé d'assimiler et de christianiser les rites, les fêtes, les lieux sacrés, et dans un second temps de les désacraliser. C'est une stratégie de domination qui a, je crois, toujours été pratiquée par les religions prophétiques-missionnaires, qui ont voulu imposer des façons d'être et de penser. Le bouddhisme a fait ça pendant un temps en Inde. Puis ça a changé complétement et on est revenu, sous d'autres noms, à l'ancienne religion, aux anciens symboles, aux anciens dieux.
JLG : Mais en Inde des ordres monastiques avaient maintenu vivantes les connaissances secrètes, ce qui en Occident, pour autant qu'on sache, n'a pas eu lieu.
AD : En Occident il y a eu des persécutions effroyables, tous les vestiges des l'ancienne croyances, les anciennes organisations, les Templiers... Plus près de nous, au début de la Renaissance, l'Acadamia Romana a essayé de retrouver la sagesse antique, mais elle aussi a été massacrée. Il n'en reste que quelques noms, mais on ne connaît pas le résultat éventuel de ses recherches. Si des groupements initiatiques authentiques existent en Occident, ils sont bien secrets. Parce que toutes les organisations qui prétendent maintenir certaines connaissances, comme la Maçonnerie, les Rose-Croix, sont des reconstitutions falsifiées. Il subsiste quelques éléments mais pas du tout une continuité initiatique et de véritables connaissances... Peut-être reste-t-il, je ne sais pas, au Caucase ou en Arménie quelques sectes qui ont maintenu un savoir. Mais on traite les choses avec tellement d'irrespect.
JLG : Un élément peut-être encourageant, c'est qu'aujourd'hui on arrive à comparer. On fait de l'ethnologie comparée, de la religion comparée : tout cela n'existait pas il y a cinquante ans.
AD : Oui, mais à condition de ne pas tout mettre sur le même plan, et de ne pas juger des valeurs d'une religion en termes d'une autre. C'est là qu'il est très difficile pour des Chrétiens de perdre leur superbe. C'est une question d'humilité : l'humilité est un élément fondamental de toute recherche. Malheureusement, ce n'est pas une vertu très répandue. Si on étudie un système pour retrouver sa vérité, c'est une chose. Si on l'étudie comme une curiosité bizarre, ethnologique, ça ne mène à rien...
JLG : Il y a aussi ce que vous dites à la fin du Kali Yuga, par des explosions pareilles à mille soleils. C'est stupéfiant que cela ait été écrit bien avant notre ère, et qu'aujourd'hui on en soit si proche ?
AD : C'est d'ailleurs écrit : quand le poids des hommes devient trop pesant pour la Terre, les dieux leur inspirent le moyen de leur destruction.
JLG : C'est écrit ?
AD : Dans les Pourana, bien sûr. Et dans beaucoup d'endroits on trouve cette notion du poids excessif des hommes.
JLG : C'est cette idée qu'il y a eu plusieurs humanités ?
AD : Pour les Hindous, nous sommes la septième humanité. Déjà six fois celle-ci a été complétement détruite et on a recommencé à zéro. D'un côté, Platon parle de l'Atlantide. Mais les açouras sont aussi une humanité qui a été complétement anéantie.
JLG : Pou en revenir au monothéisme, pourquoi dites-vous que c'est une simplification ?
AD : Dans les religions abrahamiques, on a réuni tous les aspects maléfiques dans un entité qu'on appelle Diable, et tous les aspect bénéfiques sous une fiction qu'on appelle Dieu. on confond un être extérieur au monde, qui pense le monde et le crée, avec toutes les manifestations par lesquelles il organise la Création. On prétend que ce dieu Créateur s'occupe de savoir comment vous mangez, comment vous faites l'amour, comment vous ordonnez la société : c'est complétement absurde ! C'est une simplification de ce qui est nécessairement une hiérarchie, qui existe aussi dans la matière, qui existe dans les espèces, comme elle existe dans les forces qui organisent le monde. C'est là que le monothéisme est complétement irréel. Le résultat, évidemment, c'est qu'on ne peut aboutir à aucune solution des véritables problèmes du monde. On se trompe d'échelle, on se trompe de niveau.
JLG : Et on a attribué au diable tout ce qui était révéré dans les anciennes civilisations : les rites extatiques, érotiques, les bacchanales. Même les cornes, symbole de la royauté sacrée, comme vous l'indiquez, ont été diabolisées, et le trident de Shiva. Finalement vous pensez qu'une attitude peut-être simplement polémique au départ, pour affirmer le christianisme en tant que nouvelle religion, est devenue une condamnation dogmatique des forces de la Nature qui entraîne le monde à la destruction ?
AD : Evidemment. D'ailleurs on ne voit pas comment il pourrait y avoir des dogmes dans le créé. Qui pourrait définir les formes d'action qui sont conformes à l'ordre du créé ? Avec des dogmes, on invente des choses généralement aberrantes qui sont tout à fait contraires à ce que devrait être une société humaine par rapport aux sociétés animales ou végétales.
JLG : Dans lesquelles il n'y a pas de dogmes, mais il y a des lois.
AD : Oui ! Ce qui n'est pas la même chose !
JLG : Parce que les lois peuvent être exprimées sans a priori, comme vous dites que certains savants modernes s'approchent davantage de la réalité du monde que les monothéismes ?
AD : Parce que tout ce qu'on peut faire, c'est essayer de comprendre. Si l'on ne comprend pas la raison d'être du monde, est-ce qu'on peut prétendre y faire des modifications ? C'est la connaissance qui est la base de toute recherche valable, et finalement, de toute religion. Mais ce n'est pas cela qu'on appelle "religion" : c'est le contraire.
JLG : En tout cas, cet exercice de l'intelligence, cet effort de compréhension, c'est ce qui rend tellement intéressant l'hindouisme tel que vous le présentez. La question que l'on pourrait se poser c'est si réellement il en a toujours été ainsi, si l'hindouisme, par nature, a toujours cherché à comprendre, a toujours cherché à favoriser la liberté de la spéculation métaphysique et scientifique, ou s'il s'agit d'un aspect ou d'un moment particulier auquel vous avez eu accès ?
AD : Ce c'est difficile à dire. Je crois qu'il y a toujours eu des tyrans et des soi-disant prophètes, qui ont voulu imposer aux gens leur façon de voir dans des buts de domination. Et c'est pour ça, au fond, que tout ce qu'on appelle religions aujourd'hui sont des religions prophétiques, qui n'essaient pas du tout de comprendre le monde, la nature de sa manifestation, et finalement la nature du divin... A bien des égards, on devrait les appeler plutôt des anti-religions... Il se trouve que ce que l'on sait de certaines explications qui ont fleuri dans l'Inde à partir de périodes très anciennes était orienté vers cette recherche. C'est pourquoi aussi bien le yoga que le sâmkhya, que tous les autres aspects de la philosophie indienne font partie des darshana, selon lesquels chaque aspect de la recherche a ses limites. Aucune formede recherche ne peut mener à l'absolu, parce que le plan de l'univers et des mondes n'est pas à la portée de notre esprit. Alors, il y a cette série extraordinaire de méthodes qui sont diverses, qui sont coordonnées, qui aboutissent à des conclusions différentes : certaines méthodes aboutissent à une divinité, à un être qui organisent les choses, d'autres sont athées, et en les suivant, vous ne pouvez arriver à aucune conception du divin. La seule conception considérée comme aberrante est d'estimer que l'univers est le fruit du hasard. On peut tout à fait considérer que la cause du monde est hors notre portée, qu'il vaut mieux pas s'en occuper, mais on ne peut pas affirmer qu'elle n'existe pas. Le monde moderne n'a pas cette prudence - ou ce réalisme -, ce qui l'entraîne à ce manque de respect envers le créé, qui n'a jamais été le fait d'aucune civilisation traditionnelle. Donc, il y a eu, en effet, dans l'Inde, une pensée extraordinairement évolué. Qu'une pensée similaire ait pu exister ailleurs, c'est probable. Mais nous n'en savons rien, parce qu'il n'y a que dans l'Inde qu'on a conservé des traités - qui ont d'ailleurs été transcrits à partir de connaissances beaucoup plus anciennes. Par conséquent, on eput dire que cette sorte de recherche fondamentale, qui est le but de la connaissance, remonte à des périodes très anciennes de l'humanité.
JLG : Ce qui est frappant aussi dans cette recherche fondamentale, c'est que le corps est y soit volontier associé, qu'il n'y a pas cette dichotomie que l'on constate presuqe toujours en Occident. Dans le yoga, ou dans le tantrisme tel que vous le présentez, il semble que le corps soit à la fois le moyen de connaissance et l'image de l'univers ?
AD : Le corps est notre seul instrument. Si nous avons un système nerveux, des sens de perception, une organisation cérébrale assez remarquable, ceci est lié à notre aspect physique, qu'on ne peut pas isoler de l'aspect mental, parce que si on vous coupe la tête, le corps, - le cerveau, cesse de penser, c'est fini. (Rire). Cette séparation du physique et d'un soi-diant esprit est une chose complétement irrationnelle. C'est d'ailleurs pourquoi on arrive à des conceptions comme la réincarnation qui suppose que, en dehors du corps, il peut rester une mémoire, une personnalité. Ce n'est pas réaliste.
JLG : Vous niez la réincarnation, tel que pour un Hindou elle existe ?
AD : justement : non ! Mais je souligne cette mauvaise interprétation au sujet de la réincarnation que les Occidentaux font généralement : quand le corps meurt, il meurt, et l'esprit, - oeuvre du cerveau, meurt aussi, pour se dissoudre dans l'univers ; la seule chose qui reste, ce sont nos actions, - qui elles, ont toujours des conséquences même après notre mort physique. Ce qui se réincarne dans l'hindouisme, c'est l'atman, l'âme, ou le Soi, quelque chose qui n'est pas l'esprit, car l'esprit fait corps au corps, si je puis dire : l'âme demeure, indifférente au temps, au corps, dans lesquels, en tant que simple principe vital, elle s'incarne. Le corps, comprenant l'esprit, est toujours prisonnier d'une forme de dualité : féminin, masculin par exemple. L'âme, elle, est "neutre", universelle tout en étant singulière à chaque être vivant, aussi minuscule ou gigantesque soit-il : l'atman, c'est le principe de la Vie, l'essence de l'existence dans le cycle des renaissances. Dans la pensée hindoue, nous devenons ce que nous accomplissons, - c'est la loi du karma : l'existence est un miroir ; les êtres n'échappent pas au reflet de leur vie ; d'où la réincarnation du Soi. il n'est pas réellement souhaitable de se réincarner - sauf si nécessaire -, mais de se réaliser : c'est le but de toute les philosophies panindiennes ; échapper au devenir des actes égoïstes et à son propre conditionnement, - pour enfin être dans et pour l'Être. C'est une recherche strictement intime, - et qui, étant intime, ne peut être que sincère et authentique.
JLG : ce qui est amusant, c'est que les penseurs qui sont arrivés à des conclusions semblables aux vôtres, en ce qui concerne le corps, en Europe, ce sont les matérialistes.
AD : Mais le matérialisme fait partie des techniques, des darshana, "points de vue", des méthodes de recherche hindoues. La première chose, c'est de se débarrasser des idées aberrantes. Si vous ne commencez pas par nettoyer un système basé sur des conceptions complétement erronées, vous ne pouvez pas aller plus loin . Le matérialiste, pour commencer, cherche à se libérer de ce fardeau des fantasmagories prétendument philosophiques et religieuses. A ce moment là , le matérialiste peut être aussi une méthode. Et c'est même peut-être la seule qui nous soit accessible en tant qu'Occidental pour comprendre l'hindouisme. Il est d'ailleurs assez curieux de constater que dans le psychisme humain la croyance en la réincarnation - c'est-à -dire du non-néant pour le Soi -, lui permet de vivre au mieux sa vie comme si elle était la seule en définitive... ! C'est un paradoxe qui s'explique facilement : ne plus voir la vie comme ayant une fin, mais une éternité déjà réelle, - puisque vécue au même moment -, enlève à l'esprit la pression énorme de "rater sa vie" ; avoir peur de rater sa vie, c'est la meilleure façon d'échouer et d'avoir des regrets bien amers ! La peur n'aide pas, mais la confiance dans la suprématie de l'être, oui.
JLG : Une autre méthode accessible en Inde, si j'ai bien compris, dans le cadre du tantrisme, c'est l'érotisme, qui peut être une voie de connaissance ?
AD : Tout peut être un instrument de connaissance. Vous pouvez prendre n'importe quel aspect de la réalité, comme vous prenez dans n'importe quel aspect de la réalité, comme vous prenez n'importe quelle cellule de votre corps pour arriver à retrouver l'ADN, les éléments, le code qui sert à leur formation. Et bien c'est la même chose si vous prenez n'importe quel aspect de l'existence et que vous le poussiez au maximum. Vous arrivez nécessairement à la même réalité.
JLG : Mais est-ce que la dialectique, telle qu'elle a été formulée par Hegel en Allemagne, et qui a ouvert la voie au matérialisme, n'a pas été einfluencée par la pensée hindoue ? Il y a eu aussi les préromantiques allemands comme Hölderlin...
AD : Oui, il y a eu une influence très importante de la pensée indienne, dont on a eu connaissance en Allemagne bien avant la France et l'Angleterre. Cette connaissance a pu donner une sorte d'impulsion. Mais il n'y avait pas d'études assez poussées, pour des raisons matérielles, et les philosophes n'avaient accès qu'à des connaissances fragmentaires, des résumés de certains textes fondamentaux.
JLG : Donc ils n'avaient pas accès directement aux textes, ni surtout à la transmission orale, c'est-à -dire à ce que vous nous apportez et que personne avant vous, peut-être, n'avait amené jusqu'à nous ?
AD : Et bien si, il y a eu quelques personnages. Mais je ne connais que l'Anglais Sir John Woodroffe. Parce que le système indien est construit de telle sorte que les textes ne sont que des aide-mémoire. Et leur explication est de tradition orale. Précisément, un aspect qui est complétement laissé de côté en Occident, c'est l'importance et les méthodes de la transmission orale, qui fait que beaucoup de textes que nous connaissons ont été construits à l'époque où il n'y avait pas d'écriture. C'est pourquoi ils ont des formes poétiques et rythmiques qui permettent de les mémoriser. Nous avons une telle superstition de l'écrit que nous ne nous rendons pas compte que la pensée la plus avancée fonctionne en dehors de l'écriture. En fait, l'écriture n'est qu'une façon de communiquer. Mais toute l'évolution d'une pensée, même scientifique, toutes les découvertes, sont faites mentalement. Et déjà le fait de les transcrire les limites. La chose extraordinaire c'est ce magasin de connaissances qui peut exister dans un cerveau humain et qui fait que, au moment où on en besoin, on trouve tout d'un coup le texte qui vous explique ce que vous cherchez. Mais si vous n'avez pas ce bagage vous manquez d'éléments pour formuler votre pensée, et l'améliorer.
JLG : D'ailleurs cette idée que le langage n'est que la traduction approximative d'une pensée préexistante - ce qui nient certaines théories modernes pour lesquelles en dehors d'un langage la pensée n'existe pas - c'est bien le tourment des poètes.
AD : Toute la formation du langage, les quatre stades du langage dont parlent les Indiens, cette espèce de notion vague de quelque chose, dans laquelle tout d'un coup une lumière apparaît, qui est une idée, et ensuite la façon dont on cherche à l'exprimer par des mots, puis ensuite à la transmettre d'une manière orale ou écrite, tout cela est un processus assez curieux. Et les communications de pensée, par exemple quand on se comprend avec un animal se font sur un plan de pré formulation, avant d'avoir trouvé les mots.
JLG : Et peut-on imaginer aussi que, quelquefois, il n'y ait pas de mots ?
AD : Et comment ! C'est déjà tellement difficile de passer d'une langue dans une autre ! Justement, avec un vocabulaire aussi raffiné et aussi étudié que celui du sanskrit, pour trouver les mots dans les langues occidentales capables d'exprimer les mêmes notions, on a beaucoup de difficulté. On est tout le temps obligé d'utiliser des périphrases pour exprimer des choses qui sont très simples.
JLG : C'est ce qui rend si fastidieuse la lecture des traductions de sanskrit...
AD : Et alors, en plus, si les traducteurs n'ont pas la véritable formation, ils ne comprennent pas vraiment le poids des mots. Ils utilisent des termes qui ressemblent un petit peu, et finalement, à force d'approximations, la traduction n'a plus de sens.
JLG : C'est le problème de beaucoup des traductions universitaires, qui sont des traductions littérales.
AD: Soi-disant littérales, mais où chaque mot est à côté de la plaque.
JLG : Et, si j'ai bien compris, les mots en sanskrit peuvent avoir des sens différents selon le contexte où on les emploie ?
AD : On dit que , théoriquement, chaque mot sanskrit a trente-deux sens, adaptés aux trente-deux sciences fondamentales. C'est vrai, car il s'agit de structures parallèles, et quand vous parlez de musique, ou d'astronomie, ou de médecine, forcément, vous parlez du même univers. Et à ce moment là , dans un système comme le système occidental où il n'y a pas de centralisme de la pensée, on ne peut pas employer le même mot dans des sciences qui, pour nous, ont des vocabulaires différents.
JLG : C'est ce qui explique que linga puisse se traduire par signe, par phallus, par symbole divin...
AD : Bien sûr. En fait, le mot linga veut dire signe de reconnaissance. Il se trouve que, si on veut savoir si un bébé est mâle ou femelle, c'est à ce signe là qu'on le reconnaît. Donc ça a pris dans ce cas-là le sens d'organe viril. Mais ça n'a pas ce sens dans d'autres sciences. Et quand on dit que l'Univers est le signe qu'il y a Créateur, un des signes visibles de l'Être qui l'a créé, évidemment, c'est un Linga. De là à considérer que l'univers a la forme d'un phallus humain, c'est un petit peu... prendre les choses pas tout à fait pour ce qu'elles sont !