Un mot sur l'affaire Black-Hogshire
Depuis un quart de siècle, Robert Black s'est taillé en son pays une réputation de provocateur et de "marginal parmi les marginaux". Les lecteurs français ont pu apprécier la logique naïve mais entière de cet utopiste sarcastique en lisant son pamphlet lafarguesque (publié l'an dernier dans la présente collection) Travailler ? moi, Jamais ! , où il invoque toutes les raisons subjectives du monde pour refuser l'esclavage salarié. Par ailleurs, il s'est déclaré le censeur de son propre camp et en a tiré les conséquences dans son Anarchy after Leftism, (Columbia Alternative Library, 1997) où il rejette l'anarchisme quasi-institutionnel de Murray Bookchin et consorts.
On sait qu'il a été mêlé à de nombreuses querelles dont il a lui-même tenu la très partiale chronique. La dernière en date remonte à 1996 et dure encore tant elle a scandalisé et divisé le public libertaire américain.
Se rendant à Port Townsend, dans l'Etat de Washington, pour y rencontrer Mike Hoy, qui dirige l'atypique maison d'édition Loompanics, Black fait étape à Seattle, comme convenu avec Hoy, chez un certain Jim Hogshire. Ce dernier à publié chez Loompanics deux livres aux titres évocateurs et même, comme on va voir, prémonitoires : Opium for the masses (un manuel de culture du pavot) et You are going to prison (un guide de la survie en millieu carcéral). Dans le cours d'une longue discussion (généreusement arrosée pour l'un d'infusions d'opiacées et d'amphétamines, pour l'autre de bière pasteurisée), une dispute s'élève entre les deux éminents auteurs. Hogshire fait l'apologie de L'islam, exhale sa haine des juifs, ce qui irrite Black. Vers deux heures du matin, Hogshire décide de foutre Black dehors. Celui-ci, qui n'a nulle part où aller, remballe ses affaires. Trop lentement, au goût du malingre Hogshire qui se jette sur le volumineux polémiste, lequel le repousse d'une pichenette. Hogshire exhibe alors un fusil d'assaut M-1 et braque Black. La scène risque de mal tourner. D'autant que Black s'empare de la compagne d'Hogshire et s'en sert comme d'un bouclier humain. il était une fois dans l'Ouest...
Après intervention des voisins, Black finit par s'en aller. il s'aperçoit le lendemain que l'éclat est déjà connu de son éditeur, Hoy, qui l'en blâme et refuse de le recevoir, rompant toute relation avec lui, ce qui porte l'amertume de Black à son comble. Il se persuade qu'il a été victime d'un guet-apens, qu'on ne l'a attiré à Seattle que dans le dessein de l'humilier, voire de le supprimer. Cette vision des choses le pousse, de retour sur la côte Est, à commettre un acte indéfendable : il balance Hogshire aux flics. Il ne le fait pas sournoisement, sous couvert de l'anonymat, il le fait ouvertement, publie partout sa lettre de dénonciation, en même temps que sa version de l'histoire et l'exposé de ses motivations ; mais enfin il le fait.
Conséquence : une perquisition chez Hogshire permet aux flics de saisir des armes, des explosifs et de la drogue. Hogshire, libéré sous caution, doit se mettre en cavale. Autre conséquence, non moins fâcheuse : une longue et confuse polémique s'élève de toutes parts, farcies de faux problèmes et de rodomontades, où les bisbilles des coteries le disputent aux considérations morales, sous l'oeil goguenard de la police et des medias.
S'il est difficile de défendre Hogshire, qui se défend fort mal lui-même (à l'inverse de Black, rompu à l'art de l'insulte et de la raillerie), il n'en reste pas moins que Black a commis, pire qu'un crime, une faute - et nous nous devions d'en informer le public français à l'occasion de la publication de ce second opus des oeuvres du mauvais génie de la scène radicale américaine.
Sans plus de commentaires.
Disons seulement qu'il a été mentionné tant de détails scabreux sur cette affaire, laquelle a fait répandre tant d'encre et de boue, qu'on en pourrait faire un roman... noir, pour ne pas dire policier.
JVD