Ecole

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En France, l’école est une institution chargée d’instruire les enfants et les adolescents pour leur permettre d’accéder à des qualifications socialement reconnues, d’une part, et pour contribuer à en faire des citoyens libres, indépendamment des pressions d’un système économique capitaliste, producteur d’inégalités et dangereux pour la démocratie, d’autre part. Cette institution a pour fonction d’émanciper l'individu.

Le système scolaire français repose sur la Constitution de 1958 dont le Préambule renvoie explicitement et directement au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat » (article 13).

La Nation garantit aux enfants l’instruction. L’enseignement public, gratuit est laïque. Il est organisé par l’Etat. L’école française est donc une école républicaine. Certains groupes d’extrême-gauche en ont conclu que si Jules Ferry, colonialiste, bourgeois, avait mis en place l’école gratuite, laïque et obligatoire, alors cette école ne pouvait être qu’injuste, bourgeoise et devait être modifiée[1]. Il y a dans ce point de vue assurément des aspects justes mais qu'il convient de nuancer.


L'école, une victoire du monde ouvrier

L’école laïque, gratuite et obligatoire est une victoire du monde ouvrier arrachée à la bourgeoisie. Les ouvriers durant tout le XIXe siècle se sont battus pour que leurs enfants ne travaillent pas et aient droit à une instruction similaire à celle des bourgeois. Ainsi Joseph Benoît, canut lyonnais, député du Rhône, déclarait lors du débat sur la loi Falloux, en février 1850 : "Je demandais que l’instruction primaire fût gratuite, et qu’il fût établi dans chaque chef-lieu de canton un centre d’enseignement où tous les enfants recevraient l’instruction, où il serait possible d’intégrer ceux éloignés ; de prendre à la charge de l’Etat ou du canton l’entretien ou la nourriture de ceux qui, trop pauvres ou sous différents prétextes, ne peuvent pas fréquenter les écoles. Pour cela faire, d’après mes calculs, il suffirait d’une sommes de 35 à 40 millions de francs, beaucoup moins que ne coûte l’entretien du clergé".

Durant la Commune s’est constituée, à l’initiative d’instituteurs, de professeurs et de parents d’élèves, une société appelée L’Education nouvelle dont les délégués adressèrent une requête aux membres de la Commune. Ils y était dit notamment : « La qualité de l’enseignement étant déterminante tout d’abord par l’instruction rationnelle, intégrale, qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie politique et sociale, la société de L’Education nouvelle émet le vÅ“u que l’instruction soit considérée comme un service public de premier ordre ; qu’en conséquence elle soit gratuite et complète pour tous les enfants des deux sexes, à la seule condition du concours pour les spécialités professionnelles. Enfin, elle demande que l’instruction soit obligatoire, en ce sens qu’elle devienne un droit à la portée de tous les enfants, quelle que soit sa position sociale, et un devoir pour les parents ou pour les tuteurs, ou pour la société »[2] . Pour les Communards l’Ecole était un droit. Elle devait instruire tous les enfants. Jules Ferry, homme de la bourgeoisie industrielle, a mis en place l’école laïque, gratuite et obligatoire, à cause du rôle grandissant du mouvement ouvrier. Il a répondu aux revendications scolaires exprimées sous la Commune car la bourgeoisie, inquiète de ce mouvement populaire, voulait calmer le jeu. On ne peut donc pas interpréter l’œuvre scolaire de Jules Ferry comme une arme contre le prolétariat. Bien au contraire, c’est une conquête démocratique gagnée par le peuple au même titre que le suffrage universel ou les droits syndicaux.

Les anarchistes et l'école

Au XIXe siècle, Bakounine déclarait : "Comme enfants, jusqu'à l'âge de leur émancipation, ils [les enfants] ne sont libres qu'en possibilité, et doivent se trouver par conséquent sous le régime de l'autorité. [...] Elle [l'école] doit former des hommes, tout d'abord, ensuite des spécialités ouvrières et des citoyens, et à mesure qu'elle avancera avec l'âge des enfants, l'autorité devra naturellement faire plus de place à la liberté, afin que les adolescents, arrivés à l'âge de la majorité, étant émancipés par la loi, puissent avoir oublié comment, dans leur enfance, ils ont été gouvernés et conduits autrement que par la liberté."[3]

La massification scolaire

Le niveau d’éducation a connu une élévation considérable depuis les années 1950. L’âge moyen de fin d’études est passé de 13 ans et demi en 1948 à 18 ans et demi aujourd’hui. Mais, selon Louis Chauvel, il y a eu, en fait, deux explosions scolaires : « la croissance scolaire moyenne de la population active dissimule deux explosions scolaires successives : de la première sont nés ceux nés entre 1937 et 1848 (scolarisés pour l’essentiel à la fin des années cinquante et dans les années soixante pour ceux qui firent des études supérieures), de la seconde ceux venus au monde après 1968, qui connaissent aujourd’hui une seconde explosion, dont on ne peut savoir jusqu’où elle ira ; l’âge médian de fin d’études des nouveaux sortants de 1997 est de 22 ans alors qu’il était de 19 ans voilà 10 ans »[4] et qu’il était de moins de 12 ans à la fin du XIXe siècle. Au cours des de la période 1985-1995 qui est le moment historique où s’est effectuée en France la massification de l’enseignement secondaire, le taux de bacheliers au sein d’une génération a plus que doublé (passant de 30 à 63 %) et l’offre de formation s’est largement différenciée. Il y a bien eu un plus large accès des milieux populaires dans les lycées généraux, ce que nous appelons une massification et Stéphane Beaud une « démocratisation quantitative »[5].

La stigmatisation des enfants de prolétaires au sein de l'école

S'il y a une réelle massification de l'enseignement, il y a aussi un échec de la démocratisation qualitative de l'Ecole. Un enfant d'ouvrier a aujourd'hui encore sept fois moins de chances d'entrer à l'université, ce qui est fort regrettable, mais il ne faut pas oublier qu'en 1970, il avait 28 fois moins de chances de le faire. Depuis 1984, l'accès à l'enseignement supérieur a été multiplié par 3,5 pour les enfants d'ouvriers, contre 2,2 pour l'ensemble des catégories socioprofessionnelles. On ne peut donc nier un progrès à cet égard. Simplement, il faut noter une insuffisance. En effet, les enfants d'ouvriers ont-ils accédé aux filières reconnues sur le marché du travail ou obtenu de la monnaie de singe ? En d’autres termes, l’augmentation du nombre d’élèves scolarisés dans le secondaire et le supérieur constitue-t-elle une simple massification scolaire (une démocratisation quantitative), une augmentation du nombre d’élèves, notamment ceux issus des classe populaire, dans l’Ecole, ou bien une réelle démocratisation (qualitative), une réelle instruction de tous les élèves, y compris des élèves, enfants de prolétaires ?

En étudiant le recrutement social selon les séries de bac, la démocratisation est remise en cause. « Pour le lycée, sur la période 1985-1995, marquée par un allongement massif de la scolarisation en second cycle, la démocratisation est nettement ségrégative en ce sens que l’accroissement des taux de scolarisation par âge est associé à une augmentation des écarts sociaux d’accès dans les différentes filières considérées. Ce qui signifie, concrètement, que, si la part des élèves de catégories populaires est globalement croissante dans chaque filière de l’enseignement secondaire, cette croissance se révèle en fait beaucoup plus forte dans les séries de bac à recrutement populaire. Si bien que les écarts sociaux de recrutement augmentent de manière relative»[6] . Parmi les jeunes entrés en sixième en 1989, 85% des enfants de cadres obtenaient leur bac. La proportion tombe à 52% pour les enfants d’ouvriers et à 34% pour ceux dont les parents sont inactifs.

Les étudiants d’origine populaire (fils d’ouvriers et d’employés qui représentent près de 60% des jeunes de 20 à 24 ans) sont de plus en plus nombreux à l’université, où ils représentent le quart des effectifs. En revanche, ils perdent du terrain dans les classes préparatoires aux grandes écoles où ils sont désormais moins de 15%. Dans le même temps, les enfants de cadres (15% des jeunes) investissent massivement ce secteur des grandes écoles puisqu’ils représentent 53% des inscrits, un taux qui a fortement augmenté au cours des quinze dernières années. Pierre Merle baptise cette tendance lourde de « démocratisation ségrégative ». En 2004, seulement 5, 1 % des élèves des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) sont enfants d’ouvriers contre 51, 6 % enfants de cadres[7] . Les enfants issus de milieux ouvriers sont de moins en moins nombreux à accéder aux grandes écoles (ils sont sept fois moins nombreux aujourd’hui qu’en 1960).

Si l’on regarde le taux de réussite dans le supérieur, on constate qu’elle est différente en fonction des cursus choisis et selon l’origine scolaire (et donc sociale). En 2003, après un parcours de deux à cinq ans en premier cycle universitaire, 76,4% des étudiants obtiennent le DEUG, en d’autres termes ¼ échouent et se retrouvent sans diplôme. Si on affine l’analyse, on s’aperçoit que les bacheliers généraux ont des résultats nettement supérieurs (82, 8 %) aux bacheliers technologiques (40%) et professionnels (15, ‘%) dont l’origine sociale est nettement plus populaire. On peut donc conclure (ce que le ministère se garde bien de faire) que ce sont avant tout les étudiants issus de milieux populaires qui échouent. L’accès en troisième année universitaire dépend fortement de la série du bac. Les bacheliers généraux y parviennent bien plus souvent (70,6 en moyenne et 76,3 % pour les seuls bacheliers scientifiques) que les lauréats d’une série technologique (27,4 %) ou professionnel (11,1 %.

Bref, on l’aura compris ce sont les enfants issus de milieux défavorisés accèdent moins aux filières générales, moins aux diplômes qualifiants. D’ailleurs, selon le ministère, en 2005, environ 6 % des jeunes, souvent issus de milieux sociaux précarisés, quittent l’école dans qualification. En incluant ceux qui n’ont ni CAP, ni BEP, ni baccalauréat, 18 % des jeunes sont alors concernés[8]. L’illettrisme touche principalement les enfants pauvres.

L'école exclut les prolétaires

De nombreux débats traversent aujourd'hui la société française. Pour de nombreux observateurs l'école est en crise. En employant le mot crise, terme somme tout fourre-tout et très vague, ils omettent de dire la terrible vérité : l'école exclut les enfants de prolétaires, et parmi eux tout particulièrement les enfants d'immigrés. "Les élèves ou les étudiants issus des familles les plus démunis culturellement ont toutes les chances de n’obtenir, au terme d’une longue scolarité souvent payée de lourds sacrifices, qu’un titre dévalué ; et, s’ils échouent, ce qui est encore le destin le plus probable pour eux, ils sont voués à une exclusion plus stigmatisante et plus totale que par le passé : plus stigmatisante dans la mesure où ils ont eu, en apparence, « leur chance » et où l’institution scolaire tend à définir de plus en plus complètement l’identité sociale ; plus totale, dans la mesure où une part de plus en plus grandes des places sur le marché du travail est réservée en droit, et occupée en fait, par les détenteurs d’un diplôme (ce qui explique que l’échec scolaire soit de plus en plus vécu comme une catastrophe, jusque dans les milieux populaires). Ainsi, l’institution scolaire tend à apparaître de plus en plus, tant aux familles qu’aux élèves eux-mêmes, comme un leurre, source d’une immense déception collective : cette sorte de terre promise, pareille à l’horizon, recule à mesure qu’on avance vers elle. […]. Fini le temps des cartables en cuir, des vêtements d’allure austère, du respect accordé aux professeurs, autant de signe de l’adhésion que les enfants des familles populaires accordaient à l’institution scolaire et qui a cédé aujourd’hui la place à une relation plus distante : la résignation désenchantée, déguisée en nonchalance désinvolte, se marque dans l’indigence affectée de l’équipement scolaire, le dossier tenu par une ficelle ou un élastique que l’on trimballe nonchalamment sur l’épaule, les crayons feutres jetables qui remplace le stylo à plume de prix offert, à titre d’encouragement à l’investissement scolaire, à l’occasion d’un anniversaire, etc. ; elle s’exprime aussi dans la multiplication des signes de défi à l’intention des enseignants, comme le Walkman que l’on écoute parfois jusque dans la salle de classe, ou l’habillement ostentatoirement relâché , et souvent recouvert de noms de groupes de rock à la mode, inscrit au stylo à bille ou au feutre, qui veulent rappeler, au sein même de l’école, que la vraie vie est ailleurs"[9].

En d'autres termes l'école publique française fabrique des "exclus de l'intérieur". Elle exclut de manière continue, à tous les niveaux du cursus mais ça ne se voit pas car l'école garde en son sein ceux qu'elle exclut, se contentant de les reléguer dans des filières plus ou moins défavorisées, autrement dit des "voies de garage" ou sélectionnant à un stade supérieur de la scolarité : au lycée puis au niveau des études supérieures. Ce dernier aspect de la sélection est moins connu et mérite de s'y attarder.

Notes

  1. Voir notamment « Ah ! passez Républiques de ce monde ! Des empereurs, Des régiments, des colons, des peuples, assez ! », Oiseau-tempête n°11 (été 2004).
  2. Cité par Georges Duveau, La pensée ouvrière sur l’éducation pendant la Seconde République et le Second Empire, Paris, Domat-Montchrestien, 1947, p. 44-45.
  3. Bakounine, La Société ou Fraternité internationale révolutionnaire, 1865, publié in D. Guérin, Ni Dieu ni Maître, Anthologie de l'anarchisme, t. 1, Maspéro, 1970, p. 202-203.
  4. Louis Chauvel, « La seconde explosion scolaire : diffusion des diplômes, structure sociale et valeur des titres », La Revue de l’Observatoire français des conjonctures économiques, juillet 1998.
  5. Stéphane Beaud, 80% au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, La Découverte, Paris, 2002
  6. Pierre Merle, « Le concept de démocratisation scolaire. Une typologie et sa mise à l’épreuve », INED, Population, n° 1, 2000, pp. 15-50. P. Merle parle de la prolétarisation de l’ancien bac G.
  7. L’Etat de l’Ecole, n° 15, 2005, p.
  8. L’Etat de l’Ecole, n° 15, 2005, p. 36-37.
  9. Patrick Champagne, dans Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Seuil, 1993.