Difference between revisions of "FAQAnar:F.3.1 - Pourquoi la négligence vis-à-vis de l'égalité est-elle si importante ?"

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Simplement parce une négligence vis-à-vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, la liberté étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des [["anarcho"-capitaliste]]s et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange<ref>Murray Rothbard, ''[http://membres.lycos.fr/mgrunert/ethique.htm L'Éthique de la Liberté]'', Chapitre XXVIII.</ref> »
Simplement parce une négligence vis-à-vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange<ref>Murray Rothbard, ''[http://membres.lycos.fr/mgrunert/ethique.htm L'Éthique de la Liberté]'', Chapitre XXVIII.</ref> »
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Cependant, le fait est qu'il y a des centres de pouvoir substantiels dans la société (tels que la source du pouvoir hiérarchique et les relations sociales autoritaires) qui ne dépendent pas de l'État. Comme le dit [[Élisée Reclus]], « le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point. Le dollar est le maître des maîtres.<ref>Élisée Reclus, ''L'Homme et la Terre''.</ref> » La richesse est donc une source de pouvoir, puisque « la chose essentielle » en régime capitaliste « est de s'entraîner à poursuivre un gain monétaire, dans le but de commander les autres au moyen de l'omnipotence d'argent. Notre pouvoir augmente dans la proportion directe à nos ressources économiques<ref>Cité par John P. Clark et Camille Martin, ''Anarchy, Geography, Modernity'', p. 95 et p. 96-97.</ref>. » Ainsi la tromperie centrale de l'"anarcho"-capitalisme est la supposition (non-déclarée) que les différents acteurs au sein d'une économie auront un pouvoir égal. Cette supposition a été remarquée par nombres de lecteurs de leurs ouvrages. Par exemple, Peter Marshall remarque que les « "anarcho-capitalistes" comme Rothbard supposent que les individus auront un pouvoir égal de marchander dans une société [capitaliste] fondée sur le marché<ref>Peter Marshall, ''Demanding the Impossible'', p. 46.</ref>. » George Walford le remarqua également dans son commentaire du livre ''Vers une société sans État'' de David Friedman :
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Cependant, le fait est qu'il y a des centres de pouvoir substantiels dans la société (tels que la source du pouvoir hiérarchique et les relations sociales autoritaires) qui n'ont ''pas de rapport avec l'État''. Comme le dit [[Élisée Reclus]], « le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point. Le dollar est le maître des maîtres<ref>Élisée Reclus, ''L'Homme et la Terre''.</ref>. » La richesse est donc une source de pouvoir, puisque « la chose essentielle » en régime capitaliste « est de s'entraîner à poursuivre un gain monétaire, dans le but de commander les autres au moyen de l'omnipotence de l'argent. Notre pouvoir augmente dans la proportion directe de nos ressources économiques<ref>Cité par John P. Clark et Camille Martin, ''Anarchy, Geography, Modernity'', p. 95 et p. 96-97.</ref>. » Ainsi la tromperie centrale de l'"anarcho"-capitalisme est la supposition (non-déclarée) que les différents acteurs au sein d'une économie auront un pouvoir égal. Cette supposition a été remarquée par nombres de lecteurs de leurs ouvrages. Par exemple, Peter Marshall remarque que les « "anarcho-capitalistes" comme Rothbard supposent que les individus auront un pouvoir égal de marchander dans une société [capitaliste] fondée sur le marché<ref>Peter Marshall, ''Demanding the Impossible'', p. 46.</ref>. » George Walford le remarqua également dans son commentaire du livre ''Vers une société sans État'' de David Friedman :
  
<blockquote>« La propriété privée envisagée par les anarcho-capitalistes sera très différente de celle que l'on connaît. C'est à peine aller trop loin que de dire que tant que l'une est mauvaise, l'autre sera meilleure. Dans une société anarcho-capitaliste, il n'y aura plus d'assurance nationale, plus de Sécurité Sociale, plus de service de soins nationaux, et pas même quelque chose qui ressemblerait aux Poors Laws<ref>Note du Traducteur : Lois crées par la couronne britannique afin d'exercer un contrôle et d'avoir des informations sur les pauvres, en leur fournissant une aide financière. L'auteur ne fait ici référence qu'aux aides financières, pas au contrôle.</ref> ; il n'y aura pas du tout de réseaux de sécurité publique. Ce sera une société rigoureusement compétitive : travaille, mendie ou meurt. Tout en lisant, on apprend que chaque individu devra acheter, personnellement, tous les biens et services qu'il désire, non seulement la nourriture, les vêtements et le logement, mais également l'éducation, la médecine, l'hygiène, la justice, la police, toutes les formes de sécurité et d'assurance, même la permission d'utiliser les rues (car elles seront aussi possédées par des agents privés), tout en lisant cela, une caractéristique émerge : tout le monde aura assez d'argent pour acheter toutes ces choses.</blockquote>
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<blockquote>« La propriété privée envisagée par les anarcho-capitalistes sera très différente de celle que l'on connaît. C'est à peine aller trop loin que de dire que tant que l'une est mauvaise, l'autre sera meilleure. Dans une société anarcho-capitaliste, il n'y aura plus d'assurance nationale, plus de Sécurité Sociale, plus de service de soins nationaux, et pas même quelque chose qui ressemblerait aux Poors Laws<ref>Note du Traducteur : Lois crées par la couronne britannique afin d'exercer un contrôle et d'avoir des informations sur les pauvres, en leur fournissant une aide financière. L'auteur ne fait ici référence qu'aux aides financières, pas au contrôle.</ref> ; il n'y aura pas du tout de réseaux de sécurité publique. Ce sera une société rigoureusement compétitive : travaille, mendie ou meurt. Tout en lisant, on apprend que chaque individu devra acheter, personnellement, tous les biens et services qu'il désire, non seulement la nourriture, les vêtements et le logement, mais également l'éducation, la médecine, l'hygiène, la justice, la police, toutes les formes de sécurité et d'assurance, même la permission d'utiliser les rues (car elles seront aussi possédées par des agents privés), tout en lisant cela, une caractéristique curieuse émerge : tout le monde aura assez d'argent pour acheter toutes ces choses.</blockquote>
  
<blockquote>« Il n'y a pas d'accueil et traitement des urgences, d'hôpitaux ou d'hospices, mais il n'y a bien sûr personne pour mourir dans la rue. Il n'y a pas de système d'éducation public, mais il n'y a pas d'enfants non-éduqués, pas de service public de police, mais tout le monde peut louer les services d'une entreprise de sécurité efficace, pas de loi publique, mais tout le monde peut louer les services du système pénal privé. Il n'y a personne non plus pour être en capacité d'acheter plus que les autres ; aucun individu ou groupe ne possède de pouvoir économique sur les autres</blockquote>
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<blockquote>« Il n'y a pas d'accueil et traitement des urgences, d'hôpitaux ou d'hospices, mais il n'y a bien sûr personne pour mourir dans la rue. Il n'y a pas de système d'éducation public, mais il n'y a pas d'enfants non-éduqués, pas de service public de police, mais tout le monde peut louer les services d'une entreprise de sécurité efficace, pas de loi publique, mais tout le monde peut louer les services du système pénal privé. Il n'y a personne non plus pour être en capacité d'acheter plus que les autres ; aucun individu ou groupe ne possède de pouvoir économique sur les autres.</blockquote>
  
 
<blockquote>« Aucune explication n'est fournie. Les anarcho-capitalistes considèrent simplement comme allant de soi que dans leur société adorée, bien qu'elle ne possède aucun levier pour restreindre la concurrence (pour ce faire, il faudrait exercer une autorité sur les individus ou les groupes en concurrence, or c'est une société anarcho-capitaliste), la concurrence donc ne serait pas amener à atteindre le point où tout le monde en souffrirait réellement. Tout en proclamant que leur système est compétitif, dans lequel les règles de l'intérêt privé ne sont pas soumises à vérification, ils montrent que celui-ci fonctionne comme un système coopératif, dans lequel aucun individu ou groupe ne profite au dépend des autres<ref>George Walfort, [http://flag.blackened.net/liberty/walford-on-anarcap.html ''On the Capitalist Anarchists''].</ref>. »</blockquote>
 
<blockquote>« Aucune explication n'est fournie. Les anarcho-capitalistes considèrent simplement comme allant de soi que dans leur société adorée, bien qu'elle ne possède aucun levier pour restreindre la concurrence (pour ce faire, il faudrait exercer une autorité sur les individus ou les groupes en concurrence, or c'est une société anarcho-capitaliste), la concurrence donc ne serait pas amener à atteindre le point où tout le monde en souffrirait réellement. Tout en proclamant que leur système est compétitif, dans lequel les règles de l'intérêt privé ne sont pas soumises à vérification, ils montrent que celui-ci fonctionne comme un système coopératif, dans lequel aucun individu ou groupe ne profite au dépend des autres<ref>George Walfort, [http://flag.blackened.net/liberty/walford-on-anarcap.html ''On the Capitalist Anarchists''].</ref>. »</blockquote>
  
Cette supposition d'une (relative) égalité s'impose dans la théorie de la propriété du « Homesteading » de Murray Rothbard (voir la section [[FAQAnar:F.4.1 - Quel est le problème avec la théorie de la propriété du « homesteading » ?|F.4.1]]). Le « Homesteading » décrit une situation où des individus ou des familles vont dans la nature pour s'y créer un abri, se battant contre les éléments, et ainsi de suite. Cette théorie n'invoque pas l'idée d'entreprises transnationales employant des dizaines de milliers de personnes, ou celle d'une population sans terre, sans ressource, et vendant sa force de travail aux autres. Rothbard, comme remarqué plus haut, affirme que le pouvoir économique n'existe pas (au moins en régime capitaliste, comme exposé dans la section [[FAQAnar:F.1 - Les "anarcho"-capitalistes sont-ils vraiment des anarchistes ?|F.1]], il fait des exceptions &mdash; qui sont hautement illogiques). De la même manière, l'exemple de David Friedman de deux entreprises « de défense », l'une défendant la peine de mort, l'autre s'y opposant, parvenant à un accord (voir la section [[FAQAnar:F.6.3 - Mais les forces du marché arrêteront sûrement l'abus des riches, non ?|F.6.3]]), suppose implicitement que les entreprises aient des ressources et des pouvoirs permettant de marchander en toute égalité &mdash; autrement, le processus de marchandage serait biaisé et la petite entreprise y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une bataille contre la plus grosse (l'aboutissement probable si elles ne parviennent pas à un arrangement sur cette affaire), et donc en viendrait au compromis.
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Cette supposition d'une (relative) égalité s'impose dans la théorie de la propriété du « Homesteading » de Murray Rothbard (voir la section [[FAQAnar:F.4.1 - Quel est le problème avec la théorie de la propriété du « homesteading » ?|F.4.1]]). Le « Homesteading » décrit une situation où des individus ou des familles vont dans la nature pour s'y créer un abri, se battant contre les éléments, et ainsi de suite. Cette théorie n'invoque ''pas'' l'idée d'entreprises transnationales employant des dizaines de milliers de personnes, ou celle d'une population sans terre, sans ressource, et vendant sa force de travail aux autres. Rothbard, comme remarqué plus haut, affirme que le pouvoir économique n'existe pas (au moins en régime capitaliste, comme exposé dans la section [[FAQAnar:F.1 - Les "anarcho"-capitalistes sont-ils vraiment des anarchistes ?|F.1]], il fait des exceptions &mdash; qui sont fortement illogiques). De la même manière, l'exemple de David Friedman de deux entreprises « de défense », l'une défendant la peine de mort, l'autre s'y opposant, parvenant à un accord (voir la section [[FAQAnar:F.6.3 - Mais les forces du marché arrêteront sûrement l'abus des riches, non ?|F.6.3]]), suppose implicitement que les entreprises aient des ressources et des pouvoirs permettant de marchander en toute égalité &mdash; autrement, le processus de marchandage serait biaisé et la petite entreprise y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une bataille contre la plus grosse (l'aboutissement probable si elles ne parviennent pas à un arrangement sur cette affaire), et donc en viendrait au compromis.
  
Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors qui crée des partenaires égaux est impossible &mdash; le pacte établira un association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à-dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim<ref>Carole Pateman, ''The Sexual Contract'', p. 61.</ref> ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation.
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Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus ''sont'' supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors un contrat créant des partenaires égaux est impossible &mdash; le pacte établira une association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à-dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim<ref>Carole Pateman, ''The Sexual Contract'', p. 61.</ref> ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation.
  
En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir » et le « marché » ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent finalement en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement » aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire » ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques<ref>Murray Bookchin, ''The Spanish Anarchists'', p. 260.</ref>.
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En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir » et le « marché » ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent ''finalement'' en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement » aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire » ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques<ref>Murray Bookchin, ''The Spanish Anarchists'', p. 260.</ref>.
  
 
Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs » et les « vendeurs » de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise &mdash; voir la section [[FAQAnar:C.7 - Qu'est-ce qui entraîne le cycle économique capitaliste ?|C.7]]). Nous avons insisté dans la section [[FAQAnar:C.9 - Les politiques de laissez-faire réduiraient-elles le chômage, tel que les défenseurs "du marché libre" capitaliste l'affirment ?|C.9]] sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange » d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste [[Joshua K. Ingalls|J.K. Ingalls]] s'opposait à la proposition d'Henry George<ref>NdT : économiste politique américain, partisan le plus influent de l'impôt unique sur la terre. Il défend une théorie selon laquelle chacun possède ce qu'il fabrique, mais que tout ce qui se trouve dans la nature appartient à tous. Très critique vis-à-vis du profit et de la concentration des richesses entre les mains d'une poignée d'individus.</ref> de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait.
 
Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs » et les « vendeurs » de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise &mdash; voir la section [[FAQAnar:C.7 - Qu'est-ce qui entraîne le cycle économique capitaliste ?|C.7]]). Nous avons insisté dans la section [[FAQAnar:C.9 - Les politiques de laissez-faire réduiraient-elles le chômage, tel que les défenseurs "du marché libre" capitaliste l'affirment ?|C.9]] sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange » d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste [[Joshua K. Ingalls|J.K. Ingalls]] s'opposait à la proposition d'Henry George<ref>NdT : économiste politique américain, partisan le plus influent de l'impôt unique sur la terre. Il défend une théorie selon laquelle chacun possède ce qu'il fabrique, mais que tout ce qui se trouve dans la nature appartient à tous. Très critique vis-à-vis du profit et de la concentration des richesses entre les mains d'une poignée d'individus.</ref> de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait.
  
Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude &mdash; celles-ci sont toujours là, mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher le compromis bien plus loin, c'est-à-dire, bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter » de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force).
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Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude &mdash; celles-ci sont toujours là, mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher un compromis bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter » de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force).
  
L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer [[Max Stirner]], « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que ''les moyens de concourir'', ''les choses nécessaires à la concurrence'' me font défaut. » Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir » ou de « choses nécessaires à la concurrence »), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut ''tirer'' de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.<ref>Max Stirner, ''L'Unique et sa propriété'', sections intitulées ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Seconde_partie_-_Moi_-_II._%E2%80%94_Le_Propri%C3%A9taire#B._.E2.80.94_MES_RELATIONS Mes relations]'' [deuxième partie] et ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Premi%C3%A8re_partie_-_L%E2%80%99homme_-_II_%E2%80%93_Les_Anciens_et_les_Modernes#.C2.A7_1._.E2.80.94_Le_Lib.C3.A9ralisme_politique Le Libéralisme politique]'' [première partie], traduit par Robert L. Leclaire. Nous soulignons.</ref> » Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer » de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence », ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence libre. Pour citer Stephan L. Newman :
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L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer [[Max Stirner]], « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que ''les moyens de concourir'', ''les choses nécessaires à la concurrence'' me font défaut. » Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir » ou de « choses nécessaires à la concurrence »), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut ''tirer'' de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.<ref>Max Stirner, ''L'Unique et sa propriété'', sections intitulées ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Seconde_partie_-_Moi_-_II._%E2%80%94_Le_Propri%C3%A9taire#B._.E2.80.94_MES_RELATIONS Mes relations]'' [deuxième partie] et ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Premi%C3%A8re_partie_-_L%E2%80%99homme_-_II_%E2%80%93_Les_Anciens_et_les_Modernes#.C2.A7_1._.E2.80.94_Le_Lib.C3.A9ralisme_politique Le Libéralisme politique]'' [première partie], traduit par Robert L. Leclaire. Nous soulignons.</ref> » Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer » de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence », ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence « libre ». Pour citer Stephan L. Newman :
  
<blockquote>« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travaille salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à-dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive]<ref>Stephan L. Newman, ''Liberalism at Wit's End'', p. 122-123.</ref>. »</blockquote>  
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<blockquote>« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travail salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à-dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive]<ref>Stephan L. Newman, ''Liberalism at Wit's End'', p. 122-123.</ref>. »</blockquote>  
  
Si nous regardons « l'égalité devant la loi », il est évident que cela entraîne des limitations dans une société (matériellement) inégale. Brian Morris note que pour Ayn Rand, « en régime capitaliste [...] la politique (l'État) et l'économie (le capitalisme) sont séparés [...] Ceci n'est, bien sûr, que de la pure idéologie, car la justification de Rand de l'État est que ce dernier "protège" la propriété privée, c'est-à-dire qu'il la défend et qu'il maintient le pouvoir économique des capitalistes par des moyens coercitifs<ref>Brian Morris, ''Ecology & Anarchism'', p. 189.</ref>. » La même chose peut être dite de l'"anarcho"-capitalisme et de ses « agences de protection » et de son « code de lois libertarien général ». Si dans une société, un petit nombre détient les ressources et que la majorité n'a rien, alors n'importe quel code de lois qui protège la propriété privée donne du pouvoir à la classe possédante. Les travailleurs useront automatiquement de la force s'ils se rebellent contre leur patron ou agissent contre ce code, et donc « l'égalité devant la loi » reflète et renforce les inégalités de pouvoir et de richesses. Ceci signifie qu'un système de droit à la propriété privée protège les libertés de certains, leur conférant un degré de pouvoir inacceptable sur les autres. Et cet essai critique ne peut être satisfait qu'en réaffirmant les droits en question, nous devons estimer l'importance relative des différentes formes de liberté ainsi que celle des autres valeurs qui nous sont chères.
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Si nous regardons « l'égalité devant la loi », il est évident que cela entraîne des limitations dans une société (matériellement) inégale. Brian Morris note que pour Ayn Rand, « en régime capitaliste [...] la politique (l'État) et l'économie (le capitalisme) sont séparés [...] Ceci n'est, bien sûr, que de la pure idéologie, car la justification de Rand de l'État est que ce dernier "protège" la propriété privée, c'est-à-dire qu'il la défend et qu'il maintient le pouvoir économique des capitalistes par des moyens coercitifs<ref>Brian Morris, ''Ecology & Anarchism'', p. 189.</ref>. » La même chose peut être dite de l'"anarcho"-capitalisme et de ses « agences de protection » et de son « code de lois libertarien général ». Si dans une société, un petit nombre détient les ressources et que la majorité n'a rien, alors n'importe quel code de lois qui protège la propriété privée donne ''automatiquement'' du pouvoir à la classe possédante. Les travailleurs useront ''toujours'' de la force s'ils se rebellent contre leur patron ou agissent contre ce code, et donc « l'égalité devant la loi » reflète et renforce les inégalités de pouvoir et de richesses. Ceci signifie qu'un système de droit à la propriété privée protège les libertés de certains, leur conférant un degré de pouvoir inacceptable sur les autres. Et cet essai critique ne peut être satisfait qu'en réaffirmant les droits en question, nous devons estimer l'importance relative des différentes formes de liberté ainsi que celle des autres valeurs qui nous sont chères.
  
Le peu d'estime qu'ont les libertariens pour l'égalité est important puisqu'il permet à l'"anarcho"-capitalisme d'ignorer plusieurs restrictions de la liberté dans la société. De plus, il leur permet d'écarter les effets négatifs de leur système en dessinant un tableau irréel d'une société capitaliste sans différences significatives de richesse et de pouvoir (en effet, ils expliquent souvent la société capitaliste en des termes idéaux &mdash; c'est-à-dire en la comparant à la production artisanale &mdash; qui est donc précapitaliste et dont la base sociale a été érodée par le développement du capitalisme). L'inégalité forme les décisions que nous sont offertes et celles que nous prenons :
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Le peu d'estime qu'ont les libertariens pour l'égalité est important puisqu'il permet à l'"anarcho"-capitalisme d'ignorer plusieurs restrictions de la liberté dans la société. De plus, il leur permet d'écarter les effets négatifs de leur système en dessinant un tableau irréel d'une société capitaliste sans différences significatives de richesse et de pouvoir (en effet, ils décrivent souvent la société capitaliste en des termes idéaux &mdash; c'est-à-dire en la comparant à la production artisanale &mdash; qui est donc précapitaliste et dont la base sociale a été érodée par le développement du capitalisme). L'inégalité forme les décisions qui nous sont offertes et celles que nous prenons :
  
 
<blockquote>« Un "stimulant" est toujours disponible dans les conditions d'inégalité sociale substantielle qui garantissent que les "faibles" concluent un contrat. Lorsque l'inégalité sociale prédomine, des questions apparaissent, telles que qu'est-ce qui compte comme conclusion volontaire d'un contrat. C'est pourquoi les socialistes et les féministes se sont concentrés sur les conditions de conclusion du contrat de travail ou du contrat de mariage. Les hommes et les femmes [...] sont désormais des citoyens juridiquement libres et égaux, mais dans des conditions sociales inégales, la possibilité que certains ou que la plupart des contrats créent des relations ressemblant désagréablement à un contrat d'esclavage ne peut être évacuée<ref>Carole Pateman, ''Op. Cit.'', p. 62.</ref>. »</blockquote>
 
<blockquote>« Un "stimulant" est toujours disponible dans les conditions d'inégalité sociale substantielle qui garantissent que les "faibles" concluent un contrat. Lorsque l'inégalité sociale prédomine, des questions apparaissent, telles que qu'est-ce qui compte comme conclusion volontaire d'un contrat. C'est pourquoi les socialistes et les féministes se sont concentrés sur les conditions de conclusion du contrat de travail ou du contrat de mariage. Les hommes et les femmes [...] sont désormais des citoyens juridiquement libres et égaux, mais dans des conditions sociales inégales, la possibilité que certains ou que la plupart des contrats créent des relations ressemblant désagréablement à un contrat d'esclavage ne peut être évacuée<ref>Carole Pateman, ''Op. Cit.'', p. 62.</ref>. »</blockquote>
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Cette confusion idéologique du libertarianisme peut également être remarquée dans leur opposition à l'imposition. D'un côté, ils avancent que l'imposition est mauvaise car elle prend de l'argent à ceux qui en « gagnent » et le redonne aux pauvres. D'un autre côté, le capitalisme du « marché libre » est supposé constituer la base d'une société plus égale ! Si l'imposition prend aux riches pour donner aux pauvres, comment l'"anarcho"-capitalisme pourrait-il être plus égalitaire ? Ce mécanisme d'égalisation disparaîtrait (bien sûr, il pourrait être avancé que toutes les grosses fortunes ne sont que le résultat de l'intervention de l'État qui fausse le « marché libre », mais cela mettrait à mal toutes leurs histoires de « reproches aux riches »). Nous avons donc un problème : soit nous avons une égalité relative, soit nous n'en avons pas. Soit nous avons des riches, et donc le pouvoir du marché, soit nous n'en avons pas. Et il est évident que pour Rothbard, l'"anarcho"-capitalisme ne serait exister sans ses millionnaires (d'après lui, il n'y a rien de contradictoire avec le libertarianisme dans « la hiérarchie, le salariat, l'octroi de fonds par les millionnaires libertariens, et un parti libertarien<ref>Black, ''The Abolition of Work and Other Essays'', [http://www.geocities.com/CapitolHill/5065/libcon.html The Libertarian As Conservative], p. 142.</ref> »). Nous en avons fini avec le pouvoir du marché et l'asservissement extensif.
 
Cette confusion idéologique du libertarianisme peut également être remarquée dans leur opposition à l'imposition. D'un côté, ils avancent que l'imposition est mauvaise car elle prend de l'argent à ceux qui en « gagnent » et le redonne aux pauvres. D'un autre côté, le capitalisme du « marché libre » est supposé constituer la base d'une société plus égale ! Si l'imposition prend aux riches pour donner aux pauvres, comment l'"anarcho"-capitalisme pourrait-il être plus égalitaire ? Ce mécanisme d'égalisation disparaîtrait (bien sûr, il pourrait être avancé que toutes les grosses fortunes ne sont que le résultat de l'intervention de l'État qui fausse le « marché libre », mais cela mettrait à mal toutes leurs histoires de « reproches aux riches »). Nous avons donc un problème : soit nous avons une égalité relative, soit nous n'en avons pas. Soit nous avons des riches, et donc le pouvoir du marché, soit nous n'en avons pas. Et il est évident que pour Rothbard, l'"anarcho"-capitalisme ne serait exister sans ses millionnaires (d'après lui, il n'y a rien de contradictoire avec le libertarianisme dans « la hiérarchie, le salariat, l'octroi de fonds par les millionnaires libertariens, et un parti libertarien<ref>Black, ''The Abolition of Work and Other Essays'', [http://www.geocities.com/CapitolHill/5065/libcon.html The Libertarian As Conservative], p. 142.</ref> »). Nous en avons fini avec le pouvoir du marché et l'asservissement extensif.
  
Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature »<ref>NdT : référence au titre d'un des ouvrages de Rothbard, ''Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays'', où Rothbard attaque l'idée d'égalité comme fondement politique et économique. Les "anarcho"-capitalistes font constamment référence à ce texte pour critiquer l'égalité.</ref>, il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté » deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feront qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres<ref>Peter Marshall, ''Op. Cit.'', p. 653.</ref>. »
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Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature »<ref>NdT : référence au titre d'un des ouvrages de Rothbard, ''Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays'', où Rothbard attaque l'idée d'égalité comme fondement politique et économique. Les "anarcho"-capitalistes font constamment référence à ce texte pour critiquer l'égalité.</ref>, il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté » deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feraient qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres<ref>Peter Marshall, ''Op. Cit.'', p. 653.</ref>. »
  
 
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== Notes et références ==
 
== Notes et références ==
 
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Revision as of 17:48, 14 July 2008

FAQ anarchiste
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« L'anarchie c'est l'ordre moins le pouvoir »
F - L’anarcho-capitalisme est-il un type d’anarchisme ?

Introduction
F.1 - Les "anarcho"-capitalistes sont-ils vraiment des anarchistes ?



F.2 - Que signifie "liberté" pour les "anarcho"-capitalistes ?



F.3 - Pourquoi les "anarcho"-capitalistes n'attribuent-ils généralement peu ou pas de valeur à l'"égalité" ?



F.4 - Quelle est la position des libertariens sur la propriété privée ?



F.5 - Privatiser les « terrains communaux » augmentera-t-il la liberté ?
F.6 - L'"anarcho"-capitalisme est il contre l'État ?



F.7 - Comment l'histoire de l'"anarcho"-capitalisme prouve-t-elle que cette théorie n'est pas anarchiste ?



F.8 - Quel rôle l'État a-t-il pris dans la création du capitalisme ?



Sommaire complet et détaillé

Simplement parce une négligence vis-à-vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, la liberté étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange[1] »

Cependant, le fait est qu'il y a des centres de pouvoir substantiels dans la société (tels que la source du pouvoir hiérarchique et les relations sociales autoritaires) qui n'ont pas de rapport avec l'État. Comme le dit Élisée Reclus, « le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point. Le dollar est le maître des maîtres[2]. » La richesse est donc une source de pouvoir, puisque « la chose essentielle » en régime capitaliste « est de s'entraîner à poursuivre un gain monétaire, dans le but de commander les autres au moyen de l'omnipotence de l'argent. Notre pouvoir augmente dans la proportion directe de nos ressources économiques[3]. » Ainsi la tromperie centrale de l'"anarcho"-capitalisme est la supposition (non-déclarée) que les différents acteurs au sein d'une économie auront un pouvoir égal. Cette supposition a été remarquée par nombres de lecteurs de leurs ouvrages. Par exemple, Peter Marshall remarque que les « "anarcho-capitalistes" comme Rothbard supposent que les individus auront un pouvoir égal de marchander dans une société [capitaliste] fondée sur le marché[4]. » George Walford le remarqua également dans son commentaire du livre Vers une société sans État de David Friedman :

« La propriété privée envisagée par les anarcho-capitalistes sera très différente de celle que l'on connaît. C'est à peine aller trop loin que de dire que tant que l'une est mauvaise, l'autre sera meilleure. Dans une société anarcho-capitaliste, il n'y aura plus d'assurance nationale, plus de Sécurité Sociale, plus de service de soins nationaux, et pas même quelque chose qui ressemblerait aux Poors Laws[5] ; il n'y aura pas du tout de réseaux de sécurité publique. Ce sera une société rigoureusement compétitive : travaille, mendie ou meurt. Tout en lisant, on apprend que chaque individu devra acheter, personnellement, tous les biens et services qu'il désire, non seulement la nourriture, les vêtements et le logement, mais également l'éducation, la médecine, l'hygiène, la justice, la police, toutes les formes de sécurité et d'assurance, même la permission d'utiliser les rues (car elles seront aussi possédées par des agents privés), tout en lisant cela, une caractéristique curieuse émerge : tout le monde aura assez d'argent pour acheter toutes ces choses.
« Il n'y a pas d'accueil et traitement des urgences, d'hôpitaux ou d'hospices, mais il n'y a bien sûr personne pour mourir dans la rue. Il n'y a pas de système d'éducation public, mais il n'y a pas d'enfants non-éduqués, pas de service public de police, mais tout le monde peut louer les services d'une entreprise de sécurité efficace, pas de loi publique, mais tout le monde peut louer les services du système pénal privé. Il n'y a personne non plus pour être en capacité d'acheter plus que les autres ; aucun individu ou groupe ne possède de pouvoir économique sur les autres.
« Aucune explication n'est fournie. Les anarcho-capitalistes considèrent simplement comme allant de soi que dans leur société adorée, bien qu'elle ne possède aucun levier pour restreindre la concurrence (pour ce faire, il faudrait exercer une autorité sur les individus ou les groupes en concurrence, or c'est une société anarcho-capitaliste), la concurrence donc ne serait pas amener à atteindre le point où tout le monde en souffrirait réellement. Tout en proclamant que leur système est compétitif, dans lequel les règles de l'intérêt privé ne sont pas soumises à vérification, ils montrent que celui-ci fonctionne comme un système coopératif, dans lequel aucun individu ou groupe ne profite au dépend des autres[6]. »

Cette supposition d'une (relative) égalité s'impose dans la théorie de la propriété du « Homesteading » de Murray Rothbard (voir la section F.4.1). Le « Homesteading » décrit une situation où des individus ou des familles vont dans la nature pour s'y créer un abri, se battant contre les éléments, et ainsi de suite. Cette théorie n'invoque pas l'idée d'entreprises transnationales employant des dizaines de milliers de personnes, ou celle d'une population sans terre, sans ressource, et vendant sa force de travail aux autres. Rothbard, comme remarqué plus haut, affirme que le pouvoir économique n'existe pas (au moins en régime capitaliste, comme exposé dans la section F.1, il fait des exceptions — qui sont fortement illogiques). De la même manière, l'exemple de David Friedman de deux entreprises « de défense », l'une défendant la peine de mort, l'autre s'y opposant, parvenant à un accord (voir la section F.6.3), suppose implicitement que les entreprises aient des ressources et des pouvoirs permettant de marchander en toute égalité — autrement, le processus de marchandage serait biaisé et la petite entreprise y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une bataille contre la plus grosse (l'aboutissement probable si elles ne parviennent pas à un arrangement sur cette affaire), et donc en viendrait au compromis.

Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors un contrat créant des partenaires égaux est impossible — le pacte établira une association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à-dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim[7] ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation.

En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir » et le « marché » ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent finalement en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement » aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire » ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques[8].

Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs » et les « vendeurs » de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise — voir la section C.7). Nous avons insisté dans la section C.9 sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange » d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste J.K. Ingalls s'opposait à la proposition d'Henry George[9] de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait.

Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude — celles-ci sont toujours là, mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher un compromis bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter » de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force).

L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer Max Stirner, « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que les moyens de concourir, les choses nécessaires à la concurrence me font défaut. » Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir » ou de « choses nécessaires à la concurrence »), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut tirer de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.[10] » Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer » de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence », ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence « libre ». Pour citer Stephan L. Newman :

« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travail salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à-dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive][11]. »

Si nous regardons « l'égalité devant la loi », il est évident que cela entraîne des limitations dans une société (matériellement) inégale. Brian Morris note que pour Ayn Rand, « en régime capitaliste [...] la politique (l'État) et l'économie (le capitalisme) sont séparés [...] Ceci n'est, bien sûr, que de la pure idéologie, car la justification de Rand de l'État est que ce dernier "protège" la propriété privée, c'est-à-dire qu'il la défend et qu'il maintient le pouvoir économique des capitalistes par des moyens coercitifs[12]. » La même chose peut être dite de l'"anarcho"-capitalisme et de ses « agences de protection » et de son « code de lois libertarien général ». Si dans une société, un petit nombre détient les ressources et que la majorité n'a rien, alors n'importe quel code de lois qui protège la propriété privée donne automatiquement du pouvoir à la classe possédante. Les travailleurs useront toujours de la force s'ils se rebellent contre leur patron ou agissent contre ce code, et donc « l'égalité devant la loi » reflète et renforce les inégalités de pouvoir et de richesses. Ceci signifie qu'un système de droit à la propriété privée protège les libertés de certains, leur conférant un degré de pouvoir inacceptable sur les autres. Et cet essai critique ne peut être satisfait qu'en réaffirmant les droits en question, nous devons estimer l'importance relative des différentes formes de liberté ainsi que celle des autres valeurs qui nous sont chères.

Le peu d'estime qu'ont les libertariens pour l'égalité est important puisqu'il permet à l'"anarcho"-capitalisme d'ignorer plusieurs restrictions de la liberté dans la société. De plus, il leur permet d'écarter les effets négatifs de leur système en dessinant un tableau irréel d'une société capitaliste sans différences significatives de richesse et de pouvoir (en effet, ils décrivent souvent la société capitaliste en des termes idéaux — c'est-à-dire en la comparant à la production artisanale — qui est donc précapitaliste et dont la base sociale a été érodée par le développement du capitalisme). L'inégalité forme les décisions qui nous sont offertes et celles que nous prenons :

« Un "stimulant" est toujours disponible dans les conditions d'inégalité sociale substantielle qui garantissent que les "faibles" concluent un contrat. Lorsque l'inégalité sociale prédomine, des questions apparaissent, telles que qu'est-ce qui compte comme conclusion volontaire d'un contrat. C'est pourquoi les socialistes et les féministes se sont concentrés sur les conditions de conclusion du contrat de travail ou du contrat de mariage. Les hommes et les femmes [...] sont désormais des citoyens juridiquement libres et égaux, mais dans des conditions sociales inégales, la possibilité que certains ou que la plupart des contrats créent des relations ressemblant désagréablement à un contrat d'esclavage ne peut être évacuée[13]. »

Cette confusion idéologique du libertarianisme peut également être remarquée dans leur opposition à l'imposition. D'un côté, ils avancent que l'imposition est mauvaise car elle prend de l'argent à ceux qui en « gagnent » et le redonne aux pauvres. D'un autre côté, le capitalisme du « marché libre » est supposé constituer la base d'une société plus égale ! Si l'imposition prend aux riches pour donner aux pauvres, comment l'"anarcho"-capitalisme pourrait-il être plus égalitaire ? Ce mécanisme d'égalisation disparaîtrait (bien sûr, il pourrait être avancé que toutes les grosses fortunes ne sont que le résultat de l'intervention de l'État qui fausse le « marché libre », mais cela mettrait à mal toutes leurs histoires de « reproches aux riches »). Nous avons donc un problème : soit nous avons une égalité relative, soit nous n'en avons pas. Soit nous avons des riches, et donc le pouvoir du marché, soit nous n'en avons pas. Et il est évident que pour Rothbard, l'"anarcho"-capitalisme ne serait exister sans ses millionnaires (d'après lui, il n'y a rien de contradictoire avec le libertarianisme dans « la hiérarchie, le salariat, l'octroi de fonds par les millionnaires libertariens, et un parti libertarien[14] »). Nous en avons fini avec le pouvoir du marché et l'asservissement extensif.

Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature »[15], il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté » deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feraient qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres[16]. »