Révolution russe

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Catégorie:Révolution russe

En 1917, la Russie est en guerre depuis trois ans aux côtés de ses alliés, la France, l’Angleterre et l’Italie, et contre les empires centraux, en particulier l’Allemagne. C’est un élément déterminant pour comprendre le coup de force bolchevique d’octobre. « La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution » avait dit Lénine un jour. Car la question de la guerre va, tout au long de l’année 1917, accélérer les événements.


« La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution » (Lénine)


Cette guerre provoque l’effondrement du régime tsariste lors de la révolution de février 1917, à Petrograd (Saint-Petersbourg), en raison des défaites militaires et de la désorganisation économique qu’elle suscite. Le tsar, Nicolas II, abdique le 2 mars. Le même jour est formé un gouvernement provisoire dirigé par le prince Lvov. Ce dernier appartient au KD, le Parti constitutionnel-démocrate, fondé en 1905. Ce parti libéral entend instaurer en Russie un régime démocratique et parlementaire et souhaite mener le pays vers le capitalisme et la modernité. Une Assemblée constituante doit être élue. Dans ce gouvernement figure aussi Alexandre Kerenski, au ministère de la Justice, qui est un socialiste-révolutionnaire (SR). Le parti SR a été fondé en 1901 et est issu des révolutionnaires des années 1870-1880.

Mais lors de cette révolution de février sont apparus aussi des soviets, « conseils » en russe. Ces soviets sont des conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans qui se veulent une représentation plus directe. Ils sont dominés par des socialistes modérés.

Le gouvernement provisoire s’appuie sur deux organismes : la Douma, ancienne Assemblée législative qui hérite du pouvoir officiel, et le Soviet de Petrograd, qui est une vaste assemblée révolutionnaire bénéficiant de l’appui de tous les soviets locaux. Ce gouvernement prend des mesures importantes : instaurations des libertés fondamentales et du suffrage universel, abolition de la peine de mort, suppression de toute discrimination, promesse d’autonomie pour les minorités nationales.

La révolution de février voit aussi l’émergence de ce que Nicolas Werth a appelé la « révolution de la parole ». Des meetings s’improvisent un peu partout dans les rues. Des centaines de soviets sont créés dans le pays, qui sont autant de lieux de débats rassemblant des paysans, des soldats ou des ouvriers. Dans les campagnes, on cherche à organiser le partage des terres. Des comités d’usines et des comités de quartiers sont installés aussi. Enfin, des « gardes rouges » se mettent en place : il s’agit en fait de milices ouvrières armées, grâce au pillage des arsenaux, qui doivent protéger les usines mais aussi « sauvegarder » la révolution. Ces milices sont en fait sous l’influence des bolcheviks dont la propagande exalte la « lutte des classes ».

Les événements de février sont considérés par les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks et les bolcheviks comme la première phase de la révolution, la phase « bourgeoise ». Après cette révolution « bourgeoise » doit venir la révolution du « prolétariat ».


Une conception centralisée de la révolution


Exilé à Zurich, Lénine met en garde contre le « défensisme révolutionnaire ». Dans ses « Lettres de loin », rédigées du 20 au 25 mars 1917, il appelle à la rupture entre le soviet et le gouvernement et à préparer la phase « prolétarienne » de la révolution. Il souligne d’ailleurs que l’apparition des « soviets prolétariens » révèle que la phase bourgeoise de la révolution est déjà dépassée. Mais qui est ce Lénine, qui sera le chef de la Russie à l’issue du coup d’État d’octobre ?

Son vrai nom est Valdimir Ilitch Oulianov. Né en 1870 dans une famille bourgeoise russe, il entre en contact avec des cercles marxiste à partir de 1891. Sa principale préoccupation, dans sa réflexion sur le marxisme, est de lier théorie et action. En 1895, il fonde l’un des premiers cercles social-démocrate qui vise au combat révolutionnaire. Il est arrêté, exilé, ce qui ne l’empêche pas de développer ses vues, à savoir la nécessité d’une révolution socialiste, d’un parti révolutionnaire centralisé et discipliné qui sera l’avant-garde du prolétariat, ainsi que l’instauration d’une dictature du prolétariat, comme le préconisait Marx.

En 1903, ce sont ces conceptions qu’il parvient à faire triompher au Congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). Cet événement provoque une scission entre « bolcheviks », les « majoritaires », qui acceptent les idées de Lénine, et les « mencheviks », les « minoritaires », qui les refusent parce qu’ils craignent une révolution prématurée. Les bolcheviks se constituent en parti indépendant en 1912. Ils représentent la tendance la plus antidémocrate de la social-démocratie russe, tandis que les mencheviks en sont l’aile modérée.

À partir de la Première Guerre mondiale, Lénine, de nouveau en exil, en Suisse principalement, répète son mot d’ordre : il faut transformer la « guerre impérialiste » en guerre civile. C’est à Zurich qu’il apprend la nouvelle de la révolution de février. Il revient à Petrograd en avril. Là, il s’oppose énergiquement au gouvernement provisoire et à la République parlementaire.

Lénine publie dans la Pravda, le journal du parti bolchevique, ses fameuses Thèses d’avril dans lesquelles il prône la paix immédiate, promet tout le pouvoir aux soviets, préconise la confiscation des domaines des propriétaires fonciers et la nationalisation des terres ainsi que celle des banques. À l’issue du Congrès du parti bolchevique qui se tient du 24 au 29 mars, les thèses de Lénine sont adoptées.

Toutefois, il existe une contradiction flagrante entre la conception léniniste de la révolution (centralisée) et la forme réelle de la révolution de février (décentralisée). En effet, Lénine préconise la révolution du Parti, avant-garde du prolétariat, donc une révolution centralisée. Au contraire, en février 1917 se sont multipliés, comme nous l’avons vu, les soviets. C’était une organisation presque spontanée, décentralisée, qui est donc totalement opposée à une révolution centralisée. Lénine résout le problème de la façon suivante : il compte donner « tout le pouvoir aux soviets » ; et, dans un second temps, les bolcheviks devront les infiltrer, puis en prendre le contrôle et enfin les transformer en simples relais du Parti. Voilà comment passer d’une révolution décentralisée à une révolution centralisée.


L’échec de l’offensive du 18 juin


La question de la guerre va accélérer les choses. Après les événements qui l’ont agité en février et mars 1917, la Russie tient à rassurer ses alliés. Le 18 avril, le ministre des Affaires étrangères Pavel Milioukov publie une note : la Russie tiendra ses engagements envers ses alliés et se battra jusqu’à « la victoire finale ». Cette note provoque la stupéfaction dans l’opinion qui veut la fin de la guerre. Des mouvements protestataires ont lieu, des heurts violents se produisent. Milioukov doit démissionner.

Un nouveau gouvernement provisoire est formé le 5 mai. Les constitutionnels-démocrates obtiennent sept portefeuilles et les socialistes, parmi lesquels Kerenski, six. Les socialistes participant à ce nouveau gouvernement sont des SR et des mencheviks. Désormais, ils sont en quelque sorte « mouillés » puisqu’ils participent à la gestion des affaires de l’État « bourgeois ». Par conséquent, la contestation et les revendications sont laissées à l’initiative des seuls bolcheviks qui, eux, refusent d’apporter le moindre soutien au gouvernement provisoire.

Kerenski est favorable à une paix négociée et sans annexion. Mais il veut négocier en position de force. Et pour cela, il faut prendre l’avantage sur l’ennemi. En conséquence, Kerenski décide d’une offensive contre les Allemands. L’attaque début le 18 juin. Mais la contre-offensive allemande, qui débute le 2 juillet, provoque la défaites des troupes russes. Cet échec discrédite beaucoup le régime.

Et entre-temps, les tensions sociales se sont exacerbées. La radicalisation populaire est encouragée par les bolcheviks qui en profitent ainsi pour accentuer leur pression et leur influence alors qu’ils sont minoritaires dans les syndicats et les soviets. De plus, le Ier Congrès réunissant tous les représentants des soviets russes du 3 au 23 juin rassemble une majorité de délégués SR et mencheviques. Les bolcheviks sont très minoritaires. Et pourtant, ce sont eux qui vont prendre l’initiative. Ils exigent que le Congrès se rebaptise « Convention révolutionnaire ». Lénine rétorque à ceux qui font remarquer qu’aucun parti ne peut supplanter le gouvernement : « Un tel parti existe. Aucun parti n’a le droit de refuser le pouvoir et notre parti ne le refuse pas. Il est prêt à tout moment à prendre le pouvoir entre ses mains. »


Le putsch de Kornilov et le retour des bolcheviks


La question de la guerre est encore à l’origine des journées de troubles qui ont lieu en juillet. À la fin du mois de juin, le gouvernement décide d’envoyer au front une partie des régiments de Petrograd. Mais l’un d’eux, le Ier régiment de mitrailleurs, refuse de partir. Il est en rébellion ouverte contre le gouvernement. Le 3 juillet, plusieurs unités passent à l’action. Les leaders socialistes-modérés cherchent à calmer les manifestants. Le 4 juillet, la confusion est totale. Des milliers de marins de Kronstadt sont arrivés à Petrograd pour en finir avec le gouvernement. De son côté, Lénine ne donne aucune consigne précise. La foule, sans but, se disperse rapidement.

Persuadé que Lénine prépare un coup d’État, le gouvernement fait venir des troupes sûres à Petrograd et met la capitale en état de siège. Des centaines de bolcheviks sont arrêtés, le parti bolchevique est interdit et Lénine s’enfuit en Finlande. Après ces journées, un nouveau gouvernement est formé, dirigé par Kerenski. Les constitutionnels-démocrates et les socialistes modérés cohabitent.

Les bolcheviks étant mis hors jeu, la tentation de remettre de l’ordre dans le pays est grande. Les groupes conservateurs jouent alors les premiers rôles dans la sphère du pouvoir. Kerenski prend des mesures radicales afin de restaurer l’ordre : rétablissement de la peine de mort sur le front, limitation des droits des comités de soldats et répression des troubles agraires. Dans ce contexte, un homme fort émerge : le général Lavr Kornilov. Il est considéré comme l’homme du recours à la fois par les milieux conservateurs et les alliés de la Russie, qui craignent de voir celle-ci sombrer dans le chaos. Kornilov tend à devenir le rival de Kerenski. En effet, non seulement il est considéré comme un homme fort mais en plus il n’a pas un passé de révolutionnaire et n’est pas compromis par ses liens avec le soviet, contrairement à Kerenski.

Du 12 au 20 août, une conférence d’Etat consultative qui réunit les représentants du patronat, des syndicats, des partis politiques, des groupes professionnels et des Eglises vire à l’affrontement entre Kornilov et Kerenski. Cet affrontement tourne à l’avantage du militaire. Ce dernier se déclare donc, le 24 août, prêt à prendre la tête d’un régime dictatorial. Keresnki, inquiet, demande alors à ses ministres KD les pleins pouvoirs. Mais les constitutionnels-démocrates les lui refusent. Kerenski démet Kornilov de ses fonctions.

Le 26 août, ce dernier fait marcher ses troupes sur Petrograd. Kerenski met en place un comité rassemblant les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks et les bolcheviks, ces derniers sortant ainsi de la clandestinité. Le lendemain, le putsch échoue et Kornilov est arrêté. Les bolcheviks font leur rentrée au grand jour sur la scène politique. D’ailleurs, Kerenski dira plus tard : « Sans le putsch de Kornilov, il n’y aurait pas eu Lénine. » La situation est favorable aux bolcheviks : Kerenski est considéré comme leur otage par le haut commandement qui lui retire sa confiance et les constitutionnels-démocrates sont discrédités car ils ont soutenu Kornilov.


La révolution d’octobre fut un coup d’État


La Russie sombre dans le chaos et le désordre le plus total. Toute forme d’autorité a disparu. Les désertions dans l’armée sont extrêmement nombreuses, des émeutes, des saccages et des meurtres ont lieu dans les campagnes contre les propriétaires fonciers. Et dans les villes, les tensions sociales se durcissent en raison de la mauvaise situation économique qui se traduit par le chômage et l’augmentation des prix. Les masses populaire se radicalisent : dans les comités d’usine par exemple, on parle de « contrôle ouvrier » sur l’entreprise, les stocks et les approvisionnements, ainsi que de « nationalisation ».

Toutefois, cette radicalisation des masses populaires ne constitue en aucun cas une quelconque « bolchevisation » de la société, c’est-à-dire une adhésion au idées bolcheviques. D’abord parce que les ouvriers ou les paysans d’une part, et les militants bolcheviques d’autre part ne mettent pas la même signification sur les mots des slogans. Ensuite, le parti bolchevique ne représente, début octobre, que 100 à 200 000 membres, ce qui implique qu’une énorme majorité de mécontents n’appartient pas à ce parti. En outre, dans les campagnes, le partage des terres se fait en fonction du nombre de personnes à nourrir, ce qui est totalement opposé aux conceptions des bolcheviks qui prônent la nationalisation : en clair, la révolution paysanne est totalement autonome. De surcroît, en milieu rural, les bolcheviks sont peu, voire pas connus des habitants. La société, dans son ensemble, n’adhère donc pas aux idées communistes.

Par conséquent, la vulgate des historiens marxistes ne résiste pas à l’épreuve des faits. L’historiographie marxiste en effet affirmait que la révolution d’octobre était l’aboutissement d’une dynamique qui avait été impulsée par les masses populaires ralliées consciemment aux idées bolcheviques. La révolution n’était donc pas un coup d’État selon elle.

En réalité, dans le vide institutionnel provoqué par la défaillance de toute autorité, avec la décomposition de l’armée et dans le chaos de la société (jacquerie paysanne, revendications du mouvement ouvrier), un groupuscule bien organisé, le parti bolchevique, est parvenu à exercer une autorité qui était sans rapport avec sa force réelle. Les bolcheviks ont donc su tirer profit d’une situation chaotique et ont préparé avec un grand soin ce qu’il convient bien d’appeler un coup d’État. Ils ont pris le pouvoir par la violence alors que leur assise réelle dans le pays était presque négligeable.


Le 25 octobre, le Palais d’Hiver est envahi par les gardes rouges


En septembre, les bolcheviks obtiennent la majorité dans les soviets de Petrograd et d’une cinquantaine d’autres villes. Inquiet face à cette menace, Kerenski instaure un Conseil de la République qui est chargé de préparer les élections à l’Assemblée constituante. La première séance se tient le 7 octobre mais les bolcheviks quittent la salle : ce n’est pas en participant à un parlement ou en préparant des élections que l’on fait la révolution d’après les communistes.

Le même jour, Lénine rentre de son exil à Petrograd. Le 10 octobre, il parvient à convaincre les membres du Comité central, l’organe suprême du Parti bolchevique regroupant les principaux dirigeants, de la nécessité de l’insurrection armée. Pourquoi Lénine veut-il la violence immédiate ? Il avait rédigé deux lettres, les 12 et 14 septembre, dans lesquelles il condamnait le « légalisme révolutionnaire » – il faut entendre, par cette expression, le respect d’un certain fonctionnement démocratique, légal ; mais la loi émane de la « bourgeoisie »… « Dès lors qu’ils ont la majorité dans les soviets des deux capitales, avait-il écrit, les bolcheviks peuvent et doivent prendre le pouvoir. » Alors, « les bolcheviks établiront un gouvernement que personne ne renversera ». « Il serait naïf d’attendre une majorité "formelle" en faveur des bolcheviks. Aucune révolution n’attend ça. » En d’autres termes, les élections, typiques des régimes démocratiques, ne sont que des « formalités » qui entravent l’action révolutionnaire. Les élections auxquelles il est fait allusion sont celles du IIe Congrès des soviets qui doit s’ouvrir le 20 octobre. Car même si les bolcheviks sont assurés de remporter un certain nombre de sièges – nous avons dit qu’ils ont obtenu la majorité dans les soviets de plusieurs villes –, ils devront gouverner avec les SR et les mencheviks. Or, Lénine ne souhaite pas partager le pouvoir ; le Parti bolchevique doit s’attribuer la totalité des pouvoirs.

Les préparatifs du coup de force sont minutieux. Le 16 octobre, un comité militaire révolutionnaire est créé. C’est à travers lui que les bolcheviks vont agir. Kerenski de son côté sous-estime la menace d’un complot. Quelques milliers de soldats ainsi que quelques centaines de militants bolcheviques prendront part au coup d’État.

Le 22 octobre, le comité militaire révolutionnaire fait savoir au commandement militaire de la garnison de Petrograd que les ordres de l’état-major ne seront applicables qu’après avoir été contresignés par lui. Le 23, chaque camp cherche à gagner du temps : ultimatums et menaces se succèdent.

Le 24, le gouvernement fait poster des bataillons aux points stratégiques de la ville. Quelques dizaines de cosaques et de volontaires viennent renforcer la garde du palais d’Hiver, où siègent Kerenski et son gouvernement. Ce dernier décide également de lever les ponts de la Neva afin d’empêcher que d’éventuels manifestants venus des quartiers ouvriers ne gagnent le centre-ville. Surtout, deux journaux bolcheviques sont fermés. Ceci est considéré comme un acte « contre-révolutionnaire » par les bolcheviks qui passent alors à l’action. Les troupes bolcheviques prennent le contrôle des points stratégiques : postes, gares, ponts, télégraphes, banques.

Le 25 octobre, vers 9 h du matin, Kerenski quitte discrètement la capitale dans le but d’aller chercher des renforts… qui ne viendront jamais. À 9 h 45, une déclaration rédigée par Lénine est transmise à la presse : « Le gouvernement provisoire a été déposé. L’autorité gouvernementale est passée aux mains de l’organe du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, le comité militaire révolutionnaire, qui s’est mis à la tête du prolétariat et de la garnison de Petrograd. L’objectif pour lequel le peuple a combattu […] est atteint. » Cette déclaration signifie que le pouvoir est détenu par un organisme qui ne dépend de personne, et surtout pas du Congrès des soviets, pour la raison qu’on a vue plus haut : Lénine rejette leur « légalisme ».

Au palais d’Hiver, les ministres attendent les renforts espérés. À 18 h 30, le comité militaire révolutionnaire lance un ultimatum : les ministres doivent se rendre ou alors les bolcheviks feront feu. Il est 21 h lorsque le croiseur Aurore tire à blanc sur le palais. La forteresse Pierre-et-Paul tire à son tour quelques obus qui n’infligent que des dégâts mineurs à l’édifice. Mais les bruits des détonations et des obus s’écrasant suffit à faire fuir la majorité des défenseurs. Le Palais d’Hiver n’est pas pris d’assaut, mais envahi par les gardes rouges après qu’il ait renoncé à se défendre. Six membres des forces gouvernementales sont tués : elles sont les premières victimes du communisme.

À 23 h 10, le IIe Congrès des soviets s’ouvre. Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks condamnent l’action des bolcheviks, ce qui leur vaut la réplique fameuse de Trotski : « Vous êtes de pauvres types qui avez fait faillite. Votre rôle est terminé. Allez où vous devez vous trouver : dans les poubelles de l’Histoire ! » Ils quittent la salle. Seuls les SR de gauche se montrent favorables aux bolcheviks.

Le 26 octobre, à 2 h 10 du matin, les ministres sont arrêtés. Lénine fait ratifier le coup d’État par un Congrès croupion puisqu’il n’y reste que les bolcheviks et leurs alliés SR de gauche. Le texte ratifié stipule qu’il donne « tout le pouvoir aux soviets ». Cette manÅ“uvre est une pure fiction faisant croire que les bolcheviks gouvernent au nom du peuple alors qu’en réalité ils n’ont aucune légitimité. Un Conseil des Commissaires du peuple – nom donné aux ministres bolcheviques – est institué : c’est le nouveau gouvernement de la Russie. L’une des premières mesures de ce gouvernement est de signer l’armistice avec l’Allemagne, le 14 novembre.


Le début d’une tragédie mondiale


La révolution d’octobre qui voit le triomphe de Lénine et de son parti aura des répercussions importantes. La première conséquence est l’instauration d’un régime totalitaire. La terreur est à l’ordre du jour. Elle vise en effet à supprimer les bourgeois, qui sont des contre-révolutionnaires par nature, ainsi que les koulaks, les paysans riches. La terreur se justifie par le danger de contre-révolution.

Dès le mois de décembre, les théories de Marx sur la guerre des classes sont mises en application : les logements des classes moyennes sont partagés avec les ouvriers ou les agriculteurs ; les affaires des petits commerçants sont confisquées et données à leurs employés ; les officiers sont réduits en esclavage. Dans le même temps, une Assemblée constituante est élue mais les bolcheviks subissent un cuisant échec, obtenant 9 millions de suffrages sur les 32 millions exprimés : Lénine dissout donc l’Assemblée. Après tout, le verdict des urnes n’est qu’une règle démocratique « bourgeoise ».

Une police politique est instaurée en septembre 1918, la Tchéka. Elle est dotée de tous les pouvoirs arbitraires. Les assassinats politiques sont massifs. Les premiers camps de concentration sont créés. Un régime de parti unique – le parti bolchevique est devenu, le 7 mars 1918, Parti communiste de Russie – avec idéologie officielle s’est installé en Russie. Ainsi, avec la révolution d’octobre, le communisme cessait d’être une simple doctrine et devenait une réalité. Une réalité terrifiante.

Car, plus globalement, avec cette révolution, c’est le premier totalitarisme de l’histoire qui commençait son Å“uvre macabre. En Russie, il sévira pendant plus de soixante-dix ans. Il ensanglantera d’autres parties du monde tout au long du XXe siècle : Asie, Europe de l’est, Afrique et Amérique. Il perdure de nos jours en Corée du Nord et à Cuba, et partiellement en Chine et au Vietnam. Enfin, en raison d’attitudes de réaction au bolchevisme, le communisme, qui se voulait internationaliste est, en partie du moins, responsable de l’émergence du fascisme, du nazisme et d’autres régimes autoritaires [1].

Un témoin privilégié de la révolution d’Octobre, John Reed, a écrit un livre sur ces événements : Dix jours qui ébranlèrent le monde. Le séisme communiste, effectivement, venait de faire trembler le monde. L’épicentre avait été Petrograd et les dégâts allaient s’étendre sur les cinq continents tout au long du XXe siècle. Le communisme sera responsable de la mort d’au moins cent millions de personnes à travers le monde. Octobre 1917 marquait le début d’une tragédie mondiale.



Bibliographie : FERRO, Marc, La Révolution de 1917. La chute du tsarisme et les origines d’Octobre, Paris, Aubier, 1967. SCHAPIRO, L., Les révolutions russes de 1917. Les origines du communisme moderne, Paris, Le Seuil, 1987. WERTH, Nicolas, 1917. La Russie en révolution, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1997. « 1917 : quand la révolution russe ébranle le monde » (dossier), L’Histoire, n° 206, janvier 1997, pp.22-49.


  • Le calendrier russe est le calendrier orthodoxe. Il est en retard de treize jours par rapport au calendrier grégorien. Ainsi, la révolution bolchevique eut lieu le 25 octobre en Russie mais le 7 novembre chez nous. Toutes les dates données dans cet article sont celles du calendrier orthodoxe.

[1] MARTINEAU, Pierre-Jean, « La prise du palais d’hiver », in L’Histoire, n° 268, septembre 2002, p. 53.