Violences urbaines
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Après que des émeutes raciales ont secoué les grandes villes américaines en 1968, le sociologue Kenneth Clark a déclaré devant la Commission Kerner réunie à la demande du Président Lyndon Baines Johnson : « Je lis ce rapport sur les émeutes de Chicago en 1919 et c'est comme si je lisais le rapport de la commission d'enquête sur les désordres à Harlem en 1935, le rapport de la commission d'enquête sur ceux de 1943, le rapport de la commission McCone sur les émeutes de Watts. Je dois sincèrement vous dire, Membres de la commission, qu'on se croirait dans Alice au pays des merveilles, avec le même film qu'on nous repasse éternellement : même analyse, mêmes recommandations, même inaction » [1].
La ville comme lieu d'intériorisation et de refoulement de la violence
Son intériorisation par l'urbanisation
Pour expliquer la sensibilisation accrue à la violence, on peut recourir à la théorie de la « civilisation des mœurs » selon laquelle l'Occident aurait connu à partir du Moyen Âge un long processus de polissage des mœurs : les conflits qui s'exprimaient dans des affrontements sanglants tendent de plus en plus à être intériorisés, par exemple via le sport. Selon Norbert Elias, le promoteur de ladite théorie, cette évolution n'est pas imputable à un simple accroissement du self control, mais à sa généralisation à tous les secteurs de la vie publique ou privée sous l'effet de plusieurs facteurs tels que la scolarisation, la diffusion des codes de cour et, enfin, l'urbanisation. La ville est donc ici réputée à l'origine de l'intériorisation de sa violence par l'Homme : l'évolution au sein de masses lui a imposé plus de retenue dans ses actes.
Il est néanmoins nécessaire de relativiser cette théorie, car on peut lui opposer celles qui mettent en avant une brutalisation de la société, que l'école du Mémorial de Péronne diffuse particulièrement en France. Ainsi, à leurs yeux ce phénomène d'augmentation du seuil de tolérance à la violence est un leurre : la violence a changé de forme et surtout de mode d'expression, mais elle demeure, et la sauvagerie est même croissante au cours du XXème siècle. Au contraire, elle devient un phénomène de masse, intégré comme jamais au quotidien des individus dès lors que la brutalisation est un phénomène d'Etat, que la conscription généralise le phénomène guerrier, que celui-ci relayé par les médias et que l'abaissement des barrières anthropologiques conduit à une invasion de la population civile et traditionnellement non combattante par la violence. Des éléments nouveaux comme le terrorisme sont interprétés comme à l'appui de cette thèse, pour laquelle le monde urbain et policé actuel n'en est pas moins envahi perpétuellement par une violence protéiforme.
On notera de même les théories avancées au sujet de la télévision et des jeux vidéo : pour certains, les films d'horreur, les séries policières, les reportages quotidiens sur des guerres et des attentats conduisent l'enfant à s'accoutumer à la violence, de même que le jeu vidéo, en intégrant l'individu à des scénarios qui fixent parfois comme but des actions en contradiction évidente avec les normes sociales, avec des moyens d'action répréhensibles du point de vue de la loi, familiariserait l'enfant à un mode de vie violent. Ceci est d'autant plus vrai selon les promoteurs d'une telle analyse que le joueur participe et n'est plus simple spectateur, et que le cadre des jeux est parfois tout à fait réaliste, mettant notamment en scène la ville. Ils partent donc du principe qu'un joueur n'est pas capable de faire la différence entre le monde virtuel et le monde réel. Globalement, la culture urbaine passe pour favoriser la violence dans nombre de cas : rap, métal, musique hardcore de façon générale, tags, etc.
Son refoulement à la marge des villes
À la suite de Norbert Elias, l'historien Jean-Claude Chesnais a souligné à son tour la baisse tendancielle de la violence dans les sociétés modernes en n'étudiant cependant que la violence proprement physique[2]. Mais d'autres théoriciens sont venus contredire cette idée à la suite des travaux que l'historien américain Tedd Gurr a réalisés dans les années 1970-1980, et qui interprètent la violence en terme de privation : elle se développerait lorsque l'élévation des aspirations des individus ne s'accompagne plus d'une amélioration comparable de leurs conditions de vie. C'est ce qui se serait produit dans les sociétés occidentales à partir des années 30, décennie au cours de laquelle Ted Gurr observe un retournement de tendance complet, c'est-à -dire désormais l'augmentation durable de la violence homicide, de la criminalité, des vols ou de la délinquance, selon une courbe en J. La thèse de Ted Gurr est parfois évoquée sous le nom de « théorie de la courbe en J » pour cette raison. En France, selon Sebastian Roché, cette montée continue s'observe à partir du milieu des années 50. Elle est par conséquent indépendante, selon lui, du contexte économique : « La délinquance en particulier augmente durant les années de reconstruction et de prospérité. Depuis le milieu des années 80, elle tend à stagner, et ce malgré l'augmentation du chômage de longue durée et les phénomènes d'exclusion »Cite error: Closing</ref>
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tag- ↑ Cité par Sophie Body-Gendrot, « L'insécurité. Un enjeu majeur pour les villes », in Sciences Humaines n° 89, décembre 1998.
- ↑ Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence, Robert Laffont, Coll. « Pluriel », 1981.