FAQAnar:G - Introduction

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FAQ anarchiste
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« L'anarchie c'est l'ordre moins le pouvoir »
G - L'anarchisme individualiste est-il capitaliste ?

G - Introduction
G.1 - Les anarchistes individualistes sont-ils anti-capitalistes ?



G.2 - Pourquoi l'anarchisme individualiste implique le socialisme ?



G.3 - À propos du soutient des anarcho-capitalistes aux "associations de défense" de Tucker
G.4 - Pourquoi les anarchistes socialistes rejettent les idées de l'anarchisme individualiste ?
G.5 - Benjamin Tucker, capitaliste ou anarchiste ?
G.6 - Les idées de Max Stirner
G.7 - Lysander Spooner, libertarien ou libertaire ?

Sommaire complet et détaillé

Catégorie:L'anarchisme individualiste est-il capitaliste ?

La réponse courte est non. Tous les anarchistes individualistes étaient opposés à l'exploitation du travail et à toutes les formes de revenus sans travail (tels que les profits, les intérêts et les rentes) et à la propriété. L'anarchisme individualiste est profondément anti-capitaliste, et de nombreux anarchistes individualistes, Benjamin Tucker y compris, se considèrent comme socialistes (en effet, Tucker a souvent appelé sa théorie "Anarchistic-Socialism" (socialisme anarchiste)).

Donc, dans cette section de notre FAQ anarchiste nous allons développer les raisons qui font que les anarchistes individualistes ne peuvent pas être classés comme les "ancêtres" des libertariens. A la place, ils doivent être (au vu de leur opposition à l'esclavage salarial, à la propriété capitaliste, aux intérêts, rentes et profits, aussi bien qu'en raison de leur souci pour l'égalité et la coopération) classés comme libertaires, quoiqu'étant l'aile libérale de la pensée anarchiste. Donc, même si quelques unes de leurs idées se recoupent avec celles des "anarcho"-capitalistes, ils ne sont pas capitalistes, pas plus que la similitude entre certaines de leurs idées et celles des anarcho-communistes font d'eux des communistes.

Dans ce contexte, la création de l'"anarcho"-capitalisme peut-être vu comme une nouvelle tactique des capitalistes pour réconforter le public dans l'idée qu'il n'y a pas d'alternative viable au capitalisme, en décrétant que "même l'anarchisme conduit au capitalisme". Afin de justifier cette déclaration, ils ont cherché dans l'histoire de l'anarchisme des mouvances qui pourraient être utilisées comme exemple. Ils pensent avoir trouvé avec l'anarchisme individualisme ce qu'ils cherchaient.

Cependant, ainsi que nous venons de le voir, par sa définition même -- comme opposition à toute autorité hiérarchique -- toutes les théories anarchistes sont incompatibles avec le capitalisme. Ainsi, Malatesta disait que

l'anarchie, tel qu'elle est comprise par les anarchistes et comme eux seuls peuvent l'interpréter, est basé sur le socialisme. En effet, s'il n'y avait ces écoles du socialisme qui divisent artificiellement l'unité naturelle de la question sociale' et examinent certains aspects en dehors de leur contexte... nous pourrions dire que l'anarchie est synonyme de socialisme, car les deux s'engagent pour l'abolition de la domination et de l'exploitation de l'homme par l'homme, qu'elles soient exercées par la baïonnette ou par le monopole des moyens d'existence. Sans socialisme, la liberté est simplement la liberté [...] pour les puissants et les propriétaires d'oppresser et d'exploiter les plus faibles, ceux qui n'ont rien [...] menant [ainsi] à l'exploitation et à la domination, en d'autres mots, à l'autorité [...] car la liberté est impossible sans égalité, et un véritable anarchisme ne peut exister sans solidarité, sans socialisme. (Anarchy, p.47 et p.46)

Néanmoins, c'est parmi les individualistes que l'anarchisme est le plus proche du libéralisme "classique" et devient influencé par les idées de Herbert Spencer, un libéral classique et un proto-libertarian capitaliste. Cette influence, comme le notait Pierre Kropotkine en son temps (par exemple dans La Science moderne et l'anarchisme), a conduit des anarchistes individualistes comme Benjamin Tucker à soutenir la théorie du contrat au nom de la liberté, sans apparemment se rendre compte des rapports sociaux autoritaires qu'elle pourrait entraîner, comme on peut le voir sous le capitalisme. Toutefois, cette section peut aussi être considérée, en partie, comme la continuation de la discussion commencée à la section A.3.

Peu de penseurs sont totalement cohérents. Tucker étant résolument anti-étatiste et anti-capitaliste, il est probable que, s'il avait perçu l'étatisme implicite dans la théorie du contrat, il aurait modifié sa position de façon à rester cohérent. Il est cependant compréhensible qu'il ne l'ait pas fait, car il voyait l'anarchisme individualiste comme une société de travailleurs, et non comme une société de capitalistes et de travailleurs. Son opposition à l'usure implique logiquement un travail artisanal et coopératif -- les gens vendant le produit de leur travail, non le travail lui-même -- ce qui implique aussi une autogestion de la production (et ainsi de la société), et non pas l'autoritarisme. Néanmoins, c'est cette incohérence -- l'aspect non anarchiste de l'anarchisme individualiste -- que des libertariens comme Murray Rothbard ont gardée et c'est sur elle qu'ils se sont focalisés, ignorant le contexte anti-capitaliste sans lequel cet aspect de la pensée individualiste ne peut exister. Comme David Wieck l'a montré :

De toute l'histoire de la pensée et de l'action anarchiste, Rothbard n'a extrait qu'un seul courant, celui de l'individualisme, et redéfinit cet individualisme d'une façon étrangère (alien) même à l'esprit d'un Max Stirner ou d'un Benjamin Tucker, dont je suppose qu'il se réclamerait l'héritier ; sans mentionner combien sa conception est étrangère à l'esprit de Godwin, Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Malatesta, et tous les anonymes de l'histoire qui par leur pensée et leur action ont tenté de donner un sens vivant à l'anarchisme. De ce seul courant, Rothbard fabrique une idéologie bourgeoise de plus. (Anarchist Justice, Nomos XIX, p. 227 à 228)

Il faut garder cela à l'esprit quand on discute des idées de personnes comme Tucker. Comme cette section de la FAQ va le montrer, même le côté le plus libéral, individualiste, et extrême de l'anarchisme était fondamentalement anti-capitaliste. Chaque concept que l'"anarcho"-capitalisme tire de la tradition individualiste ignore aussi bien les fondements théoriques de leurs idées que le contexte social de travail autonome et de production artisanale dans lesquels ces concepts ont surgi, les transformant ainsi en quelque chose de radicalement différent de ce que visaient leurs créateurs.

Nul besoin de le dire, les "anarcho"-capitalistes sont tout à fait conscients du fait que les anarchistes individualistes étaient clairement hostiles au capitalisme tout en soutenant le "libre marché". Sans surprise, ils essayent de minimiser cette opposition, souvent en prétendant que les anarchistes qui montrent les positions anti-capitalistes de penseurs comme Tucker et Spooner les citent hors de leur contexte. La vérité est tout autre. En fait, ce sont les "anarcho"-capitalistes qui sortent les idées des anarchistes individualistes de leurs contexte à la fois historique et théorique.

Ce n'est pas rendre un digne hommage aux anarchistes individualistes de laisser leurs idées associées au capitalisme que si clairement ils dédaignaient et souhaitaient abolir. Comme le soutient un anarchiste individualiste moderne :

Il est temps que les anarchistes reconnaissent les apports précieux [...] de la théorie anarchiste individualiste et bénéficient de ses idées. Il serait à la fois futile et criminel de la laisser aux capitalistes libertariens, dont la récupération de Tucker et des autres n'est possible qu'en ignorant leur violente opposition à l'exploitation capitaliste et à la "libre-entreprise" monopoliste, soutenues par l'état. (J.W. Baker, Native American Anarchism, in The Raven, p. 43 à 62, vol. 10, n°1, p. 61 à 62)