Le féminisme comme fascisme

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Le féminisme comme fascisme est un texte de Bob Black écrit en 1983.


Comme le souligne un classique pour les enfants, les porcs sont des porcs (Pigs is Pigs) quelle que soit la forme de leurs génitoires. Ilse Koch était une nazie, pas une « soeur ». L'amour, ça n'est pas la haine, la guerre n'est pas la paix, la liberté n'est pas l'esclavage, et brûler des livres n'est pas libérateur. Les anti-autoritaires qui veulent devenir révolutionnaires ont à faire face à beaucoup de questions difficiles. Ils devraient commencer, toutefois, par répondre correctement à celles qui sont faciles.

Toute hyperbole et métaphore mises à part, ce qui se fait passer pour du « féminisme radical » est du fascisme. Il fait la promotion du chauvinisme, de la censure, du maternalisme, de la pseudo-anthropologie, de la désignation de boucs émissaires, de l'identification mystique avec la nature, d'une religiosité pseudo-païenne, d'une uniformité obligatoire de pensée et même d'apparence (parfois Hera vient en aide à la féministe « féminine » ou ectomorphe !). Voilà toute la théorie et bien trop de la pratique que nous devrions maintenant tous être capable de reconnaître. C'est dans la complémentarité entre des procédés de police privée et les méthodes étatiques de répression, qu'on retrouve aussi une sinistre continuité tactique avec le fascisme classique. C'est ainsi que Open Road, le Rolling Stone de l'anarchisme, a applaudi des actions antiporno à Vancouver (non pas comme action directe, donc compréhensible, même mal dirigée mais plutôt) parce qu'elle a encouragée des procureurs léthargiques a entamer des poursuites. Après la première guerre mondiale, en Italie, les bandes fascistes attaquaient les organisations socialistes et syndicales avec l'accord tacite de la police, qui n'intervenait jamais, sinon contre la gauche (la suppression du syndicat IWW aux États-Unis s'est faite de la même manière). Comme je l'ai remarqué moi-même un jour avec étonnement : « Comment se fait-il que les seuls mecs avec qui ces filles acceptent de coucher soient procureurs ? »

Non pas que je me soucie le moins du monde de l'avenir de l'industrie pornographique, de sa « liberté d'expression », de ses droits ou de ses biens. Mon propos est tout autre : pourquoi isoler cette forme particulière de commerce ? Cibler l'industrie porno révèle des priorités et un programme, non pas une spontanéité anticapitaliste. Ceux qui appliquent une politique mûrement réfléchie ne peuvent se plaindre qu'on leur demande les raisons qui les font agir, ni qu'on remette celles-ci en question.

L'idéologie fasciste a toujours une façon incongrue d'affirmer à son public, son peuple élu, qu'il est à la fois et de façon simultanée opprimé et supérieur. Les Allemands n'ont pas vraiment perdus la Première Guerre mondiale – c'était impossible, ex hypothesis, étant donné qu'ils sont supérieurs – on les avait donc poignardés dans le dos. (Mais alors comment la race supérieure avait-elle pu se laisser coincer dans une situation pareille ?) Les hommes et rien qu'eux, nous dit-on dans un manifeste antiporno/féministe paru dans Kick it Over, un journal de Toronto, « ont créé cette culture destructrice de la nature et haïssant les femmes ». Si c'est le cas, et bien, soit les femmes n'ont contribué en rien à la culture, ou alors il y a plus et autre chose dans cette culture que la destruction de la nature et la haine des femmes.

Ces féministes à la radicalité auto-proclamée réduisent les femmes à des victimes impuissantes du mépris et de la coercition masculine, des quasi-légumes apeurés, pour des raisons qui leur sont propres (dont certaines sont aussi futiles que la concurrence sexuelle avec les hétéros mâles pour les femmes qu'elles désirent aussi). Ce qui représente une insulte plus grave pour les femmes que les pires idéologies patriarcales – l'idée juive de la femme comme source de pollution, par exemple, ou le cauchemar chrétien de la femme comme tentatrice et déchaînement sexuel incontrôlable de la nature – n'égalèrent jamais. Ils ont sali la femme, la présentant comme le mal, mais ne pouvait la considérer comme impuissante. Le récent stéréotype de la femme-comme-victime est non seulement un héritage direct de l'attitude victorienne patriarcale réduisant les femmes (bourgeoises) à d'inertes ornements de salon, mais en déniant aux femmes la créativité qui existe en tout être, il rabaisse leurs revendications au niveau de celles qu'on formule, disons, pour les bébé-phoques.

Imaginons que les choses n'aient pas été aussi catastrophiques, par exemple qu'au contraire de ce qu'avancent les féministes les plus enragés, de concert avec les pires misogynes, les femmes aient été autant sujets de l'histoire qu'objets de celle-ci. Alors comment est-ce que les femmes – ou n'importe quelle autre minorité opprimée ; Noirs, ouvriers, peuples indigènes – peuvent-elles êtres lavées de tout soupçon de complicité dans les arrangements qui les condamnait à vivre sous le joug ? Elles avaient des raisons de s'en accommoder. Nier leur existence n'est pas excusable.

Il ne s'agit pas d'aigreur mal placée. Le fait que certaines femmes n'aiment pas les hommes ne m'a jamais dérangé, même si elles vont jusqu'à refuser toute relation avec eux. Moi-même, la plupart des hommes me déplaisent, en particulier ceux qui collent aux archétypes « masculins ». Je ne peux toutefois m'empêcher de remarquer que la plupart des femmes réagissent autrement. Les féministes radicales l'ont également remarqué, et cela les conduit à faire preuve de confusion dans leur discours. Je suis le premier à admettre que les majorités peuvent avoir tort. Si ça n'était pas le cas, nous serions effectivement les marginaux disjonctés, les énergumènes impuissants que presque tout le monde nous accuse d'être. Mais lorsque je critique les majorités, je ne prétend pas pour autant parler à leur place. Les féministes radicales, elles, sont avant-gardistes. En tant que telle il leur faut rationaliser leurs animosités, et elles s'y sont employés – leurs préjugés les ont poussées à concevoir un déterminisme démoniaque de la biroute. Haïssant les hommes, elles ne peuvent que haïr les femmes.

Mettre la pornographie et le viol sur le même plan – ce qui, sous un habillage rhétorique venimeux, semble être l'axiome fondamentale du mouvement antiporno – est sans doute destiné à présenter le porno sous un jour plus sérieux. Et pourtant, si ce sont les hommes qui décident, et que la tendance inhérente au système (comme on nous le dit) est de dénaturer les initiatives oppositionnelles dont le féminisme représente la plus révolutionnaire, alors le résultat probable est présenter le viol sous un jour plus dérisoire. Vieille histoire de la femme qui criait au loup. (De la même manière, la manipulation médiatique selon laquelle « l'antisionisme est de l'antisémitisme » a fait merveille pour innocenter l'État d'Israël jusqu'à ce que son expansionnisme exterminateur engendre des antisionistes susceptibles de prendre les diffamations de B'nai B'rith au pied de la lettre).

D'après l'épistémologie féminoïde, les hommes ne comprennent rien à la vraie nature des femmes. On pourrait logiquement en déduire que la séparation des deux sexes, résultat de rôles disparates et de la discrimination, serait à double tranchant, et c'est la conclusion à laquelle parviennent bon gré mal gré la plupart d'entre nous. Mais non : les hommes ne comprennent pas les femmes, mais les femmes, par contre (ou du moins leur avant-garde féministe), comprennent les hommes. Les femmes – ou du moins, les expertes féministes – comprennent la pornographie et le sens qu'elle a pour les hommes bien mieux que les mâles qui l'écrivent et la lisent – et les lesbiennes séparatistes, qui évitent les hommes et s'abstiennent de faire l'amour avec eux, sont les mieux placés. Plus on est loin de la vie réelle des hommes en chair et en os, mieux on les comprend. Si l'on pousse ce raisonnement jusqu'au bout, le pape n'est-il pas alors, ainsi qu'il le prétend, l'autorité suprême en ce qui concerne la sexualité et les femmes ?

Le rapport supposé entre pornographie et viol est allégorique et non pas empirique. C'est une corrélation comparable au fantasme récemment réssuscité par les médias, l'enchaînement soi-disant fatal de la marijuana - « le joint qui rend fou » - à l'héroïne, aussi absurde que commode du point de vue d'une propagande d'État. Si le féminisme n'existait pas, les politiciens conservateurs auraient à l'inventer. (Pourquoi est-ce que des législatures exclusivement constituées d'hommes ont-elles criminalisé, en priorité, « l'obscénité » ? Et pourquoi des tribunaux exclusivement masculins privent-ils donc les auteurs d'un tel délit de toute protection constitutionnelle ?) Si les harpies du mouvement antiporno avaient un jour affaire à des gens en chair et en os plutôt qu'à leur projections enfiévrées, elles découvriraient sans doute que le porno n'a aucun intérêt pour la majorité des mâles ayant dépassé la puberté – non qu'ils soient politiquement corrects, mais parce que c'est manifestement grossier, vulgaire, et surtout, très inférieur à la chose elle-même.

Ces féministes, prêtes à brûler des livres, ne sont que de lâches opportunistes. Si ce qu'elles refusent c'est la socialisation subliminale des femmes dans des rôles de soumission vis-à-vis des hommes (curieusement, adopter ce genre de rôle vis-à-vis de lesbiennes dominatrices n'est pour elles qu'un plaisir innocent), leurs cibles principales devrait être Cosmopolitan, les romances de Barbara Cartland et la littérature de gare crypto-pornographique écrite par et pour des femmes. Après tout, le sang et la violence ne sont que des dérivatifs : on ne peut martyriser que des martyrs. Il y a quinze ans, les fondatrices du mouvement de libération des femmes (devenues aujourd'hui prêtresses, avocates, et bureaucrates de haut vol) s'en prenaient au moins à des ennemis puissants, comme Hugh Hefner et Andy Warhol. De nos jours, elles se contentent de terroriser des adolescents punks anarchistes (anecdote lue dans The Match !) dont les collages insinuent que Margaret Thatcher, en l'occurrence, est une dirigeante, « la mère d'un millier de morts », et non pas « une soeur ». Telle est la logique de cet étrange déterminisme biologique : tout animal équipé d'un vagin est l'une d'entre Nous, et tout être doté d'une verge est de l'autre bord, quelqu'un de chez Eux. On ne peut alors que répéter ce que disait le Firesign Theatre : « Qui donc est nous, au juste ? »

Les mâles gauchistes, par exemple, sont souvent prêts à bêtement approuver n'importe quelle exagération féministe. À leur culpabilité pour des fautes passés (d'une façon générale, ceux qui se sentent coupables – vis-à-vis des femmes, des Noirs, des étrangers ou de n'importe quoi – le sont effectivement) se mêle l'ambition de se taper les féministes gauchistes. Berkeley en Californie (tout près de là où j'habite) est ainsi bourré de « féministes » mâles qui ont convaincu les plus faciles de se laisser baiser. Ce genre d'arnaques est également très courant à Toronto, et sans aucun doute dans beaucoup d'endroits. En elles-mêmes, ces ambitions mesquines ne discréditent pas les idéologies dont elles ne sont que l'émanation – les pires des raisons peuvent mener aux plus justes conclusions. Mais, dans la mesure où les opinions en jeu paraissent stupides à quiconque n'a pas de raisons cachées de les embrasser, ces paroxysmes d'intellectuels masculins ne trouvent d'explications plausibles qu'en tant que rationalisations hypocrites.

Il est possible que l'idéologie que je viens d'éreinter soit une voie que certaines personnes ont dû emprunter pour se libérer suffisamment, de manière à concevoir un projet de libération collective. Un certains nombre d'apprenties du féminisme sont d'ores et déjà passées au stade supérieur, celui de la quête de liberté commune à tous, et n'en sont que meilleures d'avoir traversé cette épreuve. Nous avons tous des antécédents gênants (le marxisme, le libertarianisme, le syndicalisme, l'objectivisme) à mettre derrière nous : si on n'avait jamais pensé en termes idéologiques, il n'est pas certains qu'on se serait mis à penser par nous-mêmes. Être trotskyste ou jésuite, en soi, c'est être un croyant, c'est-à-dire une cloche. Et pourtant, un flirt poussé avec n'importe quel système, pour peu qu'il soit entrepris avec rigueur, peut ouvrir la voie qui permet d'échapper au Système dominant lui-même.

Une éventualité peu probable, toutefois, à l'heure où les critiques féminines du féminisme sont victimes d'un ostracisme qui les présente comme des renégates, tandis que les hommes sont ignorés ou vilipendés par principe. (Les sionistes ont mis en place un mécanisme parallèle pour que règne la conspiration du silence : les critiques venues des « goys » sont « antisémites », et celles des juifs brûlent d'une « haine d'eux-même caractéristique »). Le séparatisme peut paraître absurde comme projet de société et bourré d'incohérences (rares sont les séparatistes dont la sécession avec la société patriarcale soit aussi radicale que celle des survivalistes – et personne ne se mêle autant des affaires des autres que les séparatistes). Mais un demi-isolement rend l'endoctrinement des néophytes bien plus facile, réduisant au silence toute argumentation adverse, idée que les féministes partagent avec les Hare Krishna, les Moon et autres sectes. Par bonheur, leur doctrine et leur sous-culture sont aussi peu engageantes. J'ai remarqué que le féminisme radical à tendance à grisonner : à mesure que la contre-culture et les mouvements politiques des années soixante sont emportés dans les égouts de la mémoire, de moins en moins de femmes ont subi le shampouinage préparatoire au lavage de cerveau féministe. Les (soi-disant) féministes radicales agées d'une vingtaine d'années se font de plus en plus rares.

Le féminisme radical (rien ne sert de leur contester la formule) est donc une construction dogmatique, autoritaire, sexiste, que les révolutionnaires gratifieraient d'une légitimité imméritée en la prenant tout à fait au sérieux. Il est temps de cesser tout maternalisme avec ces terroristes du dérisoire et de les tenir responsables d'un prêchi-prêcha génocidaire, de la pratique de bien des sévices (et même, si ce que l'on raconte est vrai, de viol !) dont elles prétendent avoir été victimes (ou plus exactement, dont ont été victimes des « soeurs » fictives, puisque la féministe radicale est en principe assez privilégiée). Comment faire échec au fémino-fascisme ? C'est facile : il faut les prendre au pied de la lettre, les traiter en égales... et les entendre pousser les hauts cris ! La Reine est nue... Et voilà ce que je trouve obscène.


Bob Black (1983)