Internationale situationniste

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Catégorie:Articles à retravailler

L'Internationale situationniste (ou IS) était une organisation révolutionnaire désireuse d'en finir avec la société de classes en tant que système oppressif et de combattre le système idéologique de la civilisation occidentale : la domination capitaliste. L'IS était, au niveau des idées développées, issue de différents mouvements révolutionnaires apparus depuis le XIXème siècle, notamment de la pensée marxiste d'Anton Pannekoek, de Georg Lukacs ainsi que du communisme de conseil. L'Internationale situationniste pouvait être apparentée à un groupe d'ultra-gauche, mais elle était également l'héritière des tentatives révolutionnaires des avant-gardes artistiques de la première moitié du XXème siècle, comme le surréalisme ou le dadaïsme...

Ce mouvement, créé formellement en 1957, est né au sein d'un autre mouvement contestataire des années 1950 : l'Internationale lettriste, les fondateurs de l'IS, notamment Guy Debord, lui reprochant son insuffisance. L'IS est le produit de la fusion de l'Internationale lettriste, du Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste, et du Comité Psychogéographique de Londres. L'une des principales caractéristiques des idées situationnistes est la libération des conditions historiques pour une réappropriation du réel, et ce dans tous les domaines. Le dépassement de l'art fut un des objectifs de départ de l'IS, qui s'est vite orientée vers une critique de la société du spectacle, la société « spectaculaire-marchande » doublée d'un désir de révolution sociale qui s'est notamment fait connaitre en France en mai 1968.

Théorie(s) situationniste(s)

Le projet situationniste est un programme marxiste libertaire reposant sur « la réalisation de la philosophie », conçue comme un projet historique. Ce projet repose sur :

  • la révolution de la vie quotidienne, projet libertaire et hédoniste que l'on pourrait résumer par ce slogan : « Jouissons sans entraves ! ».

La révolution de la vie quotidienne ne peut se faire que dans le cadre de l'autogestion généralisée, sur des bases égalitaires, et en supprimant les rapports marchands. Elle s'appuie sur plusieurs idées :

  • l'abolition du spectacle en tant que rapport social
  • la participation des individus (refus des représentations)
  • la communication (refus des médiations)
  • la réalisation et l'épanouissement de l'individu (opposée à son aliénation) : le libertinage est un des aspects de cet épanouissement, mais globalement, la subjectivité radicale de chacun-e est censée se développer dans le refus des contraintes, et ce dans tous les domaines.
  • l'abolition du travail en tant qu'aliénation et activité séparée, résumée par le slogan de Guy Debord écrit à la craie sur un mur de la rue de Seine (à Paris) : « Ne travaillez jamais ».
  • le refus de toute activité séparée du reste de la vie quotidienne : les situationnistes luttent pour l'abolition de l'art contemplatif, des loisirs, et de l'université et pour la réunification de toutes les activités humaines : fin de la division du travail et des séparations entre les différentes sciences. Ils ne font ainsi que reprendre le projet communiste de Marx : l'autogestion communiste permet à l'activité de production de ne plus être un travail et de fusionner avec toutes les autres activités humaines sous une forme artistique et poétique. Ainsi, l'activité de production n'est plus séparée de l'épanouissement individuel, des loisirs et de la sexualité. De manière plus générale, le projet situationniste aspire à ce que toutes les activités humaines prennent une forme artistique : celle de la libre création des individus, en un mot celle de l'autogestion.

Pour décrire le capitalisme moderne, Guy Debord réutilise le concept de « spectacle » invoqué par Marx. Ce concept a plusieurs significations. Le spectacle est avant tout l'appareil de propagande du pouvoir capitaliste mais c'est aussi un rapport social médiatisé par des images.

« Le spectacle est la religion de la marchandise »

Il apparaît avec la société de consommation, dans les années 1930. Guy Debord distingue deux formes de spectacle :

  1. le spectaculaire concentré des sociétés totalitaires (capitalisme d'État)
  2. le spectaculaire diffus des sociétés libérales.

Alors qu'en URSS et dans les pays de l'est le spectacle se concentre sur la personne du dictateur (Staline puis Khrouchtchev puis Brejnev), le spectacle se présente dans les sociétés libérales occidentales de manière diffuse, sous la forme de marchandises qui contiennent en elles-mêmes toute la propagande de l'idéologie capitaliste. Guy Debord observe que dans les années 1980 les deux formes de spectacle ont fusionné sous la forme du « spectaculaire intégré » : désormais, le spectacle n'est plus seulement dans les marchandises ou dans la simple propagande du pouvoir.

« Désormais, le spectacle est présent partout »

Il régit tous les rapports sociaux, puisque désormais tous les rapports sociaux tendent à devenir des rapports marchands : les rapports sociaux ne sont plus que des rapports de seuls signifiants, autrement dit de simulacres. Ils sont eux mêmes des simulacres.

Au delà même des rapports sociaux, le spectaculaire intégré est présent dans l'architecture, la géographie, le paysage, les consciences, et même la nature (pollutions diverses, radioactivité, réchauffement climatique, organismes génétiquement modifiés).


L'Internationale Situationniste: mouvement esthétique et politique.

L’IS ne fut pas un mouvement politique au sens commun de l’expression puisqu’elle n’existait pas sous forme de parti ou d’organisation car elle ne voulait rien avoir à faire avec le pouvoir. Ses membres prennent cependant part aux évènements de mai 68 et s’interrogent sur la gestion des sociétés dans lesquelles selon eux, l’art joue un rôle capital. Capital est le mot adéquat car il est même plus important que l’argent ou que le travail « Ne travaillez jamais » disaient-ils. Mais l’IS n’est pas non plus un mouvement artistique au sens classique du terme. « Nous sommes des artistes par cela que nous ne sommes plus des artistes : nous venons réaliser l’art ».

Guy Debord développera le concept d’art intégral. Les situationnistes tentent de penser un urbanisme libérateur, un urbanisme unitaire car ils ont conscience de l’influence de l’environnement sur les comportements humains. L’idée est de multiplier les émotions, le changement constant et la fuite du temps contrairement aux procédés esthétiques habituels qui souhaitent fixer l’émotion. L’art doit permettre la construction de nouvelles situations, de diffuser de nouvelles passions mais la création n’est possible que sur les ruines du spectacle. Le situationnisme avoue ses origines dans le dadaïsme. On peut en effet reconnaitre la même puissance de négation (de tout en général et de l’art en particulier) ainsi qu’une volonté de changer le monde en détruisant la culture bourgeoise. Guy Debord regrette la récupération des mouvements dada et surréalistes, d’autres s’accordent et c’est ce qui conduira à la fondation de l’Internationale Lettriste. Tous ces mouvements se retrouvent dans la critique de l’art bourgeois et de la marchandisation de l’art. La valeur d’une Å“uvre correspond-t-elle à sa valeur d’échange ? Cependant ils diffèrent sur de nombreux points. Les situationnistes établiront une critique précise du surréalisme par exemple, qui prône une « libération des forces du rêve, de l’imaginaire et du désir » car pour eux il s’agit d’ « une construction concrète d’ambiances momentanées de la vie, et leur transformation en une qualité passionnelle supérieure », ce qui signifie que l’on doit agir consciemment sur l’environnement (urbain avant tout) et sur les comportements. La vie doit devenir un huitième art. Les sept autres doivent se concentrer à ce dernier. La question du dépassement de l’art fut celle qui obsèdera Guy Debord depuis le commencement dans les premiers textes de Potlatch (milieu des années 1950). L’idée est de porter à son terme l’autodestruction, inaugurée par Baudelaire, reprise par les dadas et certains surréalistes à qui il manque quelque chose selon les situationnistes : « Le dadaïsme a voulu supprimer l'art sans le réaliser ; et le surréalisme a voulu réaliser l'art sans le supprimer.

La position critique élaborée depuis par les situationnistes a montré que la suppression et la réalisation de l'art sont les aspects inséparables d'un même dépassement de l'art.», (191 dans La société du spectacle). En ce qui concerne la méthode, ils approfondissent une nouvelle pratique, celle du « détournement » qui consiste à réutiliser des éléments « culturels » déjà existants et par souci de cohérence il faut commencer par éliminer l’art existant. D’où cette phrase fameuse de Guy Debord qui le résume : « Nous ne pouvons construire que sur les ruines du spectacle ». On déclare mort l’art traditionnel. Il y a un refus de l’idéalisation du passé. Mais il ne s’agit pas d’un art sur la décomposition tout comme les autres courants critiques qui voient le jour et se développent : le « nouveau roman », le théâtre de l’absurde et la Nouvelle Vague. Pour les situationnistes, la « décomposition » de l’art et sa « déconstruction » ne peuvent suffire car ils ne veulent pas « travailler au spectacle de la fin d’un monde mais à la fin du monde du spectacle ». Ils reprochent à Robbe-Grillet, Ionesco,... d’ériger « en dogme le vide de la société capitalisme ». Ils ne sont pas assez radicaux car ils mettent en scène presque joyeusement ce qui doit être au plus vite détruit.

Les situationnistes seront considérés comme radicaux car leurs positions sont à l’encontre des valeurs de la société dans laquelle ils vivent, société capitaliste-spectaculaire mais également individualiste et attachée à la propriété privée. Ils considèrent par exemple l’inintérêt des droits d’auteurs puisque ils revendiquent la chute de l’artiste, l’art devant être généralisé, le culte bourgeois de l’œuvre originale devant être dépassé. Il faut désormais réalisé l’art directement dans la vie quotidienne, comme un art anonyme et collectif.

Par une critique de l’art et une volonté d’aller au-delà de la spécialisation, ils arrivent à une critique qui les repositionne dans le champ social et plus seulement culturel. La vie « non vécue » est la caractéristique principale de l’époque, du moment dans l’histoire de l’art et de la société capitaliste-spectaculaire.

La revue

L'Internationale situationniste fut également une revue dirigée par Guy Debord, Mohamed Dahou, Giuseppe Pinot-Gallizio, Maurice Wyckaert, Constant, Asger Jorn, Helmut Sturm, Attila Kotanyi, Jørgen Nash, Uwe Lausen, Raoul Vaneigem, Michèle Bernstein, Jeppesen Victor Martin, Jan Stijbosch, Alexander Trocchi, Théo Frey, Mustapha Khayati, Donald Nicholson-Smith, René Riesel, René Viénet, etc. 12 numéros furent publiés entre 1958 et 1969. Cette revue était un terrain d'expérimentation discursif et également moyen de propagation des idées.

L'IS a largement influencé les mouvement révolutionnaires. Elle a participé activement au mouvement des occupations d'usines, lors de la grève générale de mai 1968. Bien qu'auto-dissoute en 1972, l'Internationale situationniste reste aujourd'hui un mouvement largement étudié en raison de son passage spectaculaire dans l'histoire de la pensée de la politique et dans l'histoire des théories artistiques ainsi que par la contemporanéité - c'est-à-dire la modernité quand un situationniste ne veut pas l'utiliser avec un sens péjoratif - de son discours critique. Les situationnistes ne reconnaissent pas non plus la propriété intellectuelle.

Dans ce sens, n'importe qui pourra toujours se dire situationniste (ou disons, s'approprier et user théoriquement et pratiquement des idées situationnnistes), à condition bien sûr de critiquer l'IS. Car un situationniste qui ne critiquerait pas les situationnistes n'en serait pas un : là réside la différence entre les situationnistes et ceux qu'ils dénonçaient eux-mêmes sous le terme de « pro-situs » (les adeptes de l'idéologie figés dans le « situationnisme »). En effet, le concept de « situationnisme » a toujours été dénoncé par les situationnistes, puisqu'il sous-entend l'existence d'une idéologie situationniste avec ses dogmes et sa doctrine, ce qui est le contraire de la théorie situationniste, qui repose sur la critique permanente et le dépassement. En 1972, l'IS était devenue une forme d'organisation dépassée mais surtout à dépasser, car elle avait achevé son rôle historique. Les membres de l'IS ont donc décidé de dissoudre leur organisation cette année-là. En 1974, des anciens membres de l'IS ont alors créé l'Antinationale situationniste.

Critique (des) situationnistes

Partisans radicaux contre le travail aliéné (et aliénant) et le spectacle en tant que rapport social entre des personnes, médiatisé par des images, l’IS se refusa à toute aliénation de l’individu et étant un groupe prônant la libération de celui-ci, ils se refusèrent à toutes propositions formelles pouvant le diriger, ce qui fût vivement critiqué par d’autres mouvements de l’ultra-gauche (le maoïsme ou le structuralisme) Leurs critiques tant sur cette société que sur ceux qui la combattent furent cinglantes et « avant-gardistes » (à cette époque, les critiques marxistes et anarchistes étaient totalement décalées car elles puisaient leurs sources de dogmes datant de plus de 100 ans), poussant au radicalisme la critique et l’action. Aujourd’hui certaines personnes venant de tous milieux récupèrent Debord mettant en avant sa personnalité et son style d’écriture, annihilant sa pensée. On a ainsi vu expositions et ouvrages littéraires dans certains lieux comme le Centre Pompidou (type d’institution ultra critiqué par les situationnistes). De plus, de nombreux conseillistes continuent à se dire situationnistes. Certains pensent cependant qu'il est abusif de se déclarer comme tel aujourd'hui et que cela revient à une récupération du mouvement, dénoncée dès l'origine (l’IS voulait un dépassement de leur pensée et non la dogmatiser). Depuis les années 1970, les thèses situationnistes ont été critiquées par le reste de l'ultra-gauche. Cette critique dénonce plusieurs aspects du discours et des pratiques des situationnistes, notamment leurs origines bourgeoises, leur intellectualisme, leur ésotérisme, leur élitisme et leur moralisme supposés.

Les Brigades Rouges

Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti (*) sont censés avoir cru que les Brigades Rouges étaient une filiale des services secrets de l'État italien, alors que les lettres qu'ils échangent ne font qu'exprimer des doutes sur l'autonomie réelle du groupe qui a perpétré et l'enlèvement et le meurtre d'Aldo Moro. (voir opération gladio).

Finalement, Gianfranco Sanguinetti confirmera que les Brigades Rouges étaient pilotées par les services secrets dans son livre "Du terrorisme et de l'État, la théorie et la pratique du terrorisme divulguées pour la première fois" en 1979 comme le fera Debord la même année dans sa "Préface à la quatrième édition édition italienne de la Société du spectacle".

Citations situationnistes

  • « Nous pensons d'abord qu'il faut changer le monde. Nous voulons le changement le plus libérateur de la société et de la vie où nous nous trouvons enfermés. » (Guy Debord)
  • « Ne travaillez jamais. » (Guy Debord)
  • « La bureaucratie révolutionnaire qui dirigeait le prolétariat, en s'emparant de l'État, donna à la société une nouvelle domination de classe. » (Guy Debord, 1967)
  • « La révolution cesse dès l'instant où il faut se sacrifier pour elle. » (Raoul Vaneigem, 1967).
  • « Ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu'il y a de subversif dans l'amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre. » (Raoul Vaneigem, 1967).
  • « Le travail est ce que l'homme a trouvé de mieux pour ne rien faire de sa vie. » (Raoul Vaneigem)

La « mouvance » situationniste

Membres de l'Internationale situationniste

Compagnons de route

Le nom du sinologue Simon Leys est souvent associé au mouvement situationniste, trois de ses livres étant venus confirmer la méfiance de ce mouvement envers le système politique chinois : Ombres chinoises, Les Habits neufs du président Mao et Revolution culturelle dans la Chine populaire. Le style même de ces trois titres se situe d'ailleurs parfaitement en ligne avec l'esprit de ce mouvement.

Annexes

Bibliographie

  • Un recueil de la revue Potlatch (Internationale lettriste) a été publié dans la collection Folio (Gallimard) en 1996.
  • 1948-1957 : Documents relatifs à la fondation de l'internationale situationniste a été publié aux éditions Allia.
  • Le recueil des douze numéros de la revue Internationale situationniste a été republié chez Van Gennep. Amsterdam.
  • Le recueil des douze numéros de la revue Internationale situationniste a été republié en 1997 chez Artheme Fayard.
  • De la misère en milieu étudiant, Champ libre.
  • Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, Gallimard, Coll. Témoins (1968)
  • La véritable scission dans l'Internationale, circulaire publique de l'Internationale Situationniste (1972)
  • Jean-Jacques Raspaud et Jean-Pierre Voyer, L'Internationale situationniste : protagonistes, chronologie, bibliographie, index des noms insultés, Champ Libre (1972).
  • Jean-François MARTOS, Histoire de l'Internationale situationniste, Ivrea (1995).
  • Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard (1992).
  • Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard (1992).
  • Guy Debord, Panégyrique, Gallimard (1993).
  • Guy Debord, Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici, Gallimard (1993).
  • Guy Debord, Cette mauvaise réputation..., Gallimard (1993).
  • Gianfranco Sanguinetti, Du terrorisme et de l'État (1980).
  • Gianfranco Sanguinetti sous le pseudo de Censor "Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie", Champs Libre (1976)
  • Raoul Vaneigem, De la grève sauvage à l'autogestion généralisée, 10/18 (1974).
  • Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Gallimard (1994).
  • Raoul Vaneigem, Le Livre des plaisirs, Labord (1993)
  • Raoul Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens, Mille et une nuits (1995).
  • Raoul Vaneigem, Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l'opportunité de s'en défaire, Seghers-Laffont (1990).
  • Raoul Vaneigem, Lettre de Staline à ses enfants enfin réconciliés, Verdier (1998).
  • Raoul Vaneigem, Nous qui désirons sans fin, Gallimard (1998).
  • Thomas Genty, La critique situationniste ou la praxis du dépassement de l'art, Zanzara athée (1998).
  • Archives situationnistes, Contre-moule parallèles (1997).
  • Les éditions Denoël publient depuis 2000 la revue Archives et documents situationnistes


Liens externes



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