Difference between revisions of "FAQAnar:F.3.1 - Pourquoi la négligence vis-à -vis de l'égalité est-elle si importante ?"
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Simplement parce une négligence vis-à -vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange<ref>Murray Rothbard, ''[http://membres.lycos.fr/mgrunert/ethique.htm L'Éthique de la Liberté]'', Chapitre XXVIII.</ref> » | Simplement parce une négligence vis-à -vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange<ref>Murray Rothbard, ''[http://membres.lycos.fr/mgrunert/ethique.htm L'Éthique de la Liberté]'', Chapitre XXVIII.</ref> » | ||
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Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors qui crée des partenaires égaux est impossible — le pacte établira un association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à -dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim<ref>Carole Pateman, ''The Sexual Contract'', p. 61.</ref> ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation. | Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors qui crée des partenaires égaux est impossible — le pacte établira un association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à -dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim<ref>Carole Pateman, ''The Sexual Contract'', p. 61.</ref> ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation. | ||
− | + | En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir » et le « marché » ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent finalement en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement » aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire » ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques<ref>Murray Bookchin, ''The Spanish Anarchists'', p. 260.</ref>. | |
− | " | + | Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs » et les « vendeurs » de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise — voir la section [[FAQAnar:C.7 - Qu'est-ce qui entraîne le cycle économique capitaliste ?|C.7]]). Nous avons insisté dans la section [[FAQAnar:C.9 - Les politiques de laissez-faire réduiraient-elles le chômage, tel que les défenseurs "du marché libre" capitaliste l'affirment ?|C.9]] sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange » d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste [[Joshua K. Ingalls|J.K. Ingalls]] s'opposait à la proposition d'Henry George<ref>NdT : économiste politique américain, partisan le plus influent de l'impôt unique sur la terre. Il défend une théorie selon laquelle chacun possède ce qu'il fabrique, mais que tout ce qui se trouve dans la nature appartient à tous. Très critique vis-à -vis du profit et de la concentration des richesses entre les mains d'une poignée d'individus.</ref> de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait. |
+ | Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude — celles-ci sont toujours là , mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher le compromis bien plus loin, c'est-à -dire, bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter » de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force). | ||
+ | L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer [[Max Stirner]], « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que ''les moyens de concourir'', ''les choses nécessaires à la concurrence'' me font défaut. » Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir » ou de « choses nécessaires à la concurrence »), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à -dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut ''tirer'' de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.<ref>Max Stirner, ''L'Unique et sa propriété'', sections intitulées ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Seconde_partie_-_Moi_-_II._%E2%80%94_Le_Propri%C3%A9taire#B._.E2.80.94_MES_RELATIONS Mes relations]'' [deuxième partie] et ''[http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Unique_et_sa_propri%C3%A9t%C3%A9_:_Premi%C3%A8re_partie_-_L%E2%80%99homme_-_II_%E2%80%93_Les_Anciens_et_les_Modernes#.C2.A7_1._.E2.80.94_Le_Lib.C3.A9ralisme_politique Le Libéralisme politique]'' [première partie], traduit par Robert L. Leclaire. Nous soulignons.</ref> » Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer » de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence », ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence libre. Pour citer Stephan L. Newman : | ||
− | + | <blockquote>« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travaille salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à -dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive]<ref>Stephan L. Newman, ''Liberalism at Wit's End'', p. 122-123.</ref>. »</blockquote> | |
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If we consider "equality before the law" it is obvious that this also has limitations in an (materially) unequal society. Brian Morris notes that for Ayn Rand, "[u]nder capitalism . . . politics (state) and economics (capitalism) are separated . . . This, of course, is pure ideology, for Rand's justification of the state is that it 'protects' private property, that is, it supports and upholds the economic power of capitalists by coercive means.<ref>Brian Morris, ''Ecology & Anarchism'', p. 189.</ref>" The same can be said of "anarcho"-capitalism and its "protection agencies" and "general libertarian law code." If within a society a few own all the resources and the majority are dispossessed, then any law code which protects private property automatically empowers the owning class. Workers will always be initiating force if they rebel against their bosses or act against the code and so equality before the law" reflects and reinforces inequality of power and wealth. This means that a system of property rights protects the liberties of some people in a way which gives them an unacceptable degree of power over others. And this critique cannot be met merely by reaffirming the rights in question, we have to assess the relative importance of the various kinds of liberty and other values we hold dear. | If we consider "equality before the law" it is obvious that this also has limitations in an (materially) unequal society. Brian Morris notes that for Ayn Rand, "[u]nder capitalism . . . politics (state) and economics (capitalism) are separated . . . This, of course, is pure ideology, for Rand's justification of the state is that it 'protects' private property, that is, it supports and upholds the economic power of capitalists by coercive means.<ref>Brian Morris, ''Ecology & Anarchism'', p. 189.</ref>" The same can be said of "anarcho"-capitalism and its "protection agencies" and "general libertarian law code." If within a society a few own all the resources and the majority are dispossessed, then any law code which protects private property automatically empowers the owning class. Workers will always be initiating force if they rebel against their bosses or act against the code and so equality before the law" reflects and reinforces inequality of power and wealth. This means that a system of property rights protects the liberties of some people in a way which gives them an unacceptable degree of power over others. And this critique cannot be met merely by reaffirming the rights in question, we have to assess the relative importance of the various kinds of liberty and other values we hold dear. | ||
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This ideological confusion of right-libertarianism can also be seen from their opposition to taxation. On the one hand, they argue that taxation is wrong because it takes money from those who "earn" it and gives it to the poor. On the other hand, "free market" capitalism is assumed to be a more equal society! If taxation takes from the rich and gives to the poor, how will "anarcho"-capitalism be more egalitarian? That equalisation mechanism would be gone (of course, it could be claimed that all great riches are purely the result of state intervention skewing the "free market" but that places all their "rags to riches" stories in a strange position). Thus we have a problem: either we have relative equality or we do not. Either we have riches, and so market power, or we do not. And its clear from the likes of Rothbard, "anarcho"-capitalism will not be without its millionaires (there is, according to him, apparently nothing un-libertarian about "hierarchy, wage-work, granting of funds by libertarian millionaires, and a libertarian party<ref>Black, ''The Abolition of Work and Other Essays'', [http://www.geocities.com/CapitolHill/5065/libcon.html The Libertarian As Conservative], p. 142.</ref>"). And so we are left with market power and so extensive unfreedom. | This ideological confusion of right-libertarianism can also be seen from their opposition to taxation. On the one hand, they argue that taxation is wrong because it takes money from those who "earn" it and gives it to the poor. On the other hand, "free market" capitalism is assumed to be a more equal society! If taxation takes from the rich and gives to the poor, how will "anarcho"-capitalism be more egalitarian? That equalisation mechanism would be gone (of course, it could be claimed that all great riches are purely the result of state intervention skewing the "free market" but that places all their "rags to riches" stories in a strange position). Thus we have a problem: either we have relative equality or we do not. Either we have riches, and so market power, or we do not. And its clear from the likes of Rothbard, "anarcho"-capitalism will not be without its millionaires (there is, according to him, apparently nothing un-libertarian about "hierarchy, wage-work, granting of funds by libertarian millionaires, and a libertarian party<ref>Black, ''The Abolition of Work and Other Essays'', [http://www.geocities.com/CapitolHill/5065/libcon.html The Libertarian As Conservative], p. 142.</ref>"). And so we are left with market power and so extensive unfreedom. | ||
− | + | Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature »<ref>NdT : référence au titre d'un des ouvrages de Rothbard, ''Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays'', où Rothbard attaque l'idée d'égalité comme fondement politique et économique.</ref>, il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté » deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feront qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres<ref>Peter Marshall, ''Op. Cit.'', p. 653.</ref>. » | |
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== Notes et références == | == Notes et références == | ||
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Revision as of 15:55, 11 July 2008
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Catégorie:En traduction Simplement parce une négligence vis-à -vis de l'égalité entraîne vite la fin de la liberté pour la majorité, étant niée de plusieurs façons importantes. La plupart des "anarcho"-capitalistes et des libertariens nient (ou au mieux, ignorent) le pouvoir du marché. Rothbard, par exemple, affirme que le pouvoir économique n'existe pas en régime capitaliste ; ce que les gens appellent le « pouvoir économique » « n’est donc que le Droit, en toute liberté, de refuser de conclure un échange[1] »
Cependant, le fait est qu'il y a des centres de pouvoir substantiels dans la société (tels que la source du pouvoir hiérarchique et les relations sociales autoritaires) qui ne dépendent pas de l'État. Comme le dit Élisée Reclus, « le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point. Le dollar est le maître des maîtres.[2] » La richesse est donc une source de pouvoir, puisque « la chose essentielle » en régime capitaliste « est de s'entraîner à poursuivre un gain monétaire, dans le but de commander les autres au moyen de l'omnipotence d'argent. Notre pouvoir augmente dans la proportion directe à nos ressources économiques[3]. » Ainsi la tromperie centrale de l'"anarcho"-capitalisme est la supposition (non-déclarée) que les différents acteurs au sein d'une économie auront un pouvoir égal. Cette supposition a été remarquée par nombres de lecteurs de leurs ouvrages. Par exemple, Peter Marshall remarque que les « "anarcho-capitalistes" comme Rothbard supposent que les individus auront un pouvoir égal de marchander dans une société [capitaliste] fondée sur le marché[4]. » George Walford le remarqua également dans son commentaire du livre Vers une société sans État de David Friedman :
« La propriété privée envisagée par les anarcho-capitalistes sera très différente de celle que l'on connaît. C'est à peine aller trop loin que de dire que tant que l'une est mauvaise, l'autre sera meilleure. Dans une société anarcho-capitaliste, il n'y aura plus d'assurance nationale, plus de Sécurité Sociale, plus de service de soins nationaux, et pas même quelque chose qui ressemblerait aux Poors Laws[5] ; il n'y aura pas du tout de réseaux de sécurité publique. Ce sera une société rigoureusement compétitive : travaille, mendie ou meurt. Tout en lisant, on apprend que chaque individu devra acheter, personnellement, tous les biens et services qu'il désire, non seulement la nourriture, les vêtements et le logement, mais également l'éducation, la médecine, l'hygiène, la justice, la police, toutes les formes de sécurité et d'assurance, même la permission d'utiliser les rues (car elles seront aussi possédées par des agents privés), tout en lisant cela, une caractéristique émerge : tout le monde aura assez d'argent pour acheter toutes ces choses.
« Il n'y a pas d'accueil et traitement des urgences, d'hôpitaux ou d'hospices, mais il n'y a bien sûr personne pour mourir dans la rue. Il n'y a pas de système d'éducation public, mais il n'y a pas d'enfants non-éduqués, pas de service public de police, mais tout le monde peut louer les services d'une entreprise de sécurité efficace, pas de loi publique, mais tout le monde peut louer les services du système pénal privé. Il n'y a personne non plus pour être en capacité d'acheter plus que les autres ; aucun individu ou groupe ne possède de pouvoir économique sur les autres
« Aucune explication n'est fournie. Les anarcho-capitalistes considèrent simplement comme allant de soi que dans leur société adorée, bien qu'elle ne possède aucun levier pour restreindre la concurrence (pour ce faire, il faudrait exercer une autorité sur les individus ou les groupes en concurrence, or c'est une société anarcho-capitaliste), la concurrence donc ne serait pas amener à atteindre le point où tout le monde en souffrirait réellement. Tout en proclamant que leur système est compétitif, dans lequel les règles de l'intérêt privé ne sont pas soumises à vérification, ils montrent que celui-ci fonctionne comme un système coopératif, dans lequel aucun individu ou groupe ne profite au dépend des autres[6]. »
Cette supposition d'une (relative) égalité s'impose dans la théorie de la propriété du « Homesteading » de Murray Rothbard (voir la section F.4.1). Le « Homesteading » décrit une situation où des individus ou des familles vont dans la nature pour s'y créer un abri, se battant contre les éléments, et ainsi de suite. Cette théorie n'invoque pas l'idée d'entreprises transnationales employant des dizaines de milliers de personnes, ou celle d'une population sans terre, sans ressource, et vendant sa force de travail aux autres. Rothbard, comme remarqué plus haut, affirme que le pouvoir économique n'existe pas (au moins en régime capitaliste, comme exposé dans la section F.1, il fait des exceptions — qui sont hautement illogiques). De la même manière, l'exemple de David Friedman de deux entreprises « de défense », l'une défendant la peine de mort, l'autre s'y opposant, parvenant à un accord (voir la section F.6.3), suppose implicitement que les entreprises aient des ressources et des pouvoirs permettant de marchander en toute égalité — autrement, le processus de marchandage serait biaisé et la petite entreprise y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une bataille contre la plus grosse (l'aboutissement probable si elles ne parviennent pas à un arrangement sur cette affaire), et donc en viendrait au compromis.
Cependant, le déni de la puissance du marché par les "libertariens" n'a rien de surprenant. La « nécessité, et non la redondance, de la supposition d'une égalité naturelle est requise "si les problèmes inhérents de la théorie du contrat ne sont pas en phase de devenir trop évidents." Si certains individus sont supposés avoir, de manière significative, plus de pouvoir, qu'ils sont plus capables que les autres, et si ils sont toujours égoïstes, alors qui crée des partenaires égaux est impossible — le pacte établira un association de maîtres et d'esclave. Il va sans dire que le fort présentera le contrat comme avantageux pour les deux parties : le fort n'aura plus à travailler (et à devenir riche, c'est-à -dire plus fort encore) et le faible recevra un revenu et ne mourra pas de faim[7] ». Donc si la liberté est considérée comme découlant de de la propriété, il est donc évident que les individus ayant peu de biens (mise à part leur propre corps, cela va de soi) perdent le contrôle effectif de leur propre personne et de leur travail (ce qui était, comme nous ne l'avons pas oublié, la base de leurs droits naturels équivalents). Quand l'une des forces marchandant est faible (ce qui est typiquement le cas sur le marché du travail), les échanges tendent à accroître les inégalités de richesse et de puissance dans le temps plutôt que de tendre vers une égalisation.
En d'autres termes, le contrat n'a pas besoin de remplacer le pouvoir si la richesse et la position de marchandage des contractants en devenir ne sont pas égales (car si les agents économiques ont un pouvoir égal, il est permis de douter qu'ils acceptent de vendre le contrôle de leur liberté ou de leur travail à une tierce personne). Ceci signifie que le « pouvoir » et le « marché » ne sont pas des termes antithétiques. Alors que les relations au sein du marché sont considérées volontaires, ce n'est pas le cas en pratique sur un marché capitaliste. Une grosse compagnie a un avantage comparatif sur les plus petites entreprises, sur les communautés et sur les travailleurs individuels ce qui se ressentira sur chaque contrat. Par exemple, une grosse compagnie, ou des individus riches, auront accès à plus d'argent et pourront donc faire durer les litiges ou les grèves jusqu'à ce que les ressources de leurs adversaires soient épuisées. Si une entreprise pollue, la communauté locale pourrait accepter un tel dommage du fait de la peur que l'entreprise (dont elle dépend) soit délocalisée. Si les membres d'une communauté l'attaquent finalement en justice, alors l'entreprise ne fera qu'exercer son droit à la propriété en menaçant de s'installer dans un autre endroit. Dans de telles circonstances, la communauté souscrira « librement » aux conditions de l'entreprise ou devra faire face à une fracture sociale et économique importante. De la même manière, lors de l'élection espagnole de 1936, « les agents des propriétaires terriens qui ont menacé de renvoyer les métayers et les fermiers qui n'ont pas choisi le bulletin de vote réactionnaire » ne faisaient qu'exercer leur droit légitime à la propriété en menaçant les gens et leur famille par le biais de la douleur et de l'incertitude économiques[8].
Si nous prenons le marché du travail, il est évident que les « acheteurs » et les « vendeurs » de la force de travail sont rarement sur un pied d'égalité (si tel était le cas, le capitalisme serait en situation de crise — voir la section C.7). Nous avons insisté dans la section C.9 sur le fait qu'en régime capitaliste la compétition sur le marché du travail est entièrement en faveur des employeurs. Ainsi, la capacité de refuser un échange pèse plus lourdement sur une classe que sur l'autre, permettant ainsi aux travaux de « libre échange » d'assurer la domination (et donc l'exploitation) de l'une sur l'autre. L'inégalité sur le marché permet de s'assurer que les décisions de la majorité des gens présents sur ce marché soient modelées selon les besoins des puissants, et non pas selon les besoins de tous. C'est pour cette raison que l'anarchiste individualiste J.K. Ingalls s'opposait à la proposition d'Henry George[9] de nationaliser la terre. Ingalls était conscient que les riches enchériraient sur les pauvres pour les baux territoriaux et qu'ainsi le vol de la classe laborieuse continuerait.
Ainsi, le marché ne met pas fin au pouvoir ou à la servitude — celles-ci sont toujours là , mais sous des formes différentes. Pour qu'un échange soit vraiment volontaire, les deux parties doivent avoir le pouvoir égal d'accepter, de rejeter, ou d'exercer une influence sur les termes de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement présentes sur le marché du travail ou au sein d'un régime capitaliste en général. L'argument de Rothbard, selon lequel le pouvoir économique n'existe pas, ne parvient pas à expliquer pourquoi les riches peuvent enchérir sur les pauvres pour les ressources, et pourquoi une entreprise est généralement en capacité de refuser plus facilement un accord (avec un individu, un syndicat ou un groupe), plutôt que l'inverse (et que l'impact d'un tel refus est tel qu'il mènera les autres parties engagées à rechercher le compromis bien plus loin, c'est-à -dire, bien plus en faveur de l'entreprise). Dans de telles circonstances, les individus formellement libres devront « accepter » de s'asservir afin de survivre. En observant la routine du capitalisme moderne, en observant ce que nous finissons par tolérer pour le seul plaisir de gagner suffisamment d'argent pour survivre, il n'est pas étonnant que les anarchistes se soient demandés si le marché nous servait ou si nous le servions (ainsi que ceux qui y sont en position de force).
L'inégalité ne peut donc être facilement repoussée. Comme le faisait remarquer Max Stirner, « la libre concurrence n'est pas "libre", parce que les moyens de concourir, les choses nécessaires à la concurrence me font défaut. » Du fait de cette inégalité basique de richesse (de « moyens de concourir » ou de « choses nécessaires à la concurrence »), nous découvrons que « le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à -dire [...], aux capitalistes. L'ouvrier ne peut tirer de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le produit de ce travail pour celui qui le consomme. [...] Le plus gros bénéfice en va au capitaliste.[10] » Il est intéressant de remarquer que même Stirner ait reconnu que le capitalisme entraîne l'exploitation et que ses racines reposent sur les inégalités de propriété et de pouvoir. Nous pouvons également ajouter que la valeur que l'ouvrier ne peut « tirer » de son travail va dans la poche des capitalistes, qui l'investissent dans d'autres « choses nécessaires à la concurrence », ce qui consolide et augmente leur avantage dans la concurrence libre. Pour citer Stephan L. Newman :
« Un autre aspect inquiétant du refus des libertariens de reconnaître le pouvoir du marché est leur échec pour faire face à la tension entre liberté et autonomie [...] Le travaille salarié en régime capitaliste est, bien sûr, un travail formellement libre. Personne n'est forcé de travailler avec un révolver sur la tempe. La circonstance économique, cependant, a souvent un effet de contrainte ; elle force ceux qui sont relativement pauvres à accepter un emploi aux conditions fixées par les propriétaires et les gestionnaires. Le travailleur qui est son propre patron conserve sa liberté [c'est-à -dire sa liberté négative] mais perd son autonomie [la liberté positive][11]. »
"anarcho"-capitaliste
If we consider "equality before the law" it is obvious that this also has limitations in an (materially) unequal society. Brian Morris notes that for Ayn Rand, "[u]nder capitalism . . . politics (state) and economics (capitalism) are separated . . . This, of course, is pure ideology, for Rand's justification of the state is that it 'protects' private property, that is, it supports and upholds the economic power of capitalists by coercive means.[12]" The same can be said of "anarcho"-capitalism and its "protection agencies" and "general libertarian law code." If within a society a few own all the resources and the majority are dispossessed, then any law code which protects private property automatically empowers the owning class. Workers will always be initiating force if they rebel against their bosses or act against the code and so equality before the law" reflects and reinforces inequality of power and wealth. This means that a system of property rights protects the liberties of some people in a way which gives them an unacceptable degree of power over others. And this critique cannot be met merely by reaffirming the rights in question, we have to assess the relative importance of the various kinds of liberty and other values we hold dear.
Therefore right-"libertarian" disregard for equality is important because it allows "anarcho"-capitalism to ignore many important restrictions of freedom in society. In addition, it allows them to brush over the negative effects of their system by painting an unreal picture of a capitalist society without vast extremes of wealth and power (indeed, they often construe capitalist society in terms of an ideal -- namely artisan production -- that is pre-capitalist and whose social basis has been eroded by capitalist development). Inequality shapes the decisions we have available and what ones we make:
"An 'incentive' is always available in conditions of substantial social inequality that ensure that the 'weak' enter into a contract. When social inequality prevails, questions arise about what counts as voluntary entry into a contract. This is why socialists and feminists have focused on the conditions of entry into the employment contract and the marriage contract. Men and women . . . are now juridically free and equal citizens, but, in unequal social conditions, the possibility cannot be ruled out that some or many contracts create relationships that bear uncomfortable resemblances to a slave contract.[13]"
This ideological confusion of right-libertarianism can also be seen from their opposition to taxation. On the one hand, they argue that taxation is wrong because it takes money from those who "earn" it and gives it to the poor. On the other hand, "free market" capitalism is assumed to be a more equal society! If taxation takes from the rich and gives to the poor, how will "anarcho"-capitalism be more egalitarian? That equalisation mechanism would be gone (of course, it could be claimed that all great riches are purely the result of state intervention skewing the "free market" but that places all their "rags to riches" stories in a strange position). Thus we have a problem: either we have relative equality or we do not. Either we have riches, and so market power, or we do not. And its clear from the likes of Rothbard, "anarcho"-capitalism will not be without its millionaires (there is, according to him, apparently nothing un-libertarian about "hierarchy, wage-work, granting of funds by libertarian millionaires, and a libertarian party[14]"). And so we are left with market power and so extensive unfreedom.
Ainsi, pour une idéologie qui dénonce l'égalitarisme comme étant « une révolte contre la nature »[15], il est amusant de voir qu'ils dépeignent une société "anarcho"-capitaliste comme étant une société (relativement) égalitaire. En d'autres mots, leur propagande se fonde sur quelque chose qui n'a jamais existé, et n'existera jamais : une société capitaliste égalitaire. Sans la supposition implicite de l'égalité qui sous-tend leur rhétorique, les limites évidentes de leur vision de la « liberté » deviennent trop évidentes. N'importe quel régime capitaliste défendant le laissez-faire serait inégal, et « ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir ne feront qu'accroître leurs privilèges, tandis que les plus faibles et les pauvres feraient eux faillite [...] Les libertariens ne veulent simplement la liberté que pour eux, afin de protéger leurs privilèges et exploiter les autres[16]. »
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Notes et références
- ↑ Murray Rothbard, L'Éthique de la Liberté, Chapitre XXVIII.
- ↑ Élisée Reclus, L'Homme et la Terre
- ↑ Cité par John P. Clark et Camille Martin), Anarchy, Geography, Modernity, p. 95 et p. 96-97
- ↑ Peter Marshall, Demanding the Impossible, p. 46.
- ↑ Note du Traducteur : Lois crées par la couronne britannique afin de contrôler et d'avoir des informations sur les pauvres, en leur fournissant une aide financière. L'auteur ne fait ici référence qu'aux aides financières, pas au contrôle.
- ↑ George Walfort, On the Capitalist Anarchists.
- ↑ Carole Pateman, The Sexual Contract, p. 61.
- ↑ Murray Bookchin, The Spanish Anarchists, p. 260.
- ↑ NdT : économiste politique américain, partisan le plus influent de l'impôt unique sur la terre. Il défend une théorie selon laquelle chacun possède ce qu'il fabrique, mais que tout ce qui se trouve dans la nature appartient à tous. Très critique vis-à -vis du profit et de la concentration des richesses entre les mains d'une poignée d'individus.
- ↑ Max Stirner, L'Unique et sa propriété, sections intitulées Mes relations [deuxième partie] et Le Libéralisme politique [première partie], traduit par Robert L. Leclaire. Nous soulignons.
- ↑ Stephan L. Newman, Liberalism at Wit's End, p. 122-123.
- ↑ Brian Morris, Ecology & Anarchism, p. 189.
- ↑ Carole Pateman, Op. Cit., p. 62
- ↑ Black, The Abolition of Work and Other Essays, The Libertarian As Conservative, p. 142.
- ↑ NdT : référence au titre d'un des ouvrages de Rothbard, Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays, où Rothbard attaque l'idée d'égalité comme fondement politique et économique.
- ↑ Peter Marshall, Op. Cit., p. 653.