Prise au tas

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La Prise au tas est une expression économique. L'expression "prise au tas" est extraite du principe " Prise au tas pour ce qui se trouve en abondance ; rationnement pour ce qui se trouve en quantité limitée " que formule Pierre Kropotkine dans son ouvrage "La conquête du pain". Par cette formule, il veut indiquer le mode de répartition de la richesse sociale dans une société communiste-anarchiste.


extraits traitant de la "prise au tas" dans l'ouvrage "La conquête du pain":


Le peuple des grandes cités sera ainsi amené, par la force même des choses, à s'emparer de toutes les denrées, en procédant du simple au composé, pour satisfaire les besoins de tous les habitants. Plus tôt ce sera fait, mieux ce sera : autant de misère épargnée, autant de luttes intestines évitées.

Mais sur quelles bases pourrait-on s'organiser pour la jouissance des denrées en commun ? Voilà la question qui surgit naturellement.

Eh bien, il n'y a pas deux manières différentes de le faire équitablement. Il n'y en a qu'une, une seule qui réponde aux sentiments de justice, et qui soit réellement pratique. C'est le système adopté déjà par les communes agraires en Europe.

Prenez une commune de paysans, n'importe où - même en France, où les jacobins ont cependant tout fait pour détruire les usages communaux. Si la commune possède un bois, par exemple, - eh bien, tant que le petit bois ne manque pas, chacun a droit d'en prendre tant qu'il veut, sans autre contrôle que l'opinion publique de ses voisins. Quant au gros bois, dont on n'a jamais assez, on a recours au rationnement.

Il en est de même pour les prés communaux. Tant qu'il y en a assez pour la commune, personne ne contrôle ce que les vaches de chaque ménage ont mangé, ni le nombre de vaches dans les prés. On n'a recours au partage - ou au rationnement - que lorsque les prés sont insuffisants. Toute la Suisse et beaucoup de communes en France, en Allemagne, partout où il y a des prés communaux, pratiquent ce système.

Et si vous allez dans les pays de l'Europe orientale, où le gros bois se trouve à discrétion et où le sol ne manque pas, vous voyez les paysans couper les arbres dans les forêts selon leurs besoins, cultiver autant de sol qu'il leur est nécessaire, sans penser à rationner le gros bois ni à diviser la terre en parcelles. Cependant le gros bois sera rationné, et la terre partagée selon les besoins de chaque ménage, dès que l'un et l'autre manqueront, comme c'est déjà le cas pour la Russie.

En un mot : - prise au tas de ce qu'on possède en abondance ! Rationnement de ce qui doit être mesuré, partagé ! Sur les 350 millions d'hommes qui habitent l'Europe, deux cents millions suivent encore ces pratiques, tout à fait naturelles.

Chose à remarquer. Le même système prévaut aussi dans les grandes villes, pour une denrée, au moins, qui s'y trouve en abondance, l'eau livrée à domicile.

Tant que les pompes suffisent à alimenter les maisons, sans qu'on ait à craindre le manque d'eau, il ne vient à l'idée d'aucune compagnie de réglementer l'emploi que l'on fait de l'eau dans chaque ménage. Prenez-en ce qu'il vous plaira ! Et si l'on craint que l'eau manque à Paris pendant les grandes chaleurs, les Compagnies savent fort bien qu'il suffit d'un simple avertissement, de quatre lignes mises dans les journaux, pour que les Parisiens réduisent leur consommation d'eau et ne la gaspillent pas trop.

Mais si l'eau venait décidément à manquer, que ferait-on ? On aurait recours au rationnement ! Et cette mesure est si naturelle, si bien dans les esprits, que nous voyons Paris, en 1871, réclamer à deux reprises le rationnement des denrées pendant les deux sièges qu'il a soutenus.

Faut-il entrer dans les détails, dresser des tableaux sur la manière dont le rationnement pourrait fonctionner ? Prouver qu'il serait juste, infiniment plus juste que tout ce qui existe aujourd'hui ? Avec ces tableaux et ces détails nous ne parviendrions pas à persuader ceux des bourgeois - et, hélas, ceux des travailleurs embourgeoisés - qui considèrent le peuple comme une agglomération de sauvages se mangeant le nez dès que le gouvernement ne fonctionne plus. Mais il faut n'avoir jamais vu le peuple délibérer, pour douter une seule minute que, s'il était maître de faire le rationnement, il ne le fît selon les plus purs sentiments de justice et d'équité.

Allez dire, dans une réunion populaire, que les perdreaux doivent être réservés aux fainéants délicats de l'aristocratie, et le pain noir aux malades des hôpitaux, vous serez hué.

Mais dites dans cette même réunion, prêchez aux coins des carrefours, que la nourriture la plus délicate doit être réservée aux faibles, aux malades d'abord. Dites que s'il y avait dix perdreaux dans tout Paris, et une seule caisse de Malaga, ils devraient être portés dans les chambres des convalescents ; dites cela...

Dites que l'enfant vient de suite après le malade. A lui le lait des vaches et des chèvres, s'il n'y en a pas assez pour tous ! A l'enfant et au vieillard la dernière bouchée de viande et à l'homme robuste le pain sec, si l'on est réduit à cette extrémité.

Dites en un mot que si telle denrée ne se trouve pas en quantités suffisantes, et s'il faut la rationner, c'est à ceux qui en ont le plus besoin qu'on réservera les dernières rations ; dites cela et vous verrez si l'assentiment unanime ne vous sera pas acquis.

Ce que le repu ne comprend pas, le peuple le comprend ; il l'a toujours compris. Mais ce repu même, s'il est jeté dans la rue, au contact de la masse, il le comprendra aussi.

Les théoriciens, - pour qui l'uniforme et la gamelle du soldat sont le dernier mot de la civilisation, - demanderont sans doute qu'on introduise tout de suite la cuisine nationale et la soupe aux lentilles. Ils invoqueront les avantages qu'il y aurait à économiser le combustible et les denrées, en établissant d'immenses cuisines, où tout le monde viendrait prendre sa ration de bouillon, de pain, de légumes.

Nous ne contestons pas ces avantages. Nous savons, fort bien ce que l'humanité a réalisé d'économies sur le combustible et sur le travail, en renonçant d'abord au moulin à bras et puis au four où chacun faisait son pain. Nous comprenons qu'il serait plus économique de cuire le bouillon pour cent familles à la fois, au lieu d'allumer cent fourneaux séparés. Nous savons aussi qu'il y a mille façons de préparer les pommes de terre, mais que, cuites dans une seule marmite pour cent familles, elles n'en seraient pas plus mauvaises.

Nous comprenons enfin que la variété de la cuisine consistant surtout dans le caractère individuel de l'assaisonnement par chaque ménagère, la cuisson en commun d'un quintal de pommes de terre n'empêcherait pas les ménagères de les assaisonner chacune à sa façon. Et nous savons qu'avec du bouillon gras on peut faire cent soupes différentes pour satisfaire cent goûts différents.

Nous savons tout cela, et cependant nous affirmons que personne n'a le droit de forcer la ménagère à prendre au magasin communal ses pommes de terre toutes cuites, si elle préfère les cuire elle-même dans sa marmite, sur son feu. Et surtout nous voulons que chacun puisse consommer sa nourriture comme il l'entend, dans le sein de sa famille, ou avec ses amis, ou même au restaurant s'il le préfère.

Certainement de grandes cuisines surgiront au lieu et place des restaurants où l'on empoisonne le monde aujourd'hui. La Parisienne est déjà accoutumée à prendre du bouillon chez le boucher pour en faire une soupe à son goût, et la ménagère de Londres sait qu'elle peut faire rôtir sa viande et même son pie aux pommes ou à la rhubarbe chez le boulanger, moyennant quelques sous, économisant ainsi son temps et son charbon. Et lorsque la cuisine commune - le four banal de l'avenir - ne sera plus un lieu de fraude, de falsification et d'empoisonnement, l'habitude viendra de s'adresser à ce four pour avoir les parties fondamentales du repas toutes prêtes, - quitte à leur donner la dernière touche chacun selon son goût.

Mais, en faire une loi, s'imposer le devoir de prendre sa nourriture toute cuite, - ce serait aussi répugnant à l'homme du dix-neuvième siècle que les idées de couvent ou de caserne, idées malsaines nées dans des cerveaux pervertis par le commandement, ou déformés par une éducation religieuse.

Qui aura droit aux denrées de la Commune ? Ce sera certainement la première question que l'on se posera. Chaque cité répondra elle-même, et nous sommes persuadés que les réponses seront toutes dictées par le sentiment de justice. Tant que les travaux ne sont pas organisés, tant qu'on est en période d'effervescence et qu'il est impossible de distinguer entre le fainéant paresseux et le désoeuvré involontaire, les denrées disponibles doivent être pour tous, sans aucune exception. Ceux qui auront résisté l'arme au bras à la victoire populaire, ou conspiré contre elle s'empresseront eux-mêmes de libérer de leur présence le territoire insurgé. Mais il nous semble que le peuple, toujours ennemi des représailles et magnanime, partagera le pain avec tous ceux qui seront restés dans son sein, qu'ils soient expropriateurs ou expropriés. En s'inspirant de cette idée, la Révolution n'aura rien perdu ; et lorsque le travail aura repris, on verra les combattants de la veille se rencontrer dans le même atelier. Dans une société où le travail sera libre, il n'y aura pas à craindre les fainéants.

- " Mais les vivres manqueront au bout d'un mois ", nous crient déjà les critiques.

Tant mieux ! répondons-nous, cela prouvera que pour la première fois de sa vie le prolétaire aura mangé à sa faim. Quant aux moyens de remplacer ce qui aura été consommé, - c'est précisément cette question que nous allons aborder.

La conquête du pain, extrait du chapitre intitulé "Les denrées", section IV


D'ailleurs, si la révolution se fait dans l'esprit dont, nous parlons, la libre initiative des individus trouvera un vaste champ d'action pour éviter les tiraillements de la part des égoïstes. Des groupes pourront surgir dans chaque rue, dans chaque quartier et se charger de pourvoir au vêtement. Ils feront l'inventaire de ce que possède la cité révoltée et connaîtront, à peu de chose près, de quelles ressources en ce genre elle dispose. Et il est fort probable que, pour le vêtement les citoyens de la cité adopteront le même principe que pour les denrées : - " Prise au tas pour ce qui se trouve en abondance ; rationnement pour ce qui se trouve en quantité limitée ".

Ne pouvant offrir à chaque citoyen une pelisse en zibeline et à chaque citoyenne une robe de velours, la société distinguera probablement entre le superflu et le nécessaire. Et - provisoirement, du moins - elle rangera la robe de velours et la zibeline parmi les superflus, quitte à voir peut-être par la suite si ce qui est objet superflu aujourd'hui ne peut pas devenir commun demain. Tout en garantissant le nécessaire à chaque habitant de la cité anarchiste, on pourra laisser à l'activité privée le soin de procurer aux faibles et aux malades ce qui sera provisoirement considéré comme objet de luxe ; de pourvoir les moins robustes de ce qui n'entre pas dans la consommation journalière de tous.

- " Mais c'est le nivellement ! L'habit gris de moine ", nous dira-t-on. " C'est la disparition de tous les objets d'art, de tout ce qui embellit la vie ! "

- Certainement, non ! Et, nous basant toujours sur ce qui existe déjà, - nous allons montrer tout à l'heure comment une société anarchiste pourrait satisfaire aux goûts les plus artistiques de ses citoyens sans pour cela leur allouer des fortunes de millionnaires.

La conquête du pain, extrait du chapitre intitulé "Le vêtement"


Voir aussi

Anarcho-communisme - Pierre Kropotkine - Entraide - Autogestion - Communisme


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