Association Internationale des Travailleurs

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Pour l'organisation anarcho-syndicaliste fondée en 1922, voir Association Internationale des Travailleurs (anarcho-syndicaliste).

L'Association Internationale des Travailleurs est le nom officiel de l'organisation également connue sous le nom de Première Internationale (ou Ire Internationale), fondée le 28 septembre 1864 à Londres. Dans son « Adresse inaugurale » de 1864 (rédigée par Karl Marx), l'AIT affirme que « l'émancipation des travailleurs doit être l'Å“uvre des travailleurs eux-mêmes ».

La Première Internationale est à ses débuts divisée entre marxistes et anarchistes. Pour cette raison, elle explose en 1872 (pour cause d'exclusion des anarchistes par Karl Marx). La même année, les anarchistes se réunissent au congrès de Saint-Imier où l'Internationale Anti-autoritaire est créée et dont les principes sont libertaires et collectivistes. Par la suite, seuls les anarcho-syndicalistes continueront à se réclamer de la Première Internationale. Vers 1876, le mouvement anarchiste oriente ses principes économiques sur le communisme plutôt que vers le collectivisme initial.

Historique et mise en place[edit]

Des balbutiements de internationalisme ouvrier aux premiers conflits[edit]

Logo d'abord utilisé par le Conseil Fédéral espagnol de l’AIT.

La première association internationale ouvrière fut fondée à Londres le 28 septembre 1855 par des proscrits français, allemands, polonais, belges et anglais. De sévères luttes d'influence entre proudhoniens bon teint et anarchistes radicaux ne lui permettent pas d'exister au-delà de 1859.

Cette tentative atteste au moins une volonté d'union parmi les fractions les plus avancées de la classe ouvrière des pays d'Europe Occidentale. C'est cette volonté que concrétise un autre congrès de constitution (le Ier congrès de l'AIT), celui de l'Association Internationale des Travailleurs (Première Internationale) à Genève le 3 septembre 1866.

Une grave équivoque allait naître avec l'adoption de statuts parfois ambigus. Pour Marx, ils permettaient l'action politique légale. Pour les futurs bakouninistes, « toute action doit avoir pour but immédiat et direct le triomphe des travailleurs sur le capital ».

Le IIe congrès qui s'ouvre à Lausanne le 2 septembre 1867 peut être appréhendé comme un affrontement entre les mutuellistes suisses et français et les collectivistes anglais et allemands. Les futurs « jurassiens » ne participent guère aux débats. Et, à l'occasion d'une motion finale, il est acquis que « l'émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique ». C'est entre ce congrès et celui de Bruxelles (le troisième, en septembre 1868) que tout va changer. Dès la fin de l'année 1867, le gouvernement français décide de contrer le développement de l'Internationale. Lors des premières poursuites (février 1868), Tolain et la commission parisienne démissionnent. Ils personnifiaient le mutuellisme proudhonien défenseur de la propriété individuelle, méfiant à l'égard des grèves et favorable à la femme au foyer - base de la famille. Ceux qui prennent le relais, avec Eugène Varlin à leur tête, prétendent dépasser le mutuellisme qui, selon eux, se doit de déboucher sur le collectivisme et le syndicalisme. Dans la section française, un collectivisme anti-étatique (par ce qualitatif, Varlin et ses amis cherchent à se différencier du marxisme) succède au mutuellisme. Un autre fait important se produit peu après, en juillet 1868 : Bakounine donne son adhésion à l'AIT (section de Genève).

Le IIIe congrès qui se déroule à Bruxelles du 6 au 13 septembre 1868 marquera le point fort d'une période de transition durant laquelle le courant collectiviste anti-autoritaire pénètre peu à peu l'Association. C'est lors du IVe congrès à Bâle du 6 au 12 septembre 1869 que l'on pourra apprécier le poids respectif de chacune des tendances. À partir de votes sur des motions ou amendements présentés par ces divers courants, on peut établir le rapport de force comme suit :

63 % des délégués de l'AIT se regroupent sur des textes collectivistes anti-autoritaires (bakouninistes).
31 % se rangent derrière les collectivistes autoritaires (marxistes).
6 % maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhonniens).

L'unité sera aisément sauvegardée par deux votes. Les deux premières tendances se retrouvent sur une proposition ayant trait à la socialisation du sol. Enfin, et à l'unanimité, le congrès décide d'organiser les travailleurs dans des sociétés de résistance (syndicats). Cependant, il n'en demeure pas moins que Marx et Bakounine s'observent, s'épient, se jaugent. « Ce russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du mouvement ouvrier européen. Qu'il prenne garde à lui, sinon il sera excommunié » (lettre du 27 juillet 1869 de Marx à Engels). « Il pourrait arriver et même dans un très bref délai, que j'engageasse une lutte avec lui [Marx]... pour une question de principe, à propos du communisme d'état... Alors, ce sera une lutte à mort. » (lettre du 28 octobre 1869 de Bakounine à Herzen).

La guerre de 1870 et la Commune ne font que retarder le dénouement de cette opposition farouche. En effet, les événements empêchent la tenue du Ve congrès qui devait s'ouvrir a Paris en septembre 1870. Cependant, les militants ouvriers se souviendront de l'attitude de chacun des deux « leaders » : Marx prodiguant des conseils de modération aux ouvriers parisiens pendant que Bakounine tentait de déclencher la révolution sociale en France. Dans le même temps, en avril 1870, lors du congrès régional de la fédération romande, se produit une scission, préfiguration du futur partage de l'AIT. Les délégués suisses se divisent sur l'attitude à adopter à l'égard des gouvernements et des partis politiques. Quelques phrases extraites des deux résolutions divergentes expriment bien cette opposition qui, de locale, allait gagner tout le mouvement. Pour les bakouninistes, « toute participation de la classe ouvrière à la politique bourgeoise gouvernementale ne peut avoir d'autre résultat que la consolidation de l'ordre des choses existant, ce qui paralyserait l'action révolutionnaire socialiste du prolétariat. Le congrès romand commande à toutes les sections de l'AIT de renoncer à toute action ayant pour but d'opérer la transformation sociale au moyen des réformes politiques nationales, et de porter toute leur activité sur la constitution fédérative de corps de métiers, seul moyen d'assurer le succès de la révolution sociale. Cette fédération est la véritable représentation du travail, qui doit avoir lieu absolument en dehors des gouvernements politiques ».


À l'inverse, les marxistes affirment « l'abstention politique est funeste par ses conséquences pour notre Å“uvre commune. Quand nous professons l'intervention politique et les candidatures ouvrières, nous voulons seulement nous servir de cette représentation comme d'un moyen d'agitation qui ne doit pas être négligé dans notre tactique. Nous croyons qu'individuellement chaque membre doit intervenir, autant que faire ce peut, dans la politique ».

Le Conseil Général de Londres va tenter d'éviter l'affrontement direct et se borne à rappeler aux bakouninistes que les statuts considèrent l'action politique comme un moyen d'émancipation. Mais, rapidement, ce conflit va déborder les frontières suisses. Les « bakouninistes », désormais appelés « jurassiens », vont rencontrer d'actives sympathies en France, en Espagne et en Belgique. Des manÅ“uvres conciliatrices tentées au sein des section romandes, puis à la conférence de Londres en 1871 vont échouer. Le Conseil Général de Londres enjoint alors aux jurassiens de se fondre dans la fédération agréée de Genève. Au nom du principe statutaire d'autonomie, les jurassiens s'obstinent, se révoltent. Tous comprennent alors que l'opposition est irréductible, que la scission est inévitable entre des bakouninistes déjà anarcho-syndicalistes et des marxistes qui souhaitent un grand parti ouvrier.

La scission et la prédominance du courant libertaire (fédération Jurassienne)[edit]

Dès le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en marge de l'AIT en adoptant des statuts anti-autoritaires et en contestant le pouvoir de décision d'un conseil général « hiérarchique et autoritaire ». La grande explication, la scission définitive et générale est donc une certitude ; elle a lieu début septembre 1872, lors du VIIIe congrès de La Haye.

Le lieu du congrès suscite déjà des oppositions. Nombre de fédérations pensaient qu'il se tiendrait en Suisse. Les « nordistes » se justifient par la crainte d' « influences locales néfastes ». Pour protester, les Italiens appellent à la tenue d'un congrès international anti-autoritaire à Neuchâtel. Les jurassiens, eux, mandatent impérativement J. Guillaume et A. Schwitzguebel pour présenter leur motion anti-autoritaire au congrès officiel et se retirer en cas de vote négatif. Ce sont l'hostilité et la méfiance qui vont alors régner parmi les 65 délégués d'une dizaine de pays.

Dès le début, Bakounine et Guillaume sont exclus, le conseil général se transfère à New York. La Première Internationale (branche marxiste) va s'éteindre lamentablement.

L'Internationale Anti-autoritaire va naître et s'engager sur une autre voie.

La fédération jurassienne sera le point de regroupement des fédérations hostiles au conseil général. C'est autour d'elle que va mûrir l'idéologie libertaire qui porte alors le nom de « collectivisme révolutionnaire » qui se veut le promoteur d'un système économique autogéré en dehors de toute autorité, de toute centralisation, de tout état. La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872. Y sont représentées les fédérations espagnoles, italiennes et jurassiennes dans leur totalité, plusieurs sections françaises et deux sections d'Amérique. Ce congrès se donne comme objectif « la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire ».

Dans un de ses derniers soubresauts, l'Internationale légale marxiste envoie lettre de défiance sur ultimatum, mais le mouvement fait tache d'huile. « Ces gens là [les jurassiens] sont au centre d'une conspiration qui s'étend » (lettre de Marx à Bolt datée du 12 février 1873).

La fédération anglaise elle-même s'agite. En quelques semaines toutes les fédérations nationales vont désavouer Marx et le conseil général. Ces derniers auront un ultime sursaut, la convocation d'un congrès général à Genève le 8 septembre 1873. Les trente délégués qui y assistent ne représentent qu'eux-mêmes, à savoir la vieille garde genevoise. Les décisions n'en seront pas publiées. « Ce congrès fut un fiasco » (lettre de Marx à Sorge du 27 septembre 1873). « La vieille internationale est complètement finie et a cessé d'exister » (lettre d'Engels à Sorge du 12 septembre 1873). Le 15 juillet 1876, le conseil général s'auto-dissout.

De fait, c'est dès 1873 que le mouvement ouvrier réel est ailleurs. Le 27 avril 1873 est convoqué à Neuchâtel le VIe congrès de l'AIT auquel assistent des délégués représentant les fédérations d'Angleterre, de Belgique, de Hollande, de Suisse, d'Espagne, d'Italie et de France. Le congrès se prononce pour l'abolition complète de tout conseil général et, à contrario, pour l'autonomie des fédérations. Pour compléter la structure organisationnelle de l'association, il est décidé qu'en dehors des congrès, les tâches de coordination seront confiées au bureau d'une fédération.

C'est au moment où il voit ses idées triompher que Bakounine décide de se retirer : « j'ai la conviction que le temps des grands discours théoriques est passé. Dans les neuf dernières années, on a développé au sein de l'internationale plus d'idées qu'il n'en faudrait pour sauver le monde, si les idées seules pouvaient le sauver. Ce qui importe avant tout aujourd'hui, c'est l'organisation des forces du prolétariat ». Cependant, peu avant sa mort, survenue en 1876, il estimait « que la réaction représentée tout aussi bien par le socialisme de M. Marx que par la diplomatie de M. de Bismarck, ne cessera de se renforcer ».

Ainsi qu'il avait été prévu par le précédent congrès, le VIIe congrès de l'Internationale se réunit à Bruxelles du 7 au 12 septembre 1874. On en retiendra que l'Italie, disant en cela suivre les recommandations de Bakounine, décide de se préparer à passer aux actes.

À l'opposé, sous l'influence de la section belge, un rapprochement est estimé utile avec les partis démocratiques et socialistes. Ce débat va se clarifier peu à peu durant les trois années suivantes. Il aboutira de fait à la dislocation de l'AIT.

C'est ainsi que durant le VIIIe congrès (du 26 au 27 octobre 1876 à Berne), César de Paepe et la section belge font admettre le projet de convocation d'un congrès socialiste auquel assisteraient des représentants des organisations « communistes autoritaires ». Les italiens, quant à eux, ont donc décidé de passer à l'action en utilisant la tactique du « fait insurrectionnel ». Ce sera l'épopée du Bénévent en avril 1877 et son échec : une trentaine d'anarchistes armés occupent deux villages, en brûlent les archives et « décrètent » la révolution. Une semaine plus tard, les insurgés, transis et affamés seront capturés sans offrir de résistance. Mais cet échec ne fut pas sans lendemain. La théorie mise en avant de l'exemplarité de l'acte, de la supériorité du « fait », même quantitativement peu importante et nécessairement violente, allait être reprise par d'autres. Au mois de juin de la même année, Costa et Paul Brousse définissent et expliquent ce que sera la « propagande par le fait ». Le courant anarcho-syndicaliste était alors trop faible pour mettre en avant ses théories d'actions auto-gestionnaires ou communalistes.

À l'inverse, la minorité anarchiste politiquement pure et dure, s'affirmait. Elle avait pour elle la caution des derniers messages de Bakounine qu'elle interprétait souvent étroitement ; elle s'appuyait aussi sur l'attrait qu'exerçaient alors en Europe, les pratiques violentes des nihilistes russes. Enfin, elle était lasse des luttes d'influences qui se jouaient au sein de l'AIT. Ces divergences sur la stratégie à adopter vont aboutir à des prises de positions extrêmes. Lorsque les fédérations belges, hollandaises et anglaises s'accordent pour revenir à une conception plus politique, plus légaliste de l'action, Kropotkine affirme qu'il est nécessaire de promouvoir « la révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite... » (Le Révolté n° 22).

Le IXe congrès de l'AIT tenu à Verviers en 1877 regroupe onze délégations acquises aux nouvelles idées radicales. Les représentants des fédérations d'Italie, de France, d'Allemagne, de Suisse, d'Égypte et de Grèce ne vont s'entendre que pour s'opposer négativement à la tendance qui avait prôné le rapprochement vis-à-vis des partis : « Tous les partis forment une masse réactionnaire... il s'agit de les combattre tous ». L'entente était donc. impossible avec les trente cinq délégués « marxistes » et « socialistes autoritaires » qui se réunissent quelques jours après à Gand lors du congrès socialiste universel. Les délégués du congrès de Verviers y sont minoritaires. Ils voient la fédération belge et les sections flamandes quitter leur internationale, considérée comme annexée par les anarchistes, pour se rallier au marxisme. « Le congrès de Gand a eu au moins cela de bon que Guillaume et compagnie ont été totalement abandonnés par leurs anciens alliés ». (lettre de Marx à Sorge du 27 septembre 1877).

Une fois de plus, la coupure est évidente, le divorce est consommé. Mais, cette fois, à l'avantage des marxistes. Le malaise ne va que s'accentuer chez les anti-autoritaires qui représentent de moins en moins une force réelle.

La dislocation de la première internationale et l'intermède de la terreur[edit]

Les militants anarchistes les plus actifs se tournent vers un type d'actions individuelles, la propagande par le fait, qui va les couper du mouvement ouvrier. La Fédération Jurassienne, encore la plus active, estime même inutile de préparer le Xe congrès de 1878. Il en restera des idées et des pratiques neuves, tels que les principes de solidarité économique ou d'autogestion fédéraliste :

« De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins ».
« Le concours de tous pour la satisfaction des besoins de chacun ».
« La libre fédération des groupes producteurs et consommateurs ».

On peut se demander si les meilleurs moyens de parvenir à cet idéal sont ceux choisis par les anarchistes réunis à la Chaux-de-Fonds, fin 1880 :

« Sortir du terrain légal pour porter l'action sur celui de l'illégalité ».
« Recommander l'application aux individus des sciences techniques et chimiques ... »

La première AIT dans sa version anarcho-syndicaliste est bien morte.

Cet aperçu de l'histoire de la Première AIT née en 1866 et morte en 1880 indique que cette organisation n'a pas suivi une trajectoire idéologique linéaire. Durant les deux premières années de son existence, elle fut dominée par les proudhoniens français modérés. Très vite, deux influences contradictoires plus radicales vont se livrer un combat sans répit en son sein. Le marxisme scientifique anglo-saxon l'emporte jusqu'en 1871. Son règne sera de courte durée. Une tendance que Marx n'avait jamais pu réduire gagne la majorité des révolutionnaires. Le cycle des révolutions « politiques » (1830, 1848) s'était clos avec la Commune, exemple de révolution « sociale ». Les libertaires d'alors étaient persuadés de la viabilité d'une révolution de caractère nouveau où le fédéralisme et l'autonomie l'emporteraient sur des structures de pouvoir hiérarchisées et autoritaires, où l'autogestion, la démocratie directe et la solidarité seraient plus efficaces qu'une quelconque dictature prolétarienne.

Cependant, les dépositaires de la pensée bakouniniste et de l'action libertaire ne constituaient pas, par essence, un bloc homogène. Deux courants s'étaient faits jour.

Pour le premier, la réalisation de ce monde nouveau n'était possible que par un travail organisationnel de longue haleine, à savoir l'application continue des principes de base d'un syndicalisme militant d'action directe [1] : l'anarcho-syndicalisme. À cet égard, la résolution de Saint-Imier (1872) est un texte fondamental :

"Considérant :

que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire ;
que nul n'a le droit de priver les sections ou fédérations autonomes du droit incontestable de déterminer elles-mêmes et suivre la ligne politique qu'elles croiront la meilleure, et que toute tentative semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme ;
que les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d'autre objet que l'établissement d'une organisation et d'une fédération économiques absolument libres, fondées sur le travail et l'égalité de tous et absolument indépendant de tout gouvernement politique, et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l'action spontanée du prolétariat lui-même, des corps de métiers et des communes autonomes ;
« considérant que toute organisation politique ne peut rien être que l'organisation de la domination au profit d'une classe et au détriment des masses, et que le prolétariat, s'il voulait s'emparer du pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante,

"le congrès réuni à Saint-Imier déclare :

que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat ;
que toute organisation d'un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu'une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existants aujourd'hui ;
que, repoussant tout compromis pour arriver à l'accomplissement de la révolution sociale

, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire".

Tout pouvait sembler réuni pour que ce nouveau courant syndicaliste et libertaire aille en se fortifiant. Mais, dès 1877 il a perdu toute sa sève. Entre temps, chez beaucoup des militants les plus en vue, le militantisme ouvrier se transforme en impatience intellectuelle.

S'appuyant sur des textes de Bakounine auxquels ils donnent valeur de testament, ils affirment que l'issue de la problématique sociale réside dans le choix du fait insurrectionnel collectif, puis de la propagande par le fait individuel. Cela est alors totalement étranger à l'anarcho-syndicalisme pour lequel la « société de résistance-corporation » se suffit à elle-même dès lors qu'elle applique dans son fonctionnement les principes pour lesquels elle lutte. À l'inverse, les anarchistes assoiffés de pureté vont constituer un « parti ». Bien sur, ses membres ne se présenteront pas aux élections, ils ne brigueront évidemment pas de postes ministériels. Non, ses militants vont plus ou moins consciemment s'isoler du mouvement social pour se suicider politiquement dans des actes gratuits qu'ils espéraient exemplaires. Cette désespérance viscérale, épidermique, camouflée parfois sous des théories qui se voulaient rationnelles et logiques, traduisait dans la majorité des cas un profond désarroi sur la possibilité même de la révolution. Mis à part ce côté « tout, tout de suite ou alors rien », le parti anarchiste n'est objectivement et substantiellement plus dans le mouvement ouvrier issu de la première Internationale.

Les anarchistes engagés sur la voie de la chimie expérimentale, les militants ouvriers anti-autoritaires épuisés passant la main, l'AIT sombrait et Marx, avec un peu d'habileté, en recueillera sans mal les restes qui se réduisaient à un sigle déjà repris par les fédérations belge et anglo-saxonne effrayées par le mal étrange qui touchait les représentants latins, soudain fanatisés par la poudre et les armes blanches. Par réaction, les premières se jetèrent dans les bras de Marx.

Le mouvement anarchiste spécifique va dans sa quasi totalité sombrer dans la propagande par le fait. On peut esquisser quelques explications sur le « dérapage » de l'action politique des militants anarchistes d'alors. On remarque tout d'abord que les illégalistes les plus célèbres (Bonnot, Henry, Ravachol) sont des exemples presque parfaits de rejetés sociaux (mauvais rapports avec les parents, dialogues musclés avec les employeurs, puis exclusion de fait de la vie sociale) ou d'intellectuels orgueilleux et distants, rédempteurs extrémistes de la population moutonnière.

D'autre part, il semble certain que le mouvement anarchiste, enfermé dans des spéculations complexes dont il résolvait la problématique par le choix de la violence aveugle, fut dépassé par la mutation économique des années 1880. De fait, depuis 1877, les libertaires « durs » s'étaient écartés du mouvement social. Or, dans le même temps, le capitalisme voit son processus de concentration industrielle s'accélérer ; alors qu'à cette époque nombre de militants révolutionnaires se recrutaient dans de petites entreprises artisanales et marginales auxquelles ils étaient réellement attachés (ébénistes du Faubourg Saint Antoine, horlogers jurassiens, ardoisiers de Trélazé, etc.) beaucoup de ces travailleurs, plutôt que de chercher à lutter dans le nouveau corps social, laissèrent parler leur individualisme forcené et se vengèrent sur les personnes symboliques des chefs d'états, des princes et des nouveaux bourgeois. Ces actes auront bien sur une coloration particulière. C'est-à-dire qu'il se distinguera toujours du terrorisme « politique » traditionnel dont le but est de prendre ou -de conserver le pouvoir politique en utilisant la terreur pour renverser ou maintenir le pouvoir de force à son profit. Les anarchistes ne veulent alors que détruire le pouvoir.

Fernand Pelloutier explique en partie le pourquoi du glissement du mouvement anarchiste vers l'action individuelle - « après la Commune, la section française de l'Internationale fut dissoute, les révolutionnaires fusillés, envoyés au bagne ou condamnés à l'exil... » Ce vide subit et cette atmosphère d'oppression vont permettre à certaines grandes figures vieillies, jouissant encore d'un prestige et d'un écho certain, ou à quelques jeunes loups cyniques et provocateurs d'occuper le devant de la scène. C'est ainsi que le jeune nihiliste russe Netchaïev reprend à son compte quelques phrases sibyllines des résolutions de l'Internationale et, s'affirmant comme le dauphin de Bakounine, affirme qu'un révolutionnaire doit être « amoral, voleur, assassin, opportuniste et corrupteur ». Le mot d'ordre de « la propagande par le fait » fut lancé en 1881 à Paris ; dès 1887, les « leaders » font leur mea-culpa et Kropotkine écrit alors dans Le Révolté : « c'est une illusion de croire que l'on peut vaincre les coalitions d'exploiteurs par quelques livres d'explosifs ». La propagande par le fait fut d'ailleurs un fiasco car ce n'est que de 1892 à 1894 que les lanceurs de bombes passés à la postérité vont frapper. Ravachol, Henry, Casério semblent être la récolte tardive d'une mauvaise semence.

Il n'empêche que, toujours selon Pelloutier, le fait que les anarchistes aient opté pour la révolte isolée au préjudice de l'action collective n'a fait que détourner du socialisme libertaire une masse ouvrière alors allergique au parlementarisme. C'est alors que, poussés par une base ouvrière qui se regroupe pour agir sur le terrain de la production économique et de la vie sociale, les survivants de cette véritable, bien que bruyante traversée du désert politique vont lutter pour aller renforcer ce qui constitue les prémices du syndicalisme révolutionnaire du XXe siècle.

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