Joseph Déjacque
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Joseph Déjacque (né le 27 décembre 1821 et mort en 1864 à Paris), militant et écrivain anarchiste, a créé le néologisme libertaire, par opposition à libéral, dans son pamphlet De l'Être-Humain mâle et femelle - Lettre à P. J. Proudhon publié en 1857 à la Nouvelle-Orléans. « Ouvrier-poète » selon un modèle né dans les milieux saint-simoniens de la Monarchie de Juillet et authentique prolétaire, Joseph Dejacque a écrit lors d'un long exil de dix ans en Europe puis aux Etats-Unis consécutif au coup d’État du 2 décembre 1851 une œuvre abondante et emportée qui restera longtemps méconnue dans son pays d'origine malgré le succès du mot qu'il a inventé.
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Biographie sommaire
Né à Paris en 1822, orphelin de son père, il est élevé par sa mère, lingère. Il fréquenta l’école Salive dans le Faubourg Saint-Antoine. Entré en 1834 comme apprenti, il devient, en 1839, commis de vente dans un commerce de papiers-peints. En 1841, il s'engage dans la Marine, découvre l'Orient mais aussi l'autoritarisme militaire. De retour à la vie civile en 1843, il exerce comme commis de magazin, mais son indépendance d'esprit s'accommode mal de l'autorité patronale. En 1847, il adopte le métier de peintre en bâtiment et de colleur depapiers peints et commence à s'intéresser aux idées socialiste. Il compose des poèmes dans lesquels il appelle à la destruction de toute autorité par la violence, et collabore au journal "L'Atelier". Il fréquente le "Club de l'Atelier" puis le quitte ensuite pour militer au sein du "Club de l'émancipation des femmes".
Au chomâge, Dejacque s'inscrit le 10 mai 1848 aux Ateliers Nationaux [1], organisation qui était destinée à fournir du travail aux chômeurs parisiens après la révolution de février 1848. Le 15 mai 1848, l'Assemblée Constituante est envahie par les ouvriers, mais les principaux responsables socialistes sont arrêtés. Le 21 juin 1848, les "Ateliers nationaux" sont supprimés par décret de l'assemblée constituante, marquant ainsi la fin de la tentative d'organisation du travail par les ouvriers. L'Assemblée constituante ayant également décrété que les célibataires des ateliers nationaux de 17 à 25 ans devaient s'enrôler dans l'armée, tandis que les autres étaient envoyés en Sologne pour y creuser le canal de la Sauldre ou dans les Landes pour faire des défrichements, elle provoque un soulèvement parisien en juin 1848. Les ouvriers occuperont (jusqu'au 25 juin) la moitié de la ville aux cris de "Vive la révolution sociale". La répression est terrible. L'insurrection ouvrière est réprimé durement par l'armée du nouveau ministre de la Guerre, le général Louis Eugène Cavaignac [2], renforcée par des gardes nationaux des quartiers bourgeois ou venus de province . Fait inédit, on tira massivement au canon pour détruire les barricades. L'armée (républicaine) usant de l'artillerie, massacre trois mille insurgés. Quinze mille sont arrêtés et déportés sur les pontons de Cherbourg et de Brest. Dejacque est parmi eux, bien qu'il n'ait pas participé directement à l'insurrection. Libéré en 1849, il rejoint Paris et, en août 1851, publie "Les Lazaréennes, fables et poésies sociales" qui lui valent aussitôt une condamnation à 2 ans de prison. Mais libéré au lendemain du coup d'Etat de Bonaparte, il s'exile à Londres où il se lie à Gustave Lefrançais avec qui il fonde une société d'entraide ouvrière "La Sociale". A la fin de l'année, il est à Jersey où il ne rate aucune occasion de pourfendre les républicains (contraints à leur tour à l'exil par Louis Bonaparte). En 1854, il rejoint la colonie française de New York, où il publie la brochure "La Question révolutionnaire". En 1855, il signe le manifeste inaugural de l'Association internationale des travailleurs (A.I.T[3]), puis se fixe à la Nouvelle-Orléans où il écrit "l'Humanisphère, utopie anarchique", et prend la défense des femmes dans une lettre à Proudhon. En 1858, il retourne à New York où il commence le 9 juin la publication du journal "Le Libertaire". En 1861, découragé, il rentre en France à la faveur de l'amnistie de 1860. Mais, dans la misère, il sombre dans la folie et meurt à Paris en 1864.
« Peinture et collage de papier »
« Joseph Déjacque, ouvrier et décorateur, 17 White street, New - York. » : dans le journal qu'il fait paraître à New-York entre 1858 et 1861, Joseph Déjacque n'hésite pas à insérer, en dépit des opinions qu'il y affiche sur la société qu'il côtoie, une petite annonce pour proposer son travail, nous révélant la condition de celui qui fut un des rares prolétaires des premiers penseurs de l'Anarchie. Au prix de difficultés matérielles dont il se plaint à plusieurs reprises, 27 numéros sortent, entièrement de la composition de l'auteur qui y alterne critique sociale et politique, pamphlets et essais théoriques, pièces de théâtre aussi.
C'est l'instauration de la dictature bonapartiste qui a conduit Déjacque en Amérique. Incarcéré en août 1851 après la publication d'un recueil de poésies jugées subversives et contraint à quitter la France, il se réfugie d'abord à Bruxelles puis à Londres, avant de rejoindre la petite communauté de proscrits regroupés à Jersey. Le 26 juillet 1853, il prononce un discours lors de l'enterrement d'une proscrite du Belleville populaire, morte dans la misère, prenant la parole après Hugo l'orateur désigné en assemblée générale des proscrits.
Installé à New-York à partir de 1854, durablement marqué par la défaite de 1848, Joseph Déjacque dénonce violemment dans ses écrits l'injustice de la société dans laquelle il vit et en particulier l'exploitation et les conditions de vies misérables des prolétaires. Il appelle à la révolution sociale tout en désirant sauvegarder la liberté, la « souveraineté individuelle » :
- "Privilégiés! - pour qui a semé l'esclavage, l'heure est venue de récolter la rébellion. Il n'est pas un travailleur qui, sous les lambris de sa cervelle, ne confectionne clandestinement quelques pensées de destruction. Vous avez, vous, la baïonnette et le Code pénal, le catéchisme et la guillotine; nous avons, nous, la barricade et l'utopie, les sarcasme et la bombe."
- In: l'Humanisphère, utopie anarchique.
Ses réflexions sur l'existence individuelle dans le monde industriel et capitaliste l'amènent à élaborer une théorie originale de l'universalité et à proner une politique anarchique intransigeante qu'il expose notamment dans L’Humanisphère, utopie anarchique, (New-York, 1857) et dans divers textes qu'il publie dans Le Libertaire.
Anarchiste intransigeant, Joseph Déjacque rejette tout système de représentation ou de délégation politique qui conduirait l'individu à abdiquer sa volonté en laissant un autre s'exprimer à sa place, refus qui, selon ses propres déclarations, a motivé son intervention en réponse à Victor Hugo et qu'il développe dans La question révolutionnaire écrite à Jersey et publiée à son arrivée à New-York en 1854. Partisan de la plus complète liberté qu'il nomme « souveraineté individuelle », dans un monde sans exploitation, Joseph Déjacque est connu aussi pour avoir, parmi les premiers, réclamé notamment dans De l'Être-Humain mâle et femelle, en réponse à la mysoginie de Proudhon, la parité totale pour les femmes :
- « Élevez la voix contre cette exploitation de la femme par l’homme. Dites au monde que l’homme ne pourra désembourber la révolution, l’arracher de sa fangeuse et sanglante ornière qu’avec l’aide de la femme ; que seul il est impuissant. Dites à l’homme et dites à la femme qu’ils n’ont qu’un seul et même nom comme ils ne font qu’un seul et même être, l’être humain ; qu’ils en sont, tour à tour et tout à la fois, l’un le bras droit et l’autre le bras gauche. Dites-leur encore qu’à cette condition seule ils pourront percer les ombres qui séparent le présent de l’avenir, la société civilisée de la société harmonique.»
- In : De l’être humain mâle & femelle. Lettre à P. J. Proudhon, Joseph Déjacque
Profitant de l’amnistie, Déjacque rentre en France en 1861. « Il est mort, fou de misère, à Paris en 1864 » note Gustave Lefrançais dans ses Souvenirs d’un révolutionnaire.
Au panthéon des grands absents
- « Plus près de nous, Dejacque, un prolétaire de talent, et Cœurderoy, un négateur paradoxal et éloquent qui maria, dans sa Révolution par les Cosaques, le saisissant pessimisme de Herzen et la pandestruction de Bakounine.
- C’était en 1854. Ni Cœurderoy ni Dejacque n’eurent d’écho dans le parti révolutionnaire. »
Benoît Malon, dans « le Socialisme Intégral » (La Plume n°91 - 1893) situe Déjacque, en compagnie de l'étrange Ernest Cœurderoy, qu'il connut, en bonne place dans une aussi brève que précise généalogie de l'anarchisme militant de son époque, « fils légitime de la propagande bakouniste ». Deux ans plus tard Sébastien Faure fonde avec Louise Michel un nouveau journal, intitulé Le Libertaire qui consacre le succès du terme. L'époque qui chérissait la propagande par le fait ne pouvait que se reconnaître dans la prose enflammée de Déjacque. Il reste cependant peu lu et la note que lui consacre l'auteur de l'article assez évasive : « Principal rédacteur du Libertaire et auteur de l’humanisphère, productions parfois incorrectes, mais pleines de souffle et de chaude et généreuse inspiration ». Voilà à peu près ce qu'en retiendra le siècle suivant.
Au XXe siècle, ses textes ne font l'objet que de quelques rares rééditions partielles, l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam conservant l’unique collection complète du Libertaire connue, avant que ses œuvres complètes (à l'exclusion de sa poésie) soient éditées en 2003 sur Internet.
Bibliographie
- Les Lazaréennes, fables et poésies sociales, Paris, Chez l'Auteur, 37 rue Descartes, In-8. 47 p., 1851
- « Discours prononcé le 26 juillet 1853 sur la tombe de Louise Julien, proscrite », Almanach des Femmes, Women's Almanach for 1854, Londres-Jersey, 1853-1854
- La question révolutionnaire, New-York, 1854
- De l'être-humain mâle et femelle. Lettre à P.J. Proudhon, La Nouvelle-Orléans, 1857
- Les Lazaréennes, deuxième édition, Nouvelle-Orléans, 1857
- Béranger au pilori, La Nouvelle-Orléans, 1857
- L’Humanisphère, utopie anarchique, New-York, 1857
- Le Libertaire, Journal du mouvement social, New-York, juin 1858 à février 1861, 27 n° de 4 pages
- « Le Circulus dans l’Universalité », n° 8 et 9, 1858-1859
- « L’autorité — La Dictature », n° 12, 1859 (rééd. in A bas les Chefs !, Champ libre, 1971)
- « L'Organisation du travail », n° 22, 24, 26, 1860
- « Lettre à Pierre Vésinier », 1861
Å’uvres : Dejacque.free
Références
- L'agité prolétaire, étude de Valentin Pelosse en ouverture à la Question révolutionnaire.
- Joseph Déjacques (1821-1864) The Anarchist Encyclopedia, sur les lecteurs anarchistes de Déjacques (Kroptokine, Sébastien Faure).
- Benoît Malon, « Le Socialisme Intégral », La Plume, n° 91, 1er février 1893
- Joseph Déjacque sur la Wikipédia.
Notes
- ↑ Les "[ateliers nationaux]" sont théorisés dans l'Organisation du travail (1839) de Louis Blanc. Ce dernier prévoyait la création de coopératives de production, associations d'ouvriers de la même profession, sans patron. L'État devait favoriser la création en fournissant le capital initial.
- ↑ Le général Louis Eugène Cavaignac s'était illustré dans la conquête - et les massacres - en Algérie
- ↑ L'association internationale des travailleurs, appelé aussi Ire Internationale, était une organisation du mouvement ouvrier où se cotoyaient notamment des marxistes et des anarchistes entre 1864 et 1876. Voir infos sur wikipedia