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En mai 1886, lorsque Voltairine entend parler pour la première fois de l'arrestation des anarchistes de Chicago, elle s'exclame: «Qu'on les pende!» Elle se trouve momentanément emportée par la vague d'hostilité contre les anarchistes, les syndicats et les immigrés qui se répand dans le pays. En effet, la presse entame une violente campagne à partir du 5 mai, le jour suivant la tragédie de Haymarket. Rappelons l'enchaînement des faits.  
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En mai 1886, lorsque Voltairine entend parler pour la première fois de l'arrestation des anarchistes de Chicago, elle s'exclame: «Qu'on les pende!» Elle se trouve momentanément emportée par la vague d'hostilité contre les anarchistes, les syndicats et les immigrés qui se répand dans le pays. En effet, la presse entame une violente campagne à partir du 5 mai, le jour suivant la tragédie de Haymarket. Rappelons l'enchaînement des faits.[http://dwardmac.pitzer.edu/Anarchist_Archives/haymarket/graphics/haymarketcol.jpg]
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Le 1er mai 1886, une grève générale éclate dans les principales villes des États-Unis. Des centaines de milliers d'ouvriers manifestent dans les rues en exigeant la mise en application immédiate de la journée de 8 heures. Le combat pour la réduction du temps de travail a pris de l'ampleur depuis quelques années dans les principaux centres industriels du pays. Chicago est à l'avant-garde de ce mouvement, que les anarchistes dirigent et organisent dans cette ville. La presse bourgeoise les dénonce constamment et les patrons craignent le pouvoir croissant des organisations ouvrières.  
 
Le 1er mai 1886, une grève générale éclate dans les principales villes des États-Unis. Des centaines de milliers d'ouvriers manifestent dans les rues en exigeant la mise en application immédiate de la journée de 8 heures. Le combat pour la réduction du temps de travail a pris de l'ampleur depuis quelques années dans les principaux centres industriels du pays. Chicago est à l'avant-garde de ce mouvement, que les anarchistes dirigent et organisent dans cette ville. La presse bourgeoise les dénonce constamment et les patrons craignent le pouvoir croissant des organisations ouvrières.  
 
Le 3 mai 1886, la police de Chicago ouvre le feu sur des grévistes, tuant et blessant plusieurs personnes. Les anarchistes appellent alors à un rassemblement de protestation le lendemain. Le 4 mai, un meeting se tient à Haymarket Square où plusieurs centaines d'ouvriers viennent écouter des syndicalistes radicaux.  
 
Le 3 mai 1886, la police de Chicago ouvre le feu sur des grévistes, tuant et blessant plusieurs personnes. Les anarchistes appellent alors à un rassemblement de protestation le lendemain. Le 4 mai, un meeting se tient à Haymarket Square où plusieurs centaines d'ouvriers viennent écouter des syndicalistes radicaux.  

Revision as of 14:28, 5 December 2008

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Voltairine de Cleyre est née le 17 novembre 1866 dans le Michigan, aux États-Unis. Enseignante, athée, libre-penseuse et anarcho-féministe.

Au cour de ses conférences en Amérique puis en Europe, elle rencontra Kropotkine, Louise Michel, Sébastien Faure et plusieurs autres libertaires.

Réponse au sénateur Joseph R. Hawley qui avait offert une prime de 1000 dollars à quiconque tuerait un anarchiste : « Je suis une anarchiste, je le suis depuis 14 ans et la chose est de notoriété publique puisque j’ai beaucoup écrit et prononcé de conférences sur le sujet. Je suis persuadée que le monde serait un bien meilleur endroit s’il n’y avait ni rois, ni empereurs, ni présidents, ni princes, ni juges, ni sénateurs, ni représentants, ni gouverneurs, ni maires, ni policiers. Je pense que ce serait tout à l’avantage de la société si, plutôt que de faire des lois, [M. le sénateur,] vous faisiez des chapeaux—ou des manteaux, ou des souliers ou quoi que ce soit d’autre qui puisse être utile à quelqu’un. J’ai l’espérance d’une organisation sociale dans laquelle personne ne contrôle autrui et où chacun se contrôle soi-même. »

Emma Goldman tenait Voltairine de Cleyre pour « la femme anarchiste la plus douée et la plus brillante que l’Amérique ait jamais produit », et ce jugement avancé il y a près d’un siècle n’a toujours pas été infirmé.

Voltairine de Cleyre est née le 17 novembre 1866 à Leslie, dans le Michigan. Libre-penseur, son père admire beaucoup Voltaire, notamment sa critique de la religion, ce qui explique le choix du prénom de sa fille. Le grand-père maternel de Voltairine avait défendu des positions abolitionnistes et participé au «chemin de fer souterrain» (à la filière clandestine) qui aidait les esclaves à fuir jusqu'au Canada. Quant au père de Voltairine, lui-même, il avait émigré de France et était un artisan socialiste et libre-penseur. Il travaille de très longues heures pour gagner un maigre salaire, sa femme fait des travaux de couture à domicile, mais leurs enfants sont constamment «sous-alimentés» et «très faibles physiquement». Selon Addie, l'une des sours de Voltairine, leur enfance misérable explique le radicalisme de Voltairine ainsi que « sa profonde sympathie et sa compréhension pour les pauvres». Ces difficultés matérielles contribuent également à multiplier les points de friction entre leurs parents, qui finissent par se séparer.

Voltairine étudie ensuite pendant trois ans et demi dans un couvent où son père l'envoie pour combattre sa paresse et son absence de bonnes manières. Pourquoi cet homme anticlérical et libre-penseur a-t-pris une telle décision? Il espérait sans doute que la formation acquise au couvent aiderait sa fille à se défendre dans la vie. Cette expérience va influencer toute l'existence de Voltairine. Si elle apprit beaucoup de choses, notamment à parler français et à jouer du piano, ce séjour dans une institution catholique poussa aussi son esprit rebelle dans une direction anti-autoritaire.

Dans son essai «Comment je devins anarchiste», elle explique l'impact et l'influence durables du couvent sur sa pensée. «J'ai réussi finalement à en sortir et j'étais une libre-penseuse lorsque j'en suis partie, trois ans plus tard, même si, dans ma solitude, je n'avais jamais lu un seul livre ni entendu une seule parole qui m'ait aidé. J'ai traversé la Vallée de l'Ombre de la Mort, et mon âme porte encore de blanches cicatrices, là où l'Ignorance et la Superstition m'ont brûlé de leur feu infernal, durant cette sinistre période de ma vie. A côté de la bataille de ma jeunesse, tous les autres combats que j'ai dû mener ont été faciles, car, quelles que soient les circonstances extérieures, je n'obéis désormais plus qu'à ma seule volonté intérieure. Je ne dois prêter allégeance à personne et ne le ferai jamais plus; je me dirige lentement vers un seul but: la connaissance, l'affirmation de ma propre liberté, avec toutes les responsabilités qui en découlent. Telle est, j'en suis convaincue, la raison essentielle de mon attirance pour l'anarchisme.»

La libre-pensée

Dès qu'elle quitte le couvent, Voltairine se met à donner des cours particuliers de musique, de français, d'écriture et de calligraphie, activités qui lui permettent de gagner son pain jusqu'à sa mort. Voltairine commence parallèlement une carrière de conférencière et d'écrivaine. Voulant se débarrasser des influences autoritaires de l'Eglise sur sa formation intellectuelle, elle se lance avec ferveur dans le mouvement pour la libre-pensée, en pleine croissance à l'époque. Selon l'auteur féministe Wendy McElroy, ce courant «anticlérical, antichrétien, voulait obtenir la séparation de l'Eglise et de l'Etat afin que les questions religieuses dépendent seulement de la conscience et de la faculté de raisonner de chaque individu ». C'est à travers son engagement pour la libre-pensée que Voltairine découvrit l'anarchisme - évolution classique à l'époque pour beaucoup de libertaires, en tout cas ceux qui étaient nés aux Etats-Unis.

En 1886, Voltairine commence à écrire pour un hebdomadaire libre-penseur The Progressive Ageet en devient rapidement la rédactrice en chef. A l'époque elle donne des conférences dans la région de Grand Rapids, Michigan, où elle vit, et dans d'autres villes de cet Etat. Elle traite de sujets comme la religion, Thomas Paine, Mary Wollstonecraft (qui était l'une de ses héroïnes) et la libre-pensée. Voltairine prend la parole à Chicago, Philadelphie et Boston. Elle participe aussi fréquemment à des tournées de conférences organisées par l'American Secular Society (Association laïciste américaine) à travers tout l'Ohio et la Pennsylvanie. Elle s'adresse à des groupes rationalistes, des clubs libéraux et des associations de libres-penseurs. Sa réputation d'oratrice grandit et ses auditeurs trouvent ses conférences «riches et originales» comme l'écrivit Emma Goldman. Elle envoie aussi des articles et des poèmes aux principales publications laïcistes du pays.

En décembre 1887, Voltairine commence à s'intéresser aux questions économiques et politiques, après avoir écouté une conférence sur le socialisme présentée par Clarence Darrow. Écrivant un article à ce sujet dans The Truth Seeker,elle remarque: «C'était la première fois que j'entendais parler d'un plan d'amélioration de la condition ouvrière qui explique le cours de l'évolution économique. Je me suis précipité vers ces théories comme quelqu'un qui s'échapperait en courant de l'obscurité pour trouver la lumière.» Quelques semaines plus tard, Voltairine se déclare socialiste. Elle est attirée par le message anticapitaliste de ce courant et son appel à la lutte de la classe ouvrière contre l'ordre économique dominant. Cependant, comme l'explique Emma Goldman, son «amour inné de la liberté ne pouvait se concilier avec les conceptions étatistes du socialisme». Voltairine se trouve obligée de défendre le socialisme dans des débats avec les anarchistes, à un moment décisif pour l'histoire de ce courant. En effet, le 11 novembre 1887, quatre anarchistes sont pendus par l'Etat d'Illinois. Ils passeront à la postérité sous le nom des «martyrs de Haymarket». Leur emprisonnement, leur procès grotesque et leur exécution déclenchent un vaste mouvement de solidarité dans le monde entier.

« Qu'on les pende ! »

En mai 1886, lorsque Voltairine entend parler pour la première fois de l'arrestation des anarchistes de Chicago, elle s'exclame: «Qu'on les pende!» Elle se trouve momentanément emportée par la vague d'hostilité contre les anarchistes, les syndicats et les immigrés qui se répand dans le pays. En effet, la presse entame une violente campagne à partir du 5 mai, le jour suivant la tragédie de Haymarket. Rappelons l'enchaînement des faits.[1]

Le 1er mai 1886, une grève générale éclate dans les principales villes des États-Unis. Des centaines de milliers d'ouvriers manifestent dans les rues en exigeant la mise en application immédiate de la journée de 8 heures. Le combat pour la réduction du temps de travail a pris de l'ampleur depuis quelques années dans les principaux centres industriels du pays. Chicago est à l'avant-garde de ce mouvement, que les anarchistes dirigent et organisent dans cette ville. La presse bourgeoise les dénonce constamment et les patrons craignent le pouvoir croissant des organisations ouvrières. Le 3 mai 1886, la police de Chicago ouvre le feu sur des grévistes, tuant et blessant plusieurs personnes. Les anarchistes appellent alors à un rassemblement de protestation le lendemain. Le 4 mai, un meeting se tient à Haymarket Square où plusieurs centaines d'ouvriers viennent écouter des syndicalistes radicaux. La police encercle le rassemblement et le déclare illégal. La police charge les travailleurs mais tout à coup quelqu'un, du côté des manifestants, lance une bombe qui tue un officier de police et en blesse plusieurs autres. Les flics organisent immédiatement une série de descentes et de perquisitions dans les domiciles et les locaux des anarchistes, arrêtant et interrogeant des centaines de sympathisants. Huit hommes sont jugés responsables de l'attentat et déclarés coupables de meurtre, même si certains d'entre eux n'étaient même pas présents sur les lieux. Deux militants sont condamnés à perpétuité, un troisième à 15 ans, un quatrième se suicide parce qu'il dénie à l'Etat le droit de lui ôter la vie, et les quatre derniers sont pendus le 11 novembre 1887.

Voltairine regrette rapidement sa réaction initiale et, peu après l'exécution des martyrs de Haymarket, elle se convertit à l'anarchisme. L'anniversaire de l'exécution des martyrs de Haymarket devient une date importante pour le mouvement ouvrier international, et articulièrement aux Etats-Unis. Les cérémonies organisées à cette occasion sont aussi l'occasion de se compter et de donner une nouvelle impulsion au combat contre l'exploitation. Beaucoup d'auditeurs trouvent les discours de Voltairine particulièrement passionnés et stimulants. Elle prend la parole aux côtés d'autres anarchistes célèbres comme Emma Goldman, Alexander Berkman et Lucy Parsons, l'épouse d'un des martyrs de Haymarket (Albert Parsons) et l'une des organisatrices les plus infatigables du mouvement. Chaque année, Voltairine participe à ces manifestations, même lorsqu'elle est profondément déprimée ou malade car elle y puise de l'inspiration et du courage. L'année 1888 marque un tournant dans la vie de Voltairine de Cleyre. C'est l'année où elle écrit ses premiers essais anarchistes, mais aussi l'année où, pendant une tournée de conférences, elle rencontre les trois hommes qui vont jouer un rôle important dans sa vie: T. Hamilton Garside, dont elle tomba passionnément amoureuse; James B. Elliott, dont elle eut un enfant; et Dyer D. Lum, avec lequel elle entretint une relation intellectuelle, morale et physique, qui fut plus importante que celles avec Garside et Elliott, mais qui se termina, comme les autres, par une tragédie.

Trois échecs

Garside donnait lui aussi des conférences sur la lutte sociale et lorsque Voltairine tombe amoureuse de lui, elle n'a que 21 ans. Il rompt rapidement avec elle et ce rejet la frappe cruellement, comme en témoignent nombre de ses poèmes de l'époque. Cette première expérience négative la plonge dans une grave dépression, avivant sa sensation d'isolement, mais stimulant aussi sa réflexion féministe sur les relations entre les sexes et la façon dont la société réduit les femmes à un simple rôle d'objets sexuels. La relation de Dyer Lum avec Voltairine fut d'un tout autre ordre car elle influença profondément son évolution politique et qu'ils construisirent une amitié indéfectible : Lum avait vingt-sept ans de plus que la jeune femme et une grande expérience politique. Il avait appartenu au mouvement abolitionniste et s'était porté volontaire pour se battre pendant la Guerre de Sécession afin d'«en finir avec l'esclavage». Il connaissait bien la plupart des martyrs de Haymarket et avait milité avec eux. C'était un auteur prolifique et ils écrivirent à quatre mains un long roman social et philosophique, qui ne fut jamais publié et que l'on a malheureusement perdu. Ils menèrent aussi un travail de réflexion politique en commun. A l'époque, des débats très violents opposaient les différentes tendances idéologiques du mouvement anarchiste mais Voltairine et Dyer Lum écrivirent de nombreux articles pour les publications de ces divers courants et avancèrent l'idée d'un «anarchisme sans adjectifs».

Dans un de ses essais les plus connus, «L'anarchisme», elle défend l'idée d'une plus grande tolérance dans le mouvement anarchiste, étendant cette tolérance jusqu'à l'anarchiste chrétien Tolstoi et d'autres penseurs très critiqués par les athées du mouvement. Si les idées de Voltairine de Cleyre et Dyer Lum convergeaient sur de nombreux points, Avrich souligne qu'ils avaient aussi des divergences importantes, notamment en ce qui concerne «la position des femmes dans la société actuelle et ce qu'elle devrait être». A ce sujet, Voltairine prend une «position plus tranchée» que Lum. Ils n'ont pas non plus le même avis sur les moyens de changer la société. Lum pense que la révolution provoquera inévitablement une lutte violente entre la classe ouvrière et la classe patronale, conviction qu'il tire notamment de la Guerre de Sécession et des effets qu'elle eut sur l'abolition de l'esclavage. Voltairine penche plutôt pour la non-violence mais comprend ceux qui ont recours à d'autres méthodes. Elle désapprouve les différents assassinats commis par des anarchistes au tournant du XXe siècle mais cherche toujours à en expliquer les raisons. Lorsque le président McKinley fut abattu par Leon Czolgosz, elle déclara que la violence du capitalisme et l'inégalité économique poussaient les gens à utiliser la violence.

Trois balles dans le corps

Les opinions non-violentes de Voltairine et sa compréhension pour ceux qui utilisent la violence vont être brutalement mises à l'épreuve à la fin de l'année 1902. Elle enseigne toujours, surtout l'anglais à des familles et des ouvriers juifs pour lesquelles elle avait le plus grand respect et avec lesquels elle travaillait fréquemment. Un jour, l'un de ses anciens élèves, Herman Helcher, l'attend dans la rue et tente de l'assassiner. Il lui tire une balle dans la poitrine, puis, lorsqu'elle s'effondre, deux autres balles dans le dos. Elle réussit pourtant à se relever et à marcher encore plusieurs dizaines de mètres avant qu'un médecin, qui heureusement passait par là, vienne à son secours et appelle une ambulance. Elle est dans un état critique et l'on craint pour sa vie. Mais quelques jours plus tard, elle commence à récupérer et sa condition se stabilise. Ce qu'elle fait ensuite scandalise ou met en colère nombre de ses concitoyens, mais lui vaut, à long terme, le respect de pas mal de gens. Convaincue que le capitalisme et l'autoritarisme corrompent les êtres humains et les poussent à utiliser la violence, elle réagit, face à cette tentative d'assassinat, conformément à ses convictions. Voltairine refuse d'identifier Helcher comme son agresseur et de déposer la moindre plainte contre lui. En cela, elle «respectait les enseignements de Tolstoi, qui prônait de rendre un bien pour un mal» (Paul Avrich). Elle écrit ensuite une lettre qui sera publiée par le principal quotidien de Philadelphie, ville où elle habite à l'époque. «Le jeune homme qui, selon certains, m'a tiré dessus est fou. Le fait qu'il ne mange pas à sa faim et n'ait pas un travail sain l'a rendu ainsi. Il devrait être placé dans un asile psychiatrique. Ce serait une offense à la civilisation de l'envoyer en prison pour un acte commandé par un cerveau malade.» «Je n'éprouve aucun ressentiment contre cet individu. Si la société permettait à chaque homme, chaque femme et chaque enfant de mener une vie normale, il n'y aurait pas de violence dans ce monde. Je suis remplie d'horreur quand je pense que des actes brutaux sont commis au nom de l'Etat. Chaque acte de violence trouve son écho dans un autre acte de violence. La matraque du policier fait naître de nouveaux criminels.» «Contrairement à ce que croient la plupart des gens, l'anarchisme souhaite la " paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté". Les actes de violence commis au nom de l'anarchie sont le fait d'hommes et de femmes qui ont oublié d'être des philosophes - des professeurs du peuple - parce que leurs souffrances physiques et mentales les poussent au désespoir.» Après sa convalescence, Voltairine entame une série de conférences sur «Le crime et sa répression», la réforme des prisons et leur suppression. Elle continue à se battre pour que la justice soit clémente envers Helcher. Selon Avrich, «les propos de Voltairine de Cleyre sont largement évoqués dans la presse de Philadelphie». Les journaux locaux, qui avaient violemment critiqué l'anarchisme, adoucissent leur ton lorsqu'ils parlent de Voltairine et elle devient une sorte de célébrité car son attitude lui vaut même l'admiration de certains de ses plus farouches adversaires. La relation entre Voltairine et Dyer Lum se termine au bout de cinq ans lorsqu'il se suicide en 1893, au terme d'une grave dépression. Voltairine, elle-même, se trouva au bord du suicide plusieurs fois, suite à de profondes dépressions et à ses maladies.

Enfin, le troisième homme important dans la vie de Voltairine se nommait James B. Elliott. Il militait dans le mouvement pour la libre-pensée et tous deux firent connaissance lorsque la Friendship Liberal League invita Voltairine à venir parler à ses membres à Philadelphie. Voltairine vécut dans cette ville pendant plus de vingt ans, entre 1889 et 1910. Sa relation avec Elliott ne dure pas longtemps, mais elle se retrouve enceinte de lui et met au monde, le 12 juin 1890, le petit Harry de Cleyre. Harry allait être son seul enfant. Elle n'avait aucune intention d'être mère et ne voulait pas élever d'enfants. Harry fut élevé par son père à Philadelphie. Si Harry et Voltairine eurent peu de contacts, Harry aima, respecta et admira toujours sa mère. D'ailleurs il prit son nom, et non celui de son père, et appela sa première fille Voltairine.

Une militante infatigable

A Philadelphie, Voltairine est très active dans divers domaines. Pour les femmes de la Ladies Liberal League, organisation de libres-penseuses dont elle a été l'une des fondatrices en 1892, et elle met au point un programme de conférences sur des thèmes comme la sexualité, les interdits, la criminalité, le socialisme et l'anarchisme. Elle participe aussi à la création du Club de la science sociale, un groupe anarchiste de discussion et de lecture. Elle organise des réunions publiques qui attirent des centaines d'auditeurs désireux d'écouter des anarchistes et des syndicalistes radicaux qui viennent des quatre coins du pays. Elle collecte des fonds, s'occupe de la distribution de brochures et de livres, et se consacre à bien d'autres tâches pratiques. En 1905, Voltairine et plusieurs de ses amies anarchistes (notamment Natasha Notkin, Perle McLeod et Mary Hansen) ouvrent la Bibliothèque révolutionnaire, qui prête des ouvrages radicaux aux ouvriers pour une somme modique et est ouverte à des heures convenant aux salariés. Voltairine de Cleyre voyage deux fois en Europe durant cette période. Pour ses activités de conférencière, elle avait parcouru les Etats-Unis de nombreuses fois, et en tant qu'organisatrice elle s'était occupée d'héberger des orateurs étrangers, ce qui lui avait permis de connaître de nombreux révolutionnaires européens. Invitée par les anarchistes anglais, elle se rend en Europe où elle donne des dizaines de conférences sur des sujets comme l'«histoire de l'anarchisme aux États-Unis», «l'anarchisme et l'économie», la «question des femmes» ou «l'anarchisme et la question syndicale». En Angleterre, elle rencontre des camarades russes, espagnols et français, et noue bien sûr de nombreux contacts et amitiés avec des anarchistes britanniques. A son retour aux Etats-Unis elle commence à écrire une rubrique intitulée «AmericanNotes» pour Freedom,un journal anarchiste de Londres. Elle entreprend aussi de traduire en anglais un livre de l'anarchiste français Jean Grave.

Durant toute sa vie, elle traduisit de nombreux poèmes et articles du yiddish en anglais, et traduisit aussi de l'espagnol L'Ecole moderne,un livre de Francisco Ferrer qui contribua à la création et l'essor de ce mouvement pédagogique aux États-Unis. Au début du XXe siècle, des dizaines d'écoles se créèrent pour mettre en pratique les méthodes d'éducation anarchiste et d'apprentissage collectif.

Entre 1890 et 1910, Voltairine est l'une des anarchistes les plus populaires et respectées aux Etats-Unis, et dans le mouvement anarchiste international. Ses écrits sont traduits en danois, suédois, italien, russe, yiddish, chinois, allemand, tchèque et espagnol. Elle est aussi l'une des féministes les plus radicales de son époque, et contribue, avec d'autres femmes anarchistes, à faire progresser la dite «question féminine». En 1895, dans une conférence aux femmes de la Ligue libérale, elle déclare: «(la question sexuelle) est plus importante pour nous que n'importe quelle autre, à cause de l'interdit qui pèse sur nous, de ses conséquences immédiates sur notre vie quotidienne, du mystère incroyable de la sexualité et des terribles conséquences de notre ignorance à ce sujet» (...). Toute sa vie, Voltairine a combattu le système de la domination masculine. Selon Avrich, «une grande part de sa révolte provenait de ses expériences personnelles, de la façon dont la traitèrent la plupart des hommes qui partagèrent sa vie . et qui la traitèrent comme un objet sexuel, une reproductrice ou une domestique.»

Voltairine et Emma

Il existe de nombreuses similitudes entre Emma Goldman et Voltairine de Cleyre. Toutes deux ont été fortement influencées par l'exécution des martyrs de Haymarket, ont beaucoup voyagé pour donner des conférences et organiser des réunions, et ont beaucoup écrit pour des journaux révolutionnaires. Elles ont également combattu pour la libération des femmes dans la société et dans les rangs du mouvement anarchiste. Comme le remarque Sharon Presley: «Voltairine de Cleyre et Emma Goldman eurent des expériences très semblables avec les hommes car leurs amants avaient, ce qui n'était guère étonnant à l'époque, des conceptions très traditionnelles en matière de rôles sexuels. Mais si les deux femmes partageaient les mêmes idées politiques et les mêmes passions dans de nombreux domaines, elles ne furent jamais amies.»

Néanmoins, Voltairine et Emma surent mettre de côté leurs différends personnels à plusieurs occasions et se soutenir mutuellement. Emma vint à l'aide de Voltairine lorsque celle-ci fut gravement malade et Voltairine défendit publiquement Emma lorsqu'elle fut systématiquement arrêtée chaque fois qu'elle prenait la parole dans des réunions de chômeurs pendant la crise économique de 1908. A cette occasion Voltairine de Cleyre écrivit un essai intitulé «En défense d'Emma Goldman et de la liberté de parole». Lorsque Emma Goldman créa le journal Mother Earth,Voltairine devint aussitôt une fidèle collaboratrice et une ardente supporter. Après la mort de Voltairine, Mother Earthconsacra un numéro spécial à la vie et à l'ouvre de Voltairine et, deux ans plus tard, en 1914, Emma Goldman et Alexander Berkman publièrent un recueil de textes de Voltairine de Cleyre, qu'ils présentèrent comme « un arsenal de connaissances indispensables pour l'apprenti et le soldat de la liberté».

La révolution mexicaine

Gravement dépressive et malade, Voltairine déménage à Chicago en 1910. Elle continue à écrire et donner des conférences, mais elle ne se départ pas d'un certain pessimisme historique et éprouve des doutes sur la valeur de sa propre contribution à la lutte pour la libération de l'humanité. «Au printemps 1911, à un moment où elle est plongée dans un profond désespoir, Voltairine reprend courage grâce à la révolution qui éclate au Mexique et surtout grâce à l'action de Ricardo Flores Magon, l'anarchiste mexicain le plus important de l'époque», écrit Avrich. Voltairine et ses camarades rassemblent des fonds pour aider la révolution et commencent à donner des conférences pour expliquer ce qui se passe et l'importance de la solidarité internationale. Flores Magon éditait le journal anarchiste Regeneracion, populaire non seulement au Mexique mais aussi dans les communautés mexicaines-américaines dans tout le Sud-Ouest des États-Unis. Voltairine devient la correspondante et la distributrice de ce périodique à Chicago et participe à la création d'un comité de soutien pour récolter des fonds et développer la solidarité. Au cours de la dernière année de sa vie elle écrit son remarquable essai sur l'action directe et soutint les syndicalistes des IWW. Sa santé s'affaiblit considérablement et elle meurt le 20 juin 1812. Deux mille personnes assistent à ses funérailles au cimetière de Waldheim, où elle est enterrée à proximité des martyrs de Haymarket.


Voir aussi



De Cleyre, Voltairine De Cleyre, Voltairine De Cleyre, Voltairine