FAQAnar:F.7.3 - Peut-il exister un "anarchisme" de droite ?
Catégorie:L’anarcho-capitalisme est-il un type d’anarchisme ?
Note du traducteur :
L'"anarchisme" de droite revendiqué par François Richard et Michel-Georges Micberth n'existe pas aux États-Unis. Cet article traite uniquement de l'"anarcho"-capitalisme, que certains de ses partisans considèrent comme une branche "de droite" de l'anarchisme, la branche "de gauche" étant pour eux la branche anticapitaliste (c'est-à -dire, les vrais anarchistes).
Les notes du traducteur sont indiquées par la mention NdT.
En un mot, non. Ceci peut être observé par le simple fait que l'"anarcho"-capitalisme qui tente d'intégrer les anarchistes individualistes américains dans son arbre généalogique.
Hart fait mention des anarchistes individualistes, appelant les idées de Tucker du « libéralisme laissez-faire »[1]. Cependant, Tucker considérait ses idées comme du « socialisme » et présenta une critique socialiste de la plupart des aspects du libéralisme, particulièrement ses droits de propriété privée théorisés par Locke. Tucker fondait la plupart de ses idées concernant la propriété sur le raisonnement de Proudhon, donc si Hart rejette ce dernier pour son socialisme, alors il se doit de rejeter Tucker également. Étant donné qu'il remarque qu'il y a « deux principaux courants de pensée anarchiste », c'est-à -dire « le communisme anarchiste qui n'autorise pas le droit pour un individu de rechercher du profit, d'exiger une loyer ou un intérêt et de posséder une propriété » et un « anarchisme "de droite" pour propriétaires, qui défend vigoureusement de tels droits », alors Tucker, comme Godwin devront être placés dans le camp "de gauche"[2]. Tucker affirmait, après tout, que son but était de mettre un terme au profit, à l'intérêt et au loyer, et il attaquaient la propriété privée des terres et des logements, au-delà de l'argument « occupation et utilisation »[3]. C'est une honte que Hart soit si ignorant de ce qu'est l'anarchisme au point d'ignorer que les autres branches de l'anarchie, qui tout en étant anticapitalistes, n'en étaient pas pour autant communistes.
Comme vu précédemment, l'argument de Hart sur l'histoire du libéralisme « antiétatique » fait défaut. Godwin y est inclut uniquement en ignorant ses idées sur la propriété, idées qui de bien des manières reflètent les futures analyses « socialistes » (c'est-à -dire anarchistes) de Proudhon. Il discute ensuite de quelques individus qui étaient les seuls à avoir de tels opinions, même au sein des libéraux extrêmes, qui connaissaient tous l'anarchisme et ont explicitement rejeté l'utilisation de ce terme pour qualifier leurs idéologies respectives. En fait, ils préféraient les termes de « gouvernement » ou « d'État » pour décrire leurs systèmes qui, vu de l'extérieur, seraient difficilement réconciliables avec la définition habituelle que les "anarcho"-capitalistes donnent de l'anarchisme, à savoir une « absence de gouvernement » ou plus simplement un « antiétatisme ». L'argumentation de Hart sur l'anarchisme individualiste fait également défaut, n'arrivant pas à débattre des idées de ce mouvement en matière d'économie (ce qui est normal puisque les liens de ce courant avec l'anarchisme "de gauche" deviendraient une évidence).
Cependant, les similarités entre les idées de Molinari et de ceux connus plus tard sous le nom d'"anarcho"-capitalistes sont évidentes. Hart note qu'avec la mort de Molinari en 1912, « l'antiétatisme libéral disparaît virtuellement jusqu'à sa redécouverte par l'économiste Murray Rothbard à la fin des années 1950 »[4]. Bien que ce groupe non-majoritaire soit quelque peu plus important que par le passé, il n'en reste pas moins que les idées exposées par Rothbard sont aussi étrangères à la tradition anarchiste que celles de Molinari. C'est une honte que Rothbard, n'ayant pas suivi ses prédécesseurs, ait décidé de qualifier son idéologie d'anarchiste. Non seulement celle-ci aurait été plus précise, mais cela aurait amené moins de confusion, et cette section de la FAQ eut été inutile ! Le fait que Rothbard et les autres "anarcho"-capitalistes ne parviennent pas à reconnaître, qu'étant donné la longévité de la théorie et du mouvement sociaux-politiques appelés anarchisme, ils ne peuvent s'appeler « anarchistes » sans mettre en conflit leurs idées et celles de la tradition existante, témoigne de leur manque de bon sens. Au lieu d'introduire un nouveau terme dans le vocabulaire politique (ou d'utiliser la terminologie de Molinari), ils ont préférés essayer de s'approprier vainement un mot utilisé par d'autres. Ils semblent avoir oublié que le vocabulaire politique et l'usage qui en est fait vont de pair. D'où le fait que nous soyons soumis à des articles qui parle d'un nouvel « anarchisme » tout en essayant de dissocier l'"anarcho"-capitalisme du véritable anarchisme dont on entend parler dans les média et dans les livres d'histoire. En fait, la seule raison qu'ont certains de considérer l'"anarcho"-capitalisme comme une forme d'anarchisme est qu'une personne (Rothbard) décida dans les années 1950 de voler le nom d'une théorie et d'un mouvement socio-politiques établis de longue date et largement diffusés, et d'utiliser ce nom pour son idéologie qui n'a peu, voire rien, en commun avec l'anarchisme.
Comme Hart le montre par inadvertance, ce n'est pas une base solide pour établir une telle réclamation. Que tout un chacun considère que l'"anarcho"-capitalisme est anarchiste ne peut venir que d'un manque de connaissance au sujet de l'anarchisme — ce que de nombreux anarchistes ont avancé. Par exemple, la « combinaison rothbardienne de l'anarchisme et du capitalisme », selon David Wieck, « ne résulte que d'une conception qui est totalement extérieure aux écrits théoriques ou aux mouvements sociaux anarchistes classiques [...] cette combinaison est une contradiction-même. » Il souligne que « les principales traditions de l'anarchisme sont complètement différentes. Ces traditions, et les écrits théoriques qui lui sont associés, expriment les perspectives et les aspirations, et également parfois, la rage, du peuple opprimé dans la société humaine : non seulement ceux qui sont opprimés économiquement, du fait que la majorité des principaux mouvements anarchistes furent également des mouvements ouvriers ou de paysans, mais également ceux qui sont opprimés par le pouvoir dans toutes ses dimensions sociales [...] ce qui inclue évidemment le pouvoir politique de l'État. » En d'autres mots, l'anarchisme représente « un engagement moral » auquel la position de Rothbard est « diamétralement opposée.[5] »
C'est une honte que certains académiciens considèrent que le terme utilisé par Rothbard est pertinent plutôt que de juger de son contenu et de son rapport avec la théorie et l'histoire anarchistes. Ils réaliseront bientôt que l'opposition de tant d'anarchistes à l'"anarcho"-capitalisme est quelque chose qui ne peut être ignoré ou repoussé. En d'autres termes, une aile anarchiste « de droite » ne peut pas exister et n'existe pas, peut importe le nombre de fois que la droite essaye d'utiliser ce mot pour décrire cette idéologie.
La raison est simple. L'économie et la politique anarchistes ne peuvent être séparés artificiellement. Elles sont liées intrinsèquement. Godwin et Proudhon n'ont pas arrêté leur analyse à l'État. Ils l'ont étendu aux relations sociales produites par les inégalités de richesse, par exemple le pouvoir économique ainsi que le pouvoir politique. Pour s'en rendre compte, il suffit de consulter les ouvrages de Rothbard. Pour Rothbard, et tel qu'exposé dans la section précédente, le problème majeur avec les « taxationistes (sic) volontaires » n'était pas qui déterminait le « corps de la loi absolue » mais plutôt qui la défendait. Dans son argumentaire, il avance qu'une « agence de défense » démocratique est en situation de désavantage dans son système de « marché libre ». Comme il le dit :
« Ce serait, en fait, être compétitif au prix d'un sévère désavantage, que d'avoir été établi sur le principe du "vote démocratique". Considéré comme phénomène de marché, le "vote démocratique" (un vote par personne) est simplement la méthode de la "coopérative" du consommateur. Empiriquement, il a été démontré maintes et maintes fois que les coopératives ne peuvent concurrencer avec succès les compagnies détenues par des actionnaires, tout particulièrement lorsqu'elles sont toutes les deux égales devant la loi. Il n'y a aucune raison de croire que les coopératives de défense seraient de quelque manière plus efficaces. D'où il suit, que nous sommes en droit d'attendre que les vieux gouvernements coopératifs disparaissent du fait du manque de clients sur le marché, alors que les agences de défense par actions deviendraient la forme prédominante sur le marché. »[6]
Noter à quel point il assume qu'un coopérative et une entreprise seront « égales devant la loi ». Mais qui détermine la loi ? Évidement pas un gouvernement élu démocratiquement, car l'idée « d'un vote par personne » dans la détermination du droit coutumier auquel tous sont assujettis est « inefficace ». Il ne pense pas non plus, comme les anarchistes individualistes, que la loi serait jugée en même temps que les fait par des jurys. Tel que mentionné dans la section F.6.1, il a rejeté ce jugement de la loi au profit de sa détermination par « des avocats et des juristes libertariens ». Ainsi la loi ne peut être changée par les gens ordinaires et elle est défendue par des agences de défense privées engagées pour protéger la liberté et la propriété de la classe possédante. Dans le cas d'une économie capitaliste, cela signifie défendre le pouvoir des propriétaires terriens et des capitalistes contre les locataires rebelles et les travailleurs.
Cela signifie que le « Code de droit coutumier » de Rothbard sera déterminé, interprété, défendu et amendé par des entreprises se fondant sur la volonté de la majorité des propriétaires, c'est-à -dire les riches. Une telle idée semble difficilement encline à produire de l'égalité devant la loi. Comme il l'avance dans une note de bas de page :
« Il y a une forte raison a priori de croire que les entreprises seront supérieures aux coopératives, dans toute situation donnée. Car si chaque propriétaire ne reçoit qu'un seul vote, sans égard au montant d'argent qu'il aurait investi dans un projet (et que les gains sont divisés de la même manière), il n'y aura pas d'incitation à investir plus qu'un autre homme ; en fait, toute incitation irait dans l'autre sens. Cette gêne de l'investissement s'oppose fortement à la forme coopérative. [7] »
Donc si la loi est déterminée et interprétée par des agences de défense et des cours privées, alors elle sera rendue par ceux qui ont le plus investi dans ces compagnies. Comme il est peu probable que les riches investissent dans des compagnies de défense qui ne défendront pas leurs droits de propriété, leur pouvoir, leurs profits et leur définition de la propriété, il semble clair que seules les agences qui défendent les riches survivront sur le marché. L'idée que la demande du marché contrera cette classe semble peu probable, au vu de l'argument de Rothbard lui-même. Afin d'être pleinement compétitif, il faut plus de demande, ainsi que des moyens initiaux pour investir. Si des agences de défense coopératives se forment bel et bien, elles seront en désavantage sur le marché du fait du manque d'investissement. Tel qu'exposé dans la section J.5.12, même si les coopératives sont plus efficaces que les entreprises capitalistes, le manque d'investissement (dû au manque de contrôle par les capitalistes, que Rothbard remarque) les arrête dans le remplacement de l'esclavage salarié. Ainsi, la richesse et le pouvoir capitalistes empêche la diffusion de la liberté dans la production. Si nous appliquons l'argument de Rothbard à son propre système, le marché « de la défense » empêchera également la déferlante d'associations libertariennes grâce au pouvoir et à la richesses capitalistes. En d'autres mots, comme n'importe quel marché, le marché « de la défense » de Rothbard reflètera simplement les intérêts de l'élite, et non du peuple.
De plus, nous pouvons nous attendre à ce que n'importe quelle agence de défense démocratique (comme un syndicat) défendant, disons, la grève des ouvriers ou les défenseurs du squat, soit écrasée. Ceci est dû au fait que, comme Rothbard l'a souligné, toutes les entreprises « de défense » devront respecter le droit « coutumier », celui-là même qui est écrit par « les avocats et les juristes libertariens ». Si ils ne le respectent pas, ils seront rapidement considérés comme des agences « hors-la-loi » et détruites par les autres agences. Ironiquement, Tucker rejoindrait Bakounine et Kropotkine dans une cour de justice « anarchiste », serait accusé de violer une loi « anarchiste » lors de la pratique ou de la défense de « l'occupation et l'utilisation »[8] au lieu d'avoir approuvé les droits de propriétés rothbardiens. Même si ces agences « de défense » démocratiques parvenaient à survivre, et qu'elles ne soient pas mises à l'écart du marché par une combinaison du manque d'investissement et de la violence dont elles seraient victimes du fait de leur statut de « hors-la-loi », se pose un autre problème. Tel qu'avancé dans la section F.1, les propriétaires terriens et les capitalistes ont le monopole du pouvoir de décision sur leur propriété. Ainsi, ils peuvent simplement refuser de reconnaître n'importe quelle agence démocratique en tant qu'association défendant la légitime défense, et utiliser les mêmes tactiques perfectionnées contre les syndicats afin de s'assurer que cette agence n'étende pas son contrôle sur leur propriété.
Ainsi, un anarchisme « de droite » est impossible puisque tout système fondé sur les droits de propriété capitalistes ne peut qu'être une oligarchie dirigée par et pour les riches. Comme Rothbard le remarque, n'importe quelle agence de défense fondée sur les principes démocratiques ne survivrait pas sur le « marché de la défense » uniquement parce que celui-ci ne permet pas aux riches de le contrôler, ainsi que ses décisions. Il est donc peu étonnant que Proudhon ait affirmé que le capitalisme privé signifie « la victoire des forts sur les faibles, de ceux qui possèdent la propriété sur ceux qui ne possèdent rien ».[9]
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Notes et références[edit]
- ↑ David M. Hart, Gustave de Molinari and the Anti-statist Liberal Tradition: Part I, pp. 263-290, Journal of Libertarian Studies, vol. V, no. 3, p. 284
- ↑ Hart, Gustave de Molinari and the Anti-statist Liberal Tradition: Part II, vol. V, no. 4, p. 427
- ↑ NdT : argument des "anarcho"-capitalistes concernant la possibilité de récupérer une propriété abandonnée.
- ↑ Hart, Gustave de Molinari and the Anti-statist Liberal Tradition: Part III, vol. VI, no. 1, p. 88
- ↑ David Wieck, Anarchist Justice, p. 215, p. 229 et p. 234.
- ↑ Rothbard, Power and Market, Chapitre 4, section 7, p. 125
- ↑ Rothbard, Op. Cit., p. 125
- ↑ Cf. note 3
- ↑ Cité par Peter Marshall, Demanding the Impossible, p. 259