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Force toutefois est de constater que cette expression n'a été plus souvent qu'autrement qu'un vague programme, sinon un mot d'ordre ou un slogan puisque les anarchistes ne s'entendent que très rarement sur sa signification réelle. Ainsi, l'amour libre a pris tant de significations divergentes au cours du XXe siècle qu'on peut difficilement parler de discours spécifiquement anarchiste sur la sexualité. Par exemple, les anarchistes ont utilisé le terme amour libre successivement et simultanément comme synonyme d'union libre, de néo-malthusianisme, de tolérance envers les vices privés, de camaraderie amoureuse, d'alternative à la famille patriarcale, de communalisme sexuel ou de polyamour.
Le point commun des divers discours anarchistes sur l'amour libre est de s'opposer à l'approche absolutiste de la régulation de la sexualité. Désignée parfois de puritanisme ou de morale judéo-chrétienne, l'approche absolutiste considère l'expression de la sexualité humaine comme étant foncièrement mauvaise et potentiellement dangereuse pour la santé morale et physique de l'individu et pour la cohésion de la société. La sexualité faisant partie de la nature bestiale de la personne, il importe, selon les absolutistes, de limiter son expression à une liste strictement limitée de comportements acceptables (monogamie, mariage, pratiques procréatrices, hétérosexualité) imposée par les institutions de contrôle sociale telles que l'Église et l'État. Être pleinement humain demande donc, pour la morale traditionnelle, que l'individu soit en contrôle de ses pulsions sexuelles et les réprime ou les sublime au besoin.
Il est toutefois important de remarquer que plusieurs anarchistes (et non les moindres) ont historiquement adhéré à l'approche absolutiste. Par exemple, la misogynie et le puritanisme de Proudhon sont légendaires. Bakounine ne s'est jamais vraiment prononcé sur la question et sa propre vie amoureuse fut particulièrement inhibée. Quant à Kropotkine, il s'intéressa surtout à la division sexuelle des tâches ménagères et Emma Goldman lui reprocha amicalement de n'offrir aucune alternative à la morale puritaine. La plupart des communistes libertaires et des anarcho-syndicalistes ont historiquement partagé avec les divers courants socialistes non seulement leur ouvriérisme et leur fétichisme du travail, mais un puritanisme strict qui attribue la licence sexuelle aux vices de la bourgeoisie corrompue. Pour eux, la révolution sociale éliminerait les fléaux sexuels hérités du capitalisme, comme la pornographie, la prostitution et l'indécence. C'est le cas, par exemple, des militants catalans de la CNT pour qui l'amour libre ne signifiait essentiellement que l'union libre monogame et hétérosexuelle, et qui se sont appliqués à libérer de force les prostituées de Barcelone au nom de l'élimination des vices bourgeois.
Ce sont donc essentiellement les anarchistes individualistes qui non seulement ont développé des discours sur la sexualité, mais ont proposé des alternatives à l'approche absolutiste. Encore une fois, il faut admettre qu'ils n'ont jamais eu le monopole sur ces discours et ont souvent été à la remorque de théoriciens non-anarchistes. On peut classer ces discours en trois catégories : l'approche pluraliste, l'approche libertaire et l'approche pluraliste radicale.
Contents
L’approche pluraliste
L’amour libre a été premièrement compris par les anarchistes, à l'instar des penseurs utilitaristes comme Mills et Bentham, dans une optique pluraliste. Essentiellement libérale, cette approche a attiré entre autres les anarchistes individualistes américains du XIXe siècle comme Benjamin Tucker et Lysander Spooner.
Comme l'approche absolutiste qu'elle critique, l'approche pluraliste est essentialiste, en ce sens qu'elle considère la sexualité est une force naturelle, biologique, qui influence non seulement l’individu mais également la vie sociale. La sexualité serait un instinct inné chez l’animal humain, qui façonne ses institutions sociales. L’amour libre dans sa version pluraliste critique toutefois le concept de vice hérité de la morale judéo-chrétienne en se basant sur la séparation de la sphère privée et publique. Par exemple, le socialiste Havelock Ellis, insiste sur le fait que l'objet de la sexologie n’est pas de savoir si tel ou tel comportement est pervers ou non, mais plutôt s’il est nuisible pour les autres. Dans Vices are not crimes (1875), Lysander Spooner conteste quant à lui à l'État tout droit d'intervenir dans la vie privée des individus, sous prétexte de les protéger contre leurs vices. Selon lui, les vices ne sont pas des crimes et ils ne doivent pas être punis dans la mesure où ils ne nuisent qu'à la personne qui s'y adonne. Ainsi, la seule limite de la liberté de l'individu est la liberté des autres.
Selon l'approche pluraliste, la sexualité est donc un comportement de la sphère privée qui doit rester hors de la portée des pouvoirs publics. Estimant par exemple que « l'État n'a pas sa place dans la chambre à coucher », les promoteurs de cette approche ont généralement un discours similaire en ce qui concerne les autres comportements qu'ils jugent privés, comme la pratique religieuse, la consommation de substances psychotropes ou les jeux de hasard. L’accent est mis sur le respect des droits individuels, dont la limite est le droits des autres individus.
Évidemment, cette approche peut être critiquée de diverses manières. Premièrement, elle ne se détache que très peu de l'approche absolutiste puisqu'elle considère comme elle que la plupart des comportements qui ne sont pas liés à la procréation sont des vices. La différence réside dans la criminalisation ou non de ces vices. On laisse les individus assumer seuls les conséquences néfastes de leurs perversions, en autant qu'ils restent confinés dans la sphère privée et qu'ils ne soient pratiqués qu'entre adultes consentants. De plus, l'approche pluraliste se base sur le concept moderne et largement illusoire de «vie privée» et «vie publique» en négligeant de comprendre les comportements sexuels ne sont pas uniquement biologiques mais sont grandement conditionnés par des influences sociales.
L’approche libertaire
L'approche libertaire est quant à elle adoptée et développée par les anarchistes comme E. Armand et Emma Goldman, mais aussi par les marxistes Wilhelm Reich et Hebert Marcuse, le socialiste utopique Charles Fourier et le pédagogue libertaire A.S. Neil.
Comme l'approche pluraliste, l'approche libertaire est essentialiste - la sexualité étant comprise comme une pulsion biologique qui se situe donc à l'intérieur de l'individu et donc à l'extérieur du champ social. Mais contrairement à l'approche absolutiste de la régulation de la société, pour qui la sexualité et son expression est un mal qui menace la société, l'approche libertaire considère qu'elle est plutôt positive, saine et naturelle. C'est le développement
L’approche pluraliste radicale
Bibliographie
Liens externes
Voir aussi
Théoriciens et propagandistes
- Lysander Spooner
- E. Armand
- Emma Goldman
- Paul Robin
- Moses Harmon
- Benjamin Tucker
- Alex Comfort
- Voltairine de Cleyre