FAQAnar:H - Introduction

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FAQ anarchiste
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« L'anarchie c'est l'ordre moins le pouvoir »
H - Pourquoi les anarchistes s'opposent au socialisme d'État ?

Introduction
H.1 - Les anarchistes se sont-ils toujours opposés au socialisme d'État ?



H.2 - Quelles parts de l'anarchisme les marxistes représentent sous un mauvais jour ?



H.3 - Quels sontles mythes du socialisme d'État ?



H.4 - Engels refuta-t'il l'anarchisme dans son essai De l'Autorité ?



H.5 - Qu'est-ce que l'avant-gardisme et pourquoi les anarchistes le rejettent-ils ?



Sommaire complet et détaillé


Catégorie:Pourquoi les anarchistes s'opposent au socialisme d'État ? Le mouvement socialiste a été continuellement divisé, au travers de différentes tendances et mouvements. Deux des tendances principales du socialisme sont le socialisme d'état (marxisme, léninisme, maoisme et ainsi de suite) et le socialisme libertaire (anarchisme sous toutes ses nombreuses formes). Le conflit et le désaccord entre les anarchistes et les marxistes sont légendaires. Benjamin Tucker a noté :

"C'est un fait curieux que les deux extrèmes du [ mouvement socialiste ] ... bien qu'unis ... par la revendication commune que le travail devrait appartenir aux travailleurs, sont diamétralement opposés entre eux dans leurs principes fondamentaux d'action sociale et dans les méthodes pour atteindre les objectifs visées alors que l'un ou l'autre reconnaît que la société actuelle est leur ennemie commune. Elles sont basées sur deux principes entre lesquels l'histoire des conflits est presque équivalent à l'histoire du monde depuis que l'homme y est apparu ...
"Ces deux principes sont AUTORITÉ et LIBERTÉ, et les noms des deux écoles de pensées socialistes qui représentent entièrement et sans réserves un ou l'autre sont, respectivement, le socialisme d'état et l'anarchisme. Quiconque sait ce que ces deux écoles veulent et de comment ils proposent de l'obtenir, comprend le mouvement socialiste. Car, comme on a dit qu'il n'y a aucune maison à mi-chemin entre Rome et la Raison, ainsi peut-on dire qu'il n'y a aucune maison à mi-chemin entre le socialisme d'état et l'anarchisme"[1]

En plus de ces divisions entre les formes autoritaires et libertaires du socialisme, il y en a une autre entre les ailes réformistes et révolutionnaires de ces deux tendances. "Le terme 'anarchiste' ", écrit Murray Bookchin, "est un mot générique comme le terme 'socialiste', et il y a autant de différents genres d'anarchistes qu'il y a de socialistes. Dans les deux cas, le spectre s'étend des individus dont les vues dérivent d'une prolongation du libéralisme (les 'anarchistes individualistes', les sociaux-démocrates) aux communistes révolutionnaires (les anarcho-communistes, les marxistes révolutionnaires, léninistes et trotskistes)"[2].

Dans cette section de la FAQ, nous nous concentrerons sur le conflit entre les ailes révolutionnaires des deux mouvements. Ici nous verrons pourquoi les communistes-anarchistes, les anarcho-syndicalistes et d'autres anarchistes révolutionnaires rejettent les théories marxistes, en particulier les idées révolutionnaires des léninistes et des trotskistes. Nous nous concentrerons presque entièrement sur les travaux de Marx, de Lenine et de Trotsky aussi bien que sur la révolution russe. C'est parce que beaucoup de marxistes rejettent les révolutions chinoise, cubaine et d'autres comme étant infectées par le stalinisme. En revanche, il y a un consensus général dans les cercles marxistes selon lequel la révolution russe était une véritable révolution socialiste et que les idées de Lénine (et habituellement de Trotsky) suivent dans les pensées de Marx. Ce que nous reprochons à Marx et Lénine est également applicable à leurs successeurs plus controversés, donc nous les ignorons. Nous écartons également hors de toute réflexion d'eventuelles suggestions selon lesquelles le régime staliniste avait quoi que ce soit à faire avec le socialisme. Malheureusement beaucoup de révolutionnaires sérieux considèrent le régime de Lénine comme étant un exemple valide d'une révolution socialiste ainsi nous devons montrer pourquoi ça n'en était pas.

Comme nous l'avons dit, les deux ailes principales du mouvement socialiste révolutionnaire, l'anarchisme et le marxisme, ont toujours été en conflit. Tandis que, avec le succès apparent de la révolution russe, le mouvement anarchiste avait été éclipsé par son pendant autoritaire dans beaucoup de pays, cette situation depuis évolue. Ces dernières années, l'anarchisme a connu une renaissance car de plus en plus de personnes se rendent compte de la nature fondamentalement anti-socialiste de "l'expérience" russe et de la politique qui l'a inspiré. Avec cette réévaluation du socialisme et de l'Union Soviétique, de plus en plus de personnes rejettent le marxisme et se tournent vers le socialisme libertaire. Comme on peut le voir dans la couverture médiatique des événements tels que les émeutes anti-impôts et anti-scrutin au Royaume-Uni au début des années 90, et des manifestations anti-capitaliste N30 et J18 en 1999, l'anarchisme est devenu synonyme d'anti-capitalisme.

Inutile de dire que les "défenseurs" auto-proclamés "du prolétariat" s'en sont inquiétés et ont écrit à la hâte des articles pour [NDT : patronising] récuperer ou englober l'"anarchisme" (sans prendre la peine de comprendre vraiment ce dernier ou ses arguments contre le marxisme). Ces articles sont habituellement un ensemble de mensonges, d'attaques personnelles non pertinentes, des déformations des positions anarchistes et enfin la prétention ridicule que les anarchistes sont des anarchistes parce que personne n'a pris la peine de les informer au sujet de ce que le "marxisme" est "vraiment". Nous ne visons pas à répéter une telle analyse "scientifique" dans notre FAQ, ainsi nous nous concentrerons sur la politique et l'histoire. Ainsi faisant, nous indiquerons que les anarchistes sont des anarchistes parce qu'ils comprennent le marxisme et le rejetent en tant que ne pouvant pas mener à une société socialiste.

C'est malheureusement commun pour beaucoup de marxistes, en particulier les léninistes, de se concentrer sur des personnalités et pas sur la politique en discutant des idées anarchistes. Albert Meltzer l'a bien montré quand il a noté le fait qu'il est "très difficile que les marxistes léninistes fassent une critique objective de l'anarchisme, en tant que tel, parce que, de par sa nature, il mine toutes les suppositions de base du marxisme. Si le marxisme est tenu pour la philosophie de base de la classe ouvrière, et que le prolétariat ne peut pas devoir son émancipation à personne qu'à lui-même, il est difficile de revenir là-dessus et de dire que la classe ouvrière n'est pas encore prête à se passer de l'autorité placée au-dessus d'elle. Les marxistes, donc, normalement, se retiennent de critiquer l'anarchisme en tant que tel -- à moins qu'ils ne soient conduit à faire ainsi, quand il met en cause son propre autoritarisme... et concentrent leurs attaques non pas sur l'anarchisme, mais sur les anarchistes"[3].

Ceci peut se voir, par exemple, quand beaucoup de léninistes essayent de "réfuter" la totalité de l'anarchisme, de sa théorie et de son histoire, en précisant les faiblesses personnelles de certains anarchistes. Ils disent que Proudhon était anti-sémite et sexiste, que Bakounine était raciste, que Kropotkine a soutenu les alliés dans la première guerre mondiale et donc que l'anarchisme ne tient pas debout. Tous ces faits sur Proudhon, Bakounine et Kropotkine sont vrais mais ils ne sont pas du tout pertinents pour une critique de l'anarchisme. Une telle "critique" ne concernent pas les idées anarchistes, qui sont ignorées par cette approche. En d'autres termes, elles attaquent des anarchistes, pas l'anarchisme.

Même en prenant ces arguments à leur valeur nominale, vous devriez être stupide pour supposer que la misogynie de Proudhon ou le racisme de Bakounine peut se comparer avec le comportement de Lénine et le comportement des Bolcheviques en général (par exemple, la création d'une dictature du parti, la répression des grèves, de la liberté d'expréssion, de toute organisation indépendante de la classe ouvrière, la création d'une force secrète de police, l'attaque de Kronstadt, la trahison contre les Makhnovistes, la répression violente du mouvement russe anarchiste, etc...) dans le tableau des scores des activités moralement réprehensibles. C'est étrange que l'attachement aux comportements personnels a autant, voire plus, d'importance pour évaluer une théorie politique qu'en a sa mise en application pendant une révolution.

D'ailleurs, une telle technique est finalement malhonnête. Pour Proudhon, par exemple, ses excès antisémites sont demeurés dans ses carnets de notes sans être publiés jusqu'à bien après la publication de ses idées et, comme Robert Graham le précise, « Une lecture de "Idée Générale sur la révolution" montrera que l'anti-semitisme ne fait pas partie du programme révolutionnaire de Proudhon »[4]. De même, le racisme de Bakounine est un aspect malheureux de sa vie, un aspect qui est finalement non pertinent au regard de l'ensemble des principes et des idées en faveur desquelles il a plaidé. D'ailleurs, Bakounine et ses associés ont totalement rejetés le sexisme de Proudhon et ont plaidé pour l'égalité complète entre les sexes. Pourquoi mentionner ces aspects de leurs idées ? Elles ne sont pas pertinentes pour l'évaluation de l'anarchisme en tant que théorie politique viable. Faire ainsi est sous-entendre avec malhonnêteté que l'anarchisme est raciste et sexiste, ce qu'il n'est pas.

Si nous regardons l'appui de Kropotkine pour les alliés dans la premiére guerre mondiale nous découvrons une hypocrisie étrange de la part des marxistes aussi bien qu'une tentative de déformer l'histoire. Pourquoi une hypocrisie ? Simplement parce que Marx et Engels ont soutenu les prussiens pendant la guerre Franco-Prussienne (en revanche, Bakounine plaidait pour qu'un soulevement populaire et une révolution sociale arrête la guerre). Comme Marx a écrit à Engels le 20 juillet, 1870 :

« La France doit être vaincue. Si les Prussiens sont victorieux, la centralisation du pouvoir de l'état sera utile pour la centralisation de la classe ouvrière allemande. D'ailleurs, l'ascendance allemande transferera le centre de gravité du mouvement ouvrier européen de la France vers l'Allemagne [...] A l'échelle du monde, l'ascendance du prolétariat allemand sur le le prolétariat français constituera en même temps l'ascendance de notre théorie sur celle de Proudhon »[5].

Marx, indirectement, a souhaité la mort des personnes de classe ouvrière dans la guerre afin de voir ses idées devenir plus importantes que celles de Proudhon ! Au moins Kropotkine a soutenu les alliés parce qu'il était contre les atteintes à la liberté qu'impliquait l'Etat militaire allemand. L'hypocrisie des marxistes est claire -- si l'anarchisme doit être condamné pour les actions de Kropotkine, alors le marxisme doit être également condamné pour les pensées de Marx.

Cette analyse historique montre également que la majeure partie des membres du mouvement marxiste ont soutenu leurs états respectifs pendant les conflits. Seuls quelques partis membres de la deuxième internationale se sont opposés à la guerre (et c'était les plus petits partis). Le père du marxisme russe, George Plekhanov, a soutenu les alliés. Le parti social démocratique allemand (le bijou dans la couronne de la deuxième internationale) a soutenu la guerre (une petite minorité de ses membres s'y sont opposés). Il s'est trouvé un seul homme dans le Reichstag allemand en août 1914 qui n'a pas voté pour les crédits de guerre (et lui n'a pas même voté contre eux, il s'est abstenu). Et beaucoup de la minorité pacifiste sont allés avec la majorité du parti au nom de la "discipline" et des principes "démocratiques".

En revanche, seule une trés petite minorité d'anarchistes a soutenu un côté ou un autre pendant le conflit. La majeure partie du mouvement anarchiste (dont les principaux guides, tels que Malatesta, Rocker, Goldman et Berkman) s'est opposée à la guerre, arguant du fait que les anarchistes doivent « profiter de chaque mouvement de rébellion, de chaque mécontentement, afin de fomenter l'insurrection, d'organiser la révolution par laquelle nous recherchons la fin de toutes les iniquités de la société »[6]. Comme Malatesta l'a noté alors, les anarchistes « pro-guerre n'étaient pas nombreux, il est vrai, mais comptaient parmi eux des camarades que nous aimions et respections beaucoup ». Il a souligné que « presque tous » les anarchistes « sont demeurés fidèle à leurs convictions » à savoir « éveiller la conscience de l'antagonisme d'intérêts entre les dominants et les dominés, entre les exploiteurs et les ouvriers, et de développer la lutte de classe à l'intérieur de chaque pays, et la solidarité parmi tous les ouvriers à travers les frontières, en rupture avec tous les préjugés, les idéaux de race ou de nationalité »[7].

En accusant Kropotkine, les marxistes cachent le fait que c'était le mouvement marxiste officiel qui a trahi la cause de l'internationalisme, pas l'anarchisme. En effet, la trahison de la deuxième internationale était le résultat normal de la fin de « l'ascendance » de l'anarchisme sur le marxisme que Marx avait espérée. Le developpement du marxisme, sous la forme de social-démocratie, fini comme Bakounine l'avait prévu, avec la corruption du socialisme en un système électoral et en Etatisme. Comme le fait justement remarquer Rudolf Rocker, « La grande guerre de 1914 était la démonstration de la faillite du socialisme politique »[8].

Nous ne suivrons pas cette commune approche marxiste ici car la faillite du marxisme, en particulier sous sa forme léniniste, n'est pas venue de la défaillance des individus mais de leur politique et de la façon dont ils fonctionnaient dans la pratique. Personne ne donne totalement corps à ses idéaux dans la pratique, nous sommes tous des humains et critiquer les défauts des individus ne peut pas sérieusement remettre en cause la théorie à laquelle ils ont contribuée. Si c'était le cas, alors le marxisme "serait réfuté" à cause des sentiments anti-Slaves et du soutien de Marx et d'Engel à l'état allemand pendant la guerre Franco-Prussienne de 1871.

Plutôt, nous analyserons le marxisme en termes de théories et comment ces théories ont fonctionné dans la pratique. Ainsi nous conduirons une analyse scientifique du marxisme, regardant ses prétentions et les comparant à ce qu'elles ont donné dans la pratique. Aucuns ou peu de marxistes présentent une telle analyse de leur propre politique, ce qui fait du marxisme plus un système de croyance plutôt que d'analyse. Par exemple, beaucoup de marxistes se réferent au succès de la révolution russe et disent que tandis que les anarchistes attaquaient Trotsky et Lenine en tant qu'Étatiques et autoritaires, cet étatisme et cet autoritarisme ont sauvé la révolution.

En réponse, les anarchistes disent que la révolution marxiste, en fait, a échoué. Après tout, le but de ces révolutions était de créer une société libre, démocratique, sans classes, constituée d'égaux. En fait il a créé la dictature du parti basée autour d'un système de classe de bureaucrates exploitant et dominant des personnes de la classe ouvrière et une société manquant d'égalité et de liberté. Pendant que les objectifs indiqués de la révolution marxiste ne se matérialisaient pas, les anarchistes arguaient du fait que ces révolutions ont échoué bien qu'un parti "communiste" soit demeuré au pouvoir pendant plus de 70 années. Et quant à l'étatisme et à l'autoritarisme qui auraient "sauvé" la révolution, ils l'ont sauvée pour Staline, pas pour le socialisme. Il n'y a pas de quoi être fier.

À partir d'une perspective anarchiste, ceci semble parfaitement raisonnable car « aucune révolution ne peut jamais réussir comme facteur de libération à moins que les MOYENS employés pour cette révolution soient conformes dans l'esprit et la tendance avec le BUT de sa réalisation »[9]. En d'autres termes, l'étatisme et les moyens autoritaires auront comme conséquence l'étatisme et les fins autoritaires. Appeler un nouvel état "état ouvrier" ne changera pas la nature de l'état si une minorité (et ainsi une classe) continue de régner. Ca n'a rien à faire avec les idées ou la nature de ceux qui prennent le pouvoir, ça a rapport avec la nature de l'état et des rapports sociaux qu'il produit. La structure d'état est un instrument de domination d'une minorité, elle ne peut pas être employée par la majorité parce qu'elle est basée sur la hiérarchie, la centralisation et le pouvoir de la minorité aux dépens de la majorité des individus. Les états ont certaines propriétés juste parce qu'ils sont des états. Ils ont leur propre dynamique qui au dehors du contrôle populaire et ne sont pas simplement des outils dans les mains de la classe économiquement dominante. Faire que la minorité soit socialiste dans un "État ouvrier" ne change pas la nature fondamentale de l'état comme instrument de domination de la minorité -- cela change juste la minorité responsable de l'exploitation et de l'oppression de la majorité.

De la même façon, en dépit de plus de 100 ans de tentatives de la part des socialistes et des radicaux pour utiliser les élections pour faire avancer leurs idées, et la corruption qui à gagné chaque partis procédant de cette manière, la plupart des marxistes pensent qu'il est toujours normal pour des socialistes de se présenter à des élections. Pour une théorie qui se dit scientifique, cette ignorance de l'évidence empirique, des faits historiques, est proprement surprenante. Les marxistes font de l'économie la science qui persiste à ne pas prendre en compte ni l'histoire ni ses preuves.

En effet, ce refus de voir l'évidence des faits peut être vu dans les commentaires marxistes les plus courants à propos des anarchistes, à savoir que nous serions des « petits-bourgeois ». Pour des anarchistes, de tels commentaires indiquent que, pour beaucoup de marxistes, la classe est plus une source d'insultes que d'analyse. On s'en aperçoit quand les marxistes déclarent que, par exemple, Kropotkine ou Bakounine était des « petit-bourgeois ». Comme si un membre de la classe dirigeante russe pouvait être petit-bourgeois ! Si nous considérons la classe comme un fait socio-économique et un rapport social (ce qu'elle est) plutôt que comme une insulte, alors nous découvrons que si Bakounine et Kropotkine étaient « petits-bourgeois », Marx l'était aussi, car il a partagé avec ces deux-là la même situation socio-économique ! Cette vision de la société ne peut expliquer comment Marx (un membre de la petite bourgeoisie, un journaliste indépendant, quand il a travaillé) et Engels (un bourgeois bien réel puisqu'il était propriétaire d'une usine !) pourraient avoir créé « une science prolétaire ». Après tout, afin d'être une théorie « prolétaire » elle doit être développée par des personnes de classe ouvrière en lutte. Ce n'était pas le cas. Albert Meltzer explique les problèmes auxquels les marxistes font face quand ils nous appellent des « petits-bourgeois » :

« Ceci les amène à une autre difficulté : Comment peut-on réconcilier l'existence des syndicats anarcho-syndicalistes avec l'origine petits-bourgeois de l'anarchisme -- et comment explique-t-on le fait que la plupart des marxistes-léninistes d'aujourd'hui sont des femmes et des hommes étudiant ou appartenant aux professions typiques de cette classe ? La réponse habituellement donnée est que parce que l'anarchisme « petits-bourgeois », ceux qui y adhèrent -- 'quelque soit leur occupations ou leurs origines sociales doivent également être des « petits-bourgeois ». Ainsi, parce que « le marxisme est la classe ouvrière », ses adhérents doivent être de la classe ouvrière « au moins subjectivement ». C'est une absurdité sociologique, comme si la « classe ouvrière » signifiait point de vue idéologique. C'est également une tentative de noyer le poisson »[10].

Comme cette section de la FAQ va le démontrer, ces insultes et cette persistance à dénoncer les faiblesses des individus anarchistes de la part des Marxistes n'était pas un accident. Si nous considérons la capacité d'une théorie à prédire le futur comme un indicateur de sa validité, nous nous apercevrions bientôt que l'anarchisme est un outil bien plus utile à la lutte de la classe laborieuse que le Marxisme. Après tout les anarchistes ont prédit avec une pertinence surprenantes le developpement du Marxisme. Bakounine disait que l'electoralisme corromprait le mouvement socialiste, le transformant en réformiste, et finalement en un enième parti bourgeois (voir la section J.2). C'est bien ce qui est arrivé au mouvement social-démocrate dans le monde entier au tournant du vingtième siècle (bien que la rhétorique demeurait radicale pendant un temps plus long, bien sur). Les commentaires de Murray Bookchin sur les Social-Democrates allemands sont tout à fait appropriés ici :

« Les préocupations du parti vis-à-vis du parlementarisme l'ont éloigné pour toujours de tout ce que Marx avait jamais dit. Au lieu de travailler à dépasser l'état bourgeois, le SPD, en mettant l'accent sur les élections, est virtuellement devenue une machine à avoir des votes et à augmenter sa représentation au Reichtag à l'intérieur de l'état bourgeois... Plus le SPD s'entendait à remplir cette tache, plus il avait de membres et d'électeurs, et, avec la participation toujours plus massive d'adhérents pragmatiques et opportunistes, plus il ressemblait à une machine bureaucratique destinée à concentrer le pouvoir dans un régime capitaliste plutôt qu'à une organisation révolutionnaire visant à le renverser »[11].

La réalité du travail étatique a eu vite fait de transformer le parti et ses leaders, comme Bakounine l'avait predit. Si nous examinons les années 1920, nous decouvrons une tendance similaire à constater l'évidence :

« Pendant les années 1920, les attachement leninistes aux tactiques social-démocrate pre-premiére guerre mondiale comme la politique electorale et l'activité politiques dans des syndicats pro-capitalistes ont dominé les perspectives des soit-disant Communistes. Mais si ces tactiques étaient correctes, pourquoi n'ont-elles pas amené des résultats moins mitigés ? Nous devons être materialistes, et pas idealistes. Quel a été le résultat des stratégies Leniniste ? Ont-elles amenées des révolutions proletariennes, donné naissance à des sociétés enrichissant les être humains qui y vivaient ? Le mouvement revolutionaire d'entre deux guerre a été détruit ... »[12].

Comme l'anarchiste écossais Ethel McDonald l'a dit en 1937, les tactiques préconisées par Lenine étaient désastreuses en pratique :

« Au Second Congrès de la Troisième Internationale, à Moscou, un camarade qui est maintenant avec nous en Espagne, répondant à Zinoview, insista pour que l'on mise sur le mouvement syndicaliste en Allemagne et que l'on mette fin au communisme parlementaire. Il fut ridiculisé. Le Parlementarisme, le Parlementarisme communiste, mais uniquement le Parlementarisme sauverait l'Allemagne. Et ce fut le cas... Sauvée du socialisme. Sauvée pour le fascisme »[13].

Quand les nazis prirent le pouvoir en 1933 en Allemagne, les 12 millions d'électeurs socialistes et communistes, dont 6 millions d'ouvriers syndiqués ne firent pas de mouvement. En Espagne, c'est la CNT anarcho-syndicaliste qui mena la bataille, dans les rues, contre le fascisme, et qui a participé à une des plus importante révolution sociale que le monde ait jamais connu. Le contraste ne pourrait pas être plus net. Et dire qu'il se trouve encore des marxistes pour suivre les conseils de Lénine aujourd'hui !

Si nous regardons les « Ã©tats ouvriers » créés par les Marxistes, nous découvrons, encore une fois, que les prévisions des anarchistes se sont avérés justes. Bakounine a dit que « par gouvernement populaire, ils [ les marxistes ] entendaient un gouvernement d'un petit nombre de représentants élus par le peuple ... [ c'est-à-dire, ] un gouvernement de la grande majorité des personnes par une minorité de privilégiés. Mais cette minorité, les marxistes disent, sera composé d'ouvriers. Oui, peut-être, des ex-ouvriers, qui, dès qu'ils deviendront les dirigeants ou les représentants du peuple cesseront d'être des ouvriers et commenceront à considérer le monde des ouvriers du haut de l'état. Ils ne représenteront plus le peuple mais eux-mêmes et leurs propres pretentions à régir ce peuple »[14]. L'histoire de chaque révolution marxiste à prouvé que Bakounine avait vu juste.

A cause des « Ã©tats ouvriers », le socialisme s'est vu associé aux régimes répressifs, aux régimes totalitaires à l'opposé total de ce que le socialisme est réellement. Et le fait que des socialistes auto-proclamés (tels que les Trotskistes) « décrivent de manière obscéne les régimes qui exploitent, emprisonnent et assassinent des travailleurs salariés comme Cuba, la Corée du Nord, et la Chine comme des états ouvriers » n'arrange rien à l'affaire[15]. Il n'est pas surprenant que beaucoup d'anarchistes n'emploient pas les termes de « socialiste » ou de « communiste » et s'appellent juste eux-mêmes "anarchistes". Ils se retrouveraient associés à des régimes qui n'ont rien en commun avec à nos idées, et, en effet, aux idées du socialisme en tant que tel.

Ceci ne signifie pas que les anarchistes rejettent tout ce que Marx a écrit. Loin de là. Beaucoup de son analyse du capitalisme semble acceptable aux anarchistes, par exemple (Bakounine et Tucker considéraient tout les deux que son analyse économique était très importante). En effet, il y a quelques écoles du marxisme qui sont très libertaires et qui sont des cousins proches de l'anarchisme (par exemple, le communisme de conseil et le marxisme autonome se rapprochent de l'anarchisme révolutionnaire). Malheureusement, ces formes de marxisme libertaires sont des courants minoritaire dans ce mouvement.

En d'autres termes, le marxisme n'est pas tout mauvais -- malheureusement une majeure partie l'est et des éléments ne se sont pas retrouvés dans l'anarchisme de toute façon. Pour la plupart des gens, le marxisme est l'école de Marx, d'Engels, de Lenine et de Trotsky, et non pas de Marx, de Pannekoek, de Gorter, de Ruhle et de Mattick. La tendance libertaire des minorités du marxisme est basée, comme l'anarchisme, sur un rejet du pouvoir du parti, de l'electoralisme et de la création d'un « Ã©tat ouvrier ». Ils supportent également, comme les anarchistes, l'action directe, la lutte des classes auto-autogéré, l'autonomie de la classe ouvrière et une société socialiste autogerée. Ces marxistes s'opposent à la dictature du parti sur le prolétariat et, en effet, sont d'accord avec Bakounine quand il a noté le fait, contre Marx, que des socialistes ne devraient pas « accepter, même en cours de transition révolutionnaire, les assemblées constitutives, les gouvernements temporaires ou les prétendues dictatures révolutionnaires ; parce que nous sommes convaincus que la révolution est seulement sincère, honnête et vraie dans les mains des masses, et que quand elle est concentré dans celles de quelques individus dirigeants, c'est inévitablement qu'elle devient immédiatement réactionnaire ». Comme Bakounine, ils pensent qu'" une fédération libre d'associations agricoles et industrielles ... organisée du bas vers le haut serait à la base d'une nouvelle société (les marxistes libertaires appellent habituellement ces associations de "conseils ouvriers" "[16].

Ces formes libertaires du marxisme devraient être encouragées et non mises dans le même sac que le léninisme et la démocratie sociale (en effet Lenine a parlé de « la déviation anarchiste du Parti ouvrier communiste allemand » et d'autres « Ã©léments semi-anarchiste », à propos de ces groupes mêmes que nous désignons ici de marxiste libertaire[17].). Avec le temps, si tout va bien, de tels camarades verront que l'élément libertaire de leur pensée est supérieur aux legs marxiste. Ainsi nos commentaires dans cette section de la FAQ sont la plupart du temps dirigés vers la forme majoritaire du marxisme, et non vers son aile libertaire.

Un dernier point. Nous devrions préciser que dans le passé, beaucoup des principaux marxistes ont argué du fait que l'anarchisme et le socialisme étaient à des kilomètres de distance : en effet, l'anarchisme ne serait pas une forme du socialisme. Le principal marxiste américain Daniel De Leon a suivi cette ligne, avec beaucoup d'autres. C'est vrai, dans un sens, car les anarchistes ne sont pas des socialistes marxistes -- nous rejetons un tel "socialisme" puisque profondément autoritaire. Cependant, tous les anarchistes sont des membres du mouvement socialiste et nous rejettons les tentatives des marxistes de monopoliser ce terme. Quoi qu'il en soit, parfois dans cette section nous pouvons trouver utile d'employer le terme socialiste/communiste pour décrire le « socialiste d'état » et le terme anarchiste pour décrire le « socialiste/communiste libertaire ». Ceci n'implique nullement que les anarchistes ne sont pas des socialistes. C'est purement un outil pour faciliter la lecture de nos arguments.

Dans les sections qui suivent nous discuterons du marxisme et de la pratique du pouvoir par les marxistes. Ceci indiquera pourquoi les anarchistes le rejettent en faveur d'une forme libertaire de socialisme.

Notes et references

  1. Les Anarchistes individualistes, pp. 78-9
  2. Post-Scarcity Anarchism**, p. 214
  3. Anarchisme : Arguments Pour et Contre, p. 37
  4. Introduction, **Idée Générale sur la révolution**, p. xxxvi
  5. cité par Arthur Lehning, Michael Bakounine : Les écritures choisies, p. 284
  6. Ni Dieux, Ni Maitres, vol. 2., p. 36
  7. Vie et Idées, p. 243, p. 248 et p. 244
  8. Marx et l'Anarchisme
  9. Emma Goldman, Patterns of Anarchy, p. 113
  10. Op. Cit.**, p. 39
  11. La troisiéme Révolution, vol. 2, p. 300
  12. Max Anger, "L'école Spartakiste de la falsification", **Anarchie : Un journal de désirs armés**, no. 43, Spring/Summer 1997, pp. 51-2
  13. "The Volunteer Ban", **Travailleurs de la ville**, Farquhar ""McLay"" (ed.), p. 74
  14. L'Etatisme et l'anarchie, p. 178
  15. Max Anger, **Op. Cit.**, p. 52
  16. Michael Bakounine : **Ecrits choisis**, p. 237 and p. 172
  17. Marx, Engels and Lenin, _Anarchism and Anarcho-Syndicalism, p. 333 and p. 338