"anarcho"-capitalisme

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L'"anarcho"-capitalisme est une théorie politique non-anarchiste mais libérale opposée à l'État. Elle est très proche du libertarianisme (cf. la critique consacrée à ce courant).

Théorie

L'"anarcho"-capitalisme se veut être une version totale du capitalisme, où l'État n'existerait plus, et où les fonctions régaliennes de celui-ci seraient confiées à des agences privées (il y aurait donc des tribunaux privées, des polices privées, des armées privées etc...). Les socles sur lesquels repose cette théorie sont la propriété, le capitalisme et l'individualisme libéral.

D'autres auteurs, tels que Pierre Lemieux, estiment que l'"anarcho"-capitalisme est également « moralement désirable[1] ».

La propriété

La FAQ anarchiste contient une section se rapportant à ce sujet.
FAQAnar:F.4 - Quelle est la position des libertariens sur la propriété privée ?

Attachés à la propriété au point de fonder toutes leur théorie là-dessus, les "anarcho"-capitalistes s'opposent à toute atteinte possible à celle-ci. Ils avancent que les solutions à tous les problèmes existant se trouvent dans le respect absolu de la propriété. Ainsi, selon les "anarcho"-capitalistes jusnaturalistes, toutes les titres de propriété doivent être entièrement revus (via une institution judiciaire privée), afin de déterminer si ils sont conformes, ou non, avec le droit naturel (c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été obtenu par la force physique[2])

L'abolition de la propriété prônée par les anarchistes leur semble une absurdité — lorsqu'ils citent d'exemples invalidant soit-disant le rejet de la propriété, ils n'avancent bien souvent que des exemples historiques d'États marxisant — puisqu'ils ne comprennent pas la différence entre possession et propriété privée. Ils reprennent l'argument de Hans-Hermann Hoppe selon lequel « littéralement personne ne serait jamais autorisé à faire quoi que ce soit avec quoi que ce soit[3] », alors que seuls les moyens de production sont la possession de l'ensemble de la société, les autres biens étant des possessions individuelles (un livre, une maison, un bureau, un lit etc...) ; qui plus est, rien n'empêcherait un individu de vouloir fabriquer quelque chose tout seul.

Le capitalisme

Les "anarcho"-capitalistes tendent à confondre capital et capitalisme. Le capital désigne en sciences économique désigne « toute richesse non consommée, obtenue par épargne ou emprunt, qui est mobilisée pour la production de nouvelles richesses ou l'obtention d'un revenu[4] » Le capitalisme quant à lui est un système économique et social obéissant aux règles suivantes :

  • propriété privée des moyens de production ; pour les anarchistes, il s'agit là d'un moyen d'oppression d'un groupe social (les salarié-e-s) par un autre (les propriétaires des moyens de production).
  • recherche du profit, pour notamment rémunérer des actionnaires et/ou compenser leurs prises de risque ;
  • une certaine liberté des échanges économiques ; pour les anarchistes, le terme de « liberté » est abusif[5].
  • possibilité d'accumulation de capital et de spéculation ; pour les anarchistes, il s'agit d'un vol (un employé produit un bien, que son patron vend : si le patron ne redistribue pas les richesses équitablement[6], alors le patron vole une partie des richesses crées par l'employé)
  • rémunération du travail par un salaire ; entraînant pour les anarchistes un esclavage salarié.

Le capital, au sens économique du terme, n'entraîne pas nécessairement l'apparition du capitalisme (un singe peut prendre une branche d'arbre pour faire tomber une ruche et en récolter le miel ; il n'y a pas ici capitalisme). Les "anarcho"-capitalistes affirment, quant à eux le contraire, affirmant que toute action humaine est capitaliste.

Pour les "anarcho"-capitalistes, le capitalisme est par essence anarchiste[7] ; en régime "anarcho"-capitaliste, « la liberté capitaliste envahit le social et les conditions de base de la vie en société.[8] »

Le refus de l'égalité

La FAQ anarchiste contient une section se rapportant à ce sujet.
FAQAnar:F.3 - Pourquoi les "anarcho"-capitalistes n'attribuent-ils généralement peu ou pas de valeur à l'"égalité" ?

Les "anarcho"-capitalistes considèrent l'égalité comme une « révolte contre la nature », selon le titre du livre de Rothbard. Ils s'opposent à toute égalité autre qu'une égalité de droits. Ils admettent « les inégalités matérielles que produit ou cautionne la liberté totale[9] » : or, l'inégalité de droits découlent de l'inégalité matérielle : les prisons sont remplis majoritairement de criminels venant d'un milieu social défavorisé, alors que les riches commettant des crimes s'en tirent mieux, voire ne sont pas inquiétés pour leurs crimes.

En fait, les "anarcho"-capitalistes critiquent l'égalité comme l'on fait les individualistes aristocratiques, tout en fondant leur système sur une égalité de droits — contradiction qui n'est pas celle des individualistes aristocratiques.

Les différentes écoles

On peut distinguer deux écoles : l'une jusnaturaliste (fondée sur les droits naturels), l'autre utilitariste. Bien que se fondant sur une même idée, ces tendances diffèrent quant aux applications pratiques de celles-ci, et ce même à l'intérieur de chacune de ces tendances.

L'école jusnaturaliste

L'approche jusnaturaliste remet en question la légitimité des droits de propriété en usage actuellement en les limitant aux seuls droits acquis conformément au "homesteading" développé à l'origine par John Locke, propose des méthodes pour réviser ces droits au cas par cas pour rétablir la soit-disant légitime propriété au détriment des propriétaires actuels, et érige sa définition de la liberté et de la propriété comme universelle. Pour cette tendance, l'"anarcho"-capitalisme serait le seul système politique où les droits naturels seraient entièrement respectés (bien que cette théorie ne fut jamais appliquée).

Cette école dit refuser l'esclavage volontaire, tout en acceptant l'esclavage salarié. Son auteur-phare est Murray Rothbard, et dans une moindre mesure Hans-Hermann Hoppe.

L'école utilitariste

L'approche utilitariste part généralement de l'état actuel des droits de propriété sans chercher à établir de base absolue et universelle comme origine de ces droits, conservant la possibilité de justifier de manière utilitariste certaines violations de ces mêmes droits (la démarche utilitariste est alors prioritaire sur la liberté et la propriété). Ils justifient l'"anarcho"-capitalisme en avançant que ce modèle serait le plus efficace (bien que n'ayant jamais été appliqué).

Cette tendance, minoritaire au sein même des "anarcho"-capitalistes, accepte l'esclavage volontaire (une personne peut se vendre en tant qu'esclave) et le sacrifice d'un individu afin d'en sauver d'autres. Ses auteurs-phares sont David Friedman (qui développa cette tendance) et Walter Block.

"Justice" "anarcho"-capitaliste

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FAQAnar:F.6.1 - Quel est le problème avec cette justice de « libre marché » ?

Les deux tendances reprennent les institutions juridiques existantes, et ne font que les privatiser. Les individus sont les seuls à porter une affaire devant le tribunal, le ministère public existant dans la forme étatique se retrouvant ici supprimé. Ainsi, un individu n'ayant pas les moyens de financer un procès ne pourrait pas plaider sa cause devant les tribunaux. L'"anarcho"-capitalisme est donc une ploutocratie, où seuls les individus suffisamment riches peuvent faire respecter leurs droits.

La "justice" jusnaturaliste

L'école jusnaturaliste estime que la justice doit découler des droits naturels, et avance qu'une restitution égale de ce qui a été volé doit avoir lieu. Ils estiment que le fait d'accomplir un crime — c'est-à-dire, une atteinte aux droits naturels — est un renoncement à ses propres droits.

Ainsi, un individu qui en viendrait, même accidentellement, à en tuer un autre, peut être lyncher si la famille de la victime l'exige, sous prétexte que cet individu aurait nié le droit de "propriété de soi" que revendique les "anarcho"-capitalistes, et qu'il apparaîtrait donc logique — pour les "anarcho"-capitalistes jusnaturalistes — de nier le droit de "propriété de soi" de cet individu.

La "justice" utilitariste

L'utilitarisme vise l'efficacité économique globale de la justice, et donc applique des peines proportionnelles en valeur au crime divisé par le taux de capture (c'est-à-dire, en n'appliquant des principes mathématiques et non-humains à la justice). Le crime est intégré à la société à travers ses seules implications économiques.

Stratégies

Il n'existe à proprement parler aucun consensus sur la stratégie à adopter pour parvenir à l'"anarcho"-capitalisme. Rothbard s'est engagé dans le Parti libertarien (un des partis politiques minoritaires aux États-Unis) pour servir ses fins durant les années 1970 et 1980, Friedman opte pour un réformisme (il faudrait privatiser au fur et à mesure les biens publics) : les deux principaux théoriciens optent donc pour une approche étatique, c'est-à-dire qu'ils estiment que rien ne peut être fait en-dehors de l'État, justifiant ainsi à leur dépend ce dernier. Par ailleurs, la plupart des "anarcho"-capitalistes sont assez proches de la droite conservatrice américaine (Lew Rockwell, Hans-Hermann Hoppe, ainsi que Rothbard lui-même — ce dernier appelait d'ailleurs à la mise en place d'un « populisme de droite », proche de celui des conservateurs les plus hardis)

Les agoristes[10]défendent la participation aux marchés parallèles (marché noir ou marché gris[11]) pour échapper à la surveillance de l'État ainsi qu'aux taxes, investissent dans des paradis fiscaux et cherchent à créer des entreprises furtives, sans existence légale officielle mais respectant les droits individuels. Vu l'ancienneté de l'économie parallèle et son absence de résultat quant à la mise à bas de l'État, cette stratégie semble vouée à l'échec au niveau politique.

Certains enfin, comme Lemieux[12], estiment que l'"anarcho"-capitalisme est « d'avantage un idéal à viser et une idée à expérimenter qu'un programme à réaliser hic et nunc » ; ainsi, l'impossibilité de l'"anarcho"-capitalisme de mettre en place une société-relai suite au déclin de l'État — aucun "anarcho"-capitaliste n'explique par ailleurs comment parvenir à la fin de l'État — montre une fois de plus, l'incapacité de l'"anarcho"-capitalisme à n'être autre chose qu'une théorie.

Historique

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FAQAnar:F.7 - Comment l'histoire de l'"anarcho"-capitalisme prouve-t-elle que cette théorie n'est pas anarchiste ?

Née aux États-Unis dans les années 1960, cette théorie se revendique du libéralisme économique classique (Frédéric Bastiat notamment) et politique (John Locke notamment). Le fondateur de cette théorie pseudo-anarchiste est Murray Rothbard, économiste américain de l'École autrichienne et disciple Ludwig von Mises (qui lui était minarchiste — c'est-à-dire défenseur d'un État limité aux fonctions régaliennes). Il reprit le terme libertaire (qui se dit « libertarian » en anglais[13]) pour qualifier l'ensemble du courant "anarcho"-capitalistes et minarchistes.

Gustave de Molinari, un libéral étatique

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FAQAnar:F.7.1 - Les gouvernements en concurrence sont-ils de l'anarchisme ?

Contrairement à ce qu'avancent les "anarcho"-capitalistes, Molinari n'était pas anarchiste, il reconnaissait la nécessité des gouvernements[14], comme le montre l'extrait suivant des Soirées de la rue Saint-Lazare, considéré par les "anarcho"-capitalistes comme l'ouvrage fondateur de leur théorie  :

L’ÉCONOMISTE.

Les intérêts n’ont besoin ni d’être dirigés ni d’être accordés. Ils se dirigent et s’accordent bien sans que personne s’en mêle.

LE SOCIALISTE.

S’il en est ainsi, que doit faire le gouvernement ?

L’ÉCONOMISTE.
Il doit garantir à chacun le libre exercice de son activité, la sécurité de sa personne et la conservation de sa propriété. Pour exercer cette industrie particulière, pour rendre ce service spécial à la société, le gouvernement doit disposer d’un certain matériel. Tout ce qu’il possède en sus est inutile.[15]

Il s'opposa au monopole, quand bien même celui-ci serait naturel :

« Supposez qu'un homme ou une association d'hommes réussisse à s'attribuer exclusivement la production et la vente du sel, il est évident que cet homme ou cette association pourra élever le prix de cette denrée bien au dessus de sa valeur, bien au dessus du prix qu'elle atteindrait sous le régime de la libre concurrence.
On dira alors que cet homme ou cette association possède un monopole, et que le prix du sel est un prix de monopole.
Mais il est évident que les consommateurs ne consentiront point librement à payer la surtaxe abusive du monopole; il faudra les y contraindre, et pour les y contraindre, il faudra employer la force.
Tout monopole s'appuie nécessairement sur la force.[16] »

En fait, Molinari était un ultra-libéral, qui désirait soumettre les gouvernements à la libre concurrence — chacun pourrait choisir son gouvernement. L'anarchisme s'oppose à toute domination, même une domination choisie volontairement par l'individu ; telle n'est pas la position de Molinari[17].

Existence historique de sociétés "anarcho"-capitalistes

Aucune communauté existante ou ayant existé ne sait cependant réclamer de l'"anarcho"-capitalisme (contrairement à l'anarchisme qui lui s'est bel et bien inscrit dans l'histoire). Les "anarcho"-capitalistes essaient néanmoins d'approprier, pour les besoins de leur théorie, certains exemples de communautés qui n'ont cependant jamais respectés l'ensemble des critères "anarcho"-capitalistes tels que définis par les chantres de ce mouvement :

  • l'Islande médiévale, qui était pourtant constitué d'un État, et qui appliquaient une sorte de démocratie athénienne, où l'esclavage temporaire était possible pour une personne devant rembourser ses dettes
  • le Far West, où il existait certaines agences de protections privées, qui ne pouvaient cependant pas exister sans l'aval de l'État.

En bref, l'"anarcho"-capitalisme n'a jamais existé.

Anarchisme et "anarcho"-capitalisme