Émile Armand

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E. Armand
Ernest Lucien Juin, dit E. Armand, Emile ne fut jamais son prénom, contrairement à une erreur répandue. Voici ce qu'il écrit à Hem Day dans une lettre du 15 juillet 1958 : "C'est Ernest et non Emile Armand, mais j'estime que c'est de mince importance" ( "E.L Armand, ses prisons" par Hem Day, Défense de l'homme n°177-178 juillet-août 1963 ). Anarchiste individualiste né à Paris le 26 mars 1872 et mort à Rouen le 19 février 1962. Militant anarchiste individualiste et propagandiste d'une libre sexualité. Du premier survol de la vie d'E. Armand, on retire l'impression d'un fouillis. Lorsqu'on suit de près l'évolution de ce propagandiste, on distingue derrière cette apparence brouillonne, une démarche rigoureuse et tendant toujours vers plus de liberté. Dès sa jeunesse studieuse, sa nature anti-conformiste et généreuse se manifeste.

Biographie[edit]

Fils d'ancien communard, le petit Ernest Juin ne fréquente pas l'école et c'est son frère qui fera son instruction. De huit à quinze ans, il puise ses lectures dans les classiques de la bibliothèque paternelle. Sa facilité de lecture des langues l'amène à apprendre et pratiquer de nombreuses langues étrangères. En 1888, à l'âge de 16 ans, il traverse ce qu’il décrit comme la première grande crise de sa vie, à la suite d’une déception qu’il qualifie d’imméritée faisant obstacle à son désir d’étudier. Un jour qu’il se trouve à Londres, il se procure chez un bouquiniste, un exemplaire du Nouveau Testament en anglais qu’il lit « avec la plus grande attention ». Cette lecture vient répondre à un besoin qu’il qualifie d’« intense, inouï, de consolation, de soutien moral » qu’il n’avait jusque-là rencontré nulle part ailleurs parmi ses auteurs préférés : « Les paroles attribuées à Jésus me frappèrent surtout par leur fraîcheur, leur calme et leur droiture. Ce fut comme une lueur d’espoir dans mon horizon enténébré » raconte-il. Il se tourne alors vers la religion par la fréquentation des réunions de l'Armée du Salut, qu'il joint officiellement en décembre 1889.

Vers 1895-1896, Armand découvre l'anarchisme à travers la revue Les Temps nouveaux de Jean Grave. Il est alors déchiré entre les principes salutistes et les idées libertaires qui le séduisent et qu'il commence graduellement à adopter.Il démissionne de son poste d'officier salutiste en 1897. Vers la fin de la même année, il écrit sous les pseudonymes de Junius et de Franck des articles dans Le Libertaire de Sébastien Faure. Sa pensée s'inspire en grande partie des écrits de Léon Tolstoï et de Benjamin Tucker, ainsi que Walt Whitman et Ralph Waldo Emerson.

Armand collabore à divers journaux anarchistes et pacifistes comme La Misère, L'Universel et le Cri de révolte. En 1901, il fonde avec Marie Kugel, qui sera sa compagne jusqu'à sa mort en 1906, le journal L'Ère nouvelle, « tribune libre du prolétariat rédigée par les disciples du Christ ». Le journal se propose initialement de répandre « l'Évangile intégral : spirituel, moral et social » mais se radicalise graduellement en abandonnant la référence chrétienne. Ainsi, dès 1903, L'Ere nouvelle porte en sous-titre : « Revue d'émancipation intégrale et de communisme pratique ». La revue évolue ensuite du communisme libertaire à l'individualisme anarchiste jusqu'à sa fermeture en 1911.

L'En dehors, revue anarchiste animée par Armand
À partir de 1902, Armand participe aux Causeries populaires animées par Libertad et s'engage définitivement pour l'anarchisme individualiste. En 1905, il collabore au journal fondé par Libertad(Armand l'éditera plus tard d'avril à septembre 1912), "L'Anarchie". L'activité anarchiste, pacifiste et antimilitariste d'Armand lui vaut d'être condamné et emprisonné à de multiples reprises. Arrêté le 6 août 1907, il est condamné le 9 mai 1908 à cinq ans de prison pour complicité d'émission de fausse monnaie [1]. Il en profite pour rédiger le livre "Qu'est-ce qu'un anarchiste" (1908) qui constitue sa première synthèse. Il se rend compte à cette époque des confusions et quiproquos entraînés par les divers aspects de l'anarchisme et il accole dans ses écrits au mot anarchisme la précision individualiste. Après la mort de Marie Kugel, Armand se marie le 4 avril 1911 avec une institutrice, Denise Rougeault, qui le soutient financièrement et lui permet de se consacrer entièrement à l'action anarchiste. Sa situation matérielle assurée, ayant trouvé en Denise Rougeault la stabilité et une collaboratrice, il peut mettre son érudition, sa puissance de raisonnement et sa connaissance d'une dizaine de langues au service de sa révolte. Il fait paraître "l'En-Dehors" pendant 17 ans (tirage: 6000)[2], puis "L'Unique" pendant 11 ans, enfin un bulletin dans "Défense de l'homme" pendant 6 ans. Il publie plusieurs dizaines de brochures, organise causeries et cercles d'amis. A l'intérieur de son individualisme libertaire, il continue de progresser et aboutit, entre autres, à la thèse de la "Camaraderie amoureuse". Il collabore également à l'Encyclopédie Anarchiste de Sébastien Faure. Il écrit des milliers d'articles dans la presse militante [3].

Arrêté une troisième fois le 27 janvier 1940, il est condamné pour appel à l'insoumission le 16 avril suivant et est interné dans divers camps jusqu'en septembre 1941.

L'action militante d'Armand s'oriente également vers les «milieux libres» (les colonies anarchistes) où il prône l'amour libre, la camaraderie amoureuse, le naturisme et le refus généralisé des contraintes. Armand se définit par l'épitaphe qu'il se composa : « Il vécut, il se donna, il mourut inassouvi ».

Pensée[edit]

L'individualisme anarchiste d'Armand puise à des sources très diverses. Dans ses nombreuses publications, il fait régulièrement référence à l'égoïsme stirnérien de John Henry Mackay, à l'individualisme aristocratique de Friedrich Nietzsche ainsi qu'à l'individualisme libéral de Herbert Spencer.

Le modèle de l'individu fort et libre tel que proposé par Armand est le marginal, l'en dehors. Il évoque à plusieurs reprises le personnage du vagabond qui a choisi son état, qui vit à l'écart du troupeau, et en fait une sorte de modèle mythique. Le marginal d'Armand est un révolté, en rupture avec la société et ses lois. Armand fut lui-même un endehors, même en milieu anarchiste, et se prononça régulièrement contre toute unification du mouvement (comme, par exemple, la synthèse de Voline et Faure) qui selon lui « exhale un relent chrétien ».

Pour Armand, cette révolte ne doit toutefois pas être violente et collective. Elle doit consister en un refus d'obéir, en un rejet des lois qui limitent la liberté de l'individu. En ce sens, Armand n'hésite pas à appuyer les anarchistes illégalistes pratiquant des méthodes d'insoumission active comme la reprise individuelle, même s'il ne préconise pas personnellement ce type d'action. Se définissant plutôt comme «alégaliste», il estime que le refus passif d'obéir est plus compatible avec l'intérêt de l'individu. Toutefoisn il considère que les milieux anarchistes pouvaient voler, contrefaire ou être proxénètes et que cela se justifiait. Sans pour autant accéder à ces milieux, il considérait ces actes non-condamnables.

À partir de 1902, il devient d'abord communiste libertaire, mais rapidement s'engage définitivement pour l'anarchisme individualiste. En 1911, il signe « Le petit manuel anarchiste individualiste ». Vers 1912, il s'est mis à décourager la violence dans ses écrits. Les publications qu'il fait se veulent révolutionnaires en encourageant les anarchistes à vivre dans le présent et à ne pas attendre pour obtenir ce que le futur leur réserve.

Pour Armand, la société n'est que « le produit d'additions individuelles Â». Ainsi, l'individu ne doit «jamais obligatoirement et à son insu se trouver dépossédé et sacrifié au profit de l'ensemble social ». L'individu vit isolé, en marge, et s'associe à l'occasion quand le besoin se fait sentir, mais toujours volontairement. Ceci explique le vif intérêt qu'Armand porte, un temps du moins, aux milieux libres qui devaient permettre l'association dégagée de toute contrainte.

Une grande partie de l'oeuvre d'Armand est consacrée à l'amour libre. Le concept de camaraderie amoureuse est d'ailleurs une de ses principales contributions à la pensée anarchiste.

Citations[edit]

  • « J'écris ces lignes en pleine période électorale. Les murs sont barbouillés d'affiches de toutes les couleurs ou on s'en dit de toutes les couleurs, sans jeu de mots. Qui n'a pas son parti – son programme – sa profession de foi ? Qui n'est pas socialiste ou radical ou progressiste ou libéral ou « proportionnaliste » – le dernier cri du jour ? C'est la grande maladie du siècle, cette abnégation du moi. On est d'une association, d'un syndicat, d'un parti; on partage l'opinion, les convictions, la règle de conduite d'autrui. On est le mené, le suiveur, le disciple, l'esclave, jamais soi-même. »

Se sentir vivre (1910)

  • « ÃŠtre anarchiste c’est nier l’autorité et rejeter son corollaire économique : l’exploitation. Et cela dans tous les domaines où s’exerce l’activité humaine. L’anarchiste veut vivre sans dieux ni maîtres ; sans patrons ni directeurs ; alégal, sans lois comme sans préjugés ; amoral, sans obligations comme sans morale collective. Il veut vivre librement, vivre sa conception personnelle de la vie. »

Petit manuel anarchiste individualiste (1911)

  • « La camaraderie qui n'inclut pas les manifestations amoureuses est une camaraderie tronquée. L'hospitalité d'où est absente le sexualisme est mutilée. »

Lettre à A. Colomer (1925)

  • « Chaque homme ou femme disposant de sa vie sexuelle, et ce sans restrictions ni réserves, il ne peut y exister théoriquement de jalousie. Pratiquement, cependant, l'absence de jalousie ne se réalise qu'à condition que l'atmosphère éthique qui baigne ce milieu soit révolutionnaire, quant à la conception de la liberté de l'amour.»

La révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse (1934)

  • « Ce qui importe, c'est de défendre l'individu contre "l'Homme", l'indécrottable suiveur, l'incurable superficiel, l'éternel grégaire. »

L'Unique, n° 34 (novembre 1948)

Presse[edit]

  • L'Ère nouvelle (1901-1911)
  • Hors du troupeau (1911-1912)
  • Les Réfractaires (1912-1914)
  • Pendant la Mêlée (1915-1916)
  • Par-delà la Mêlée (1916-1918)
  • L'En-Dehors (1922-1939)
  • L'Unique (1945-1956)

Contributions :

  • En Avant ! (Journal de l'Armée du Salut)
  • Le Libertaire (de Sébastien Faure)
  • L'Anarchie (de Libertad)
  • L'Universel
  • La Misère
  • Le Cri de Révolte

Selon le Catalogue général des éditions et collections anarchistes francophones Cgécaf, Armand a contribué à au moins 69 revues anarchistes francophones.

Oeuvres[edit]

  • L’idéal libertaire et sa réalisation. (1904)
  • De la liberté sexuelle (1907)
  • Qu’est-ce qu’un anarchiste ? (1908)
  • Mon athéisme (1908)
  • Le Malthusianisme, le néo-malthusianisme et le point de vue individualiste (1910)
  • La Procréation volontaire au point de vue individualiste (1910)
  • Les Ouvriers, les syndicats et les anarchistes (1910)
  • Est-ce cela que vous appelez « vivre ? » (1910)
  • Se sentir vivre (1910)
  • Mon point de vue de « l’anarchisme individualiste » (1911)
  • Petit manuel anarchiste individualiste (1911)
  • La Vie comme expérience (1916)
  • Les besoins factices, les stimulants et les individualistes (1917)
  • Le plus grand danger de l’après-guerre (1917)
  • Lettre ouverte aux travailleurs des champs (1919)
  • L’illégalisme anarchiste. Le mécanisme judiciaire et le point de vue individualiste. (1923)
  • L’illégaliste anarchiste est-il notre camarade ? (1923)
  • L’Initiation individualiste anarchiste (1923)
  • Entretien sur la liberté de l’amour (1924)
  • L’ABC de « nos » revendications individualistes anarchistes (1924)
  • Liberté sexuelle (1925)
  • Amour libre et liberté sexuelle (1925)
  • Le stirnerisme (1934)
  • La révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse (1934)

Bibliographie[edit]

  • Emile Armand, "sa vie, sa pensée, son oeuvre", recueil de textes et témoignages, édité par souscription sur l'initiative d'un groupe d'amis d'E. Armand, La Ruche Ouvrière, Paris, 1964. 496 p.
  • Ingrid Escarbotte, E. Armand (1872-1962). Tentative de portrait d’un anarchiste individualiste, DEA, Université de Versailles St Quentin en Yvelines, sous la direction de J.Y. Mollier et D. Cooper-Richet, 2000.
  • Pierre-Luc Soulé-Noulibos, L'anarchisme chrétien selon E. Armand, Étude sur la pensée christiano-libertaire d'un auteur anarchiste à travers son périodique : L’Ère nouvelle, Mémoire de Master sous la direction de R. Heyer, Univ. Strasbourg, 2015, 106 p.
  • Michel Tarou, E. Armand, un individualiste anarchiste vu à travers l'une de ses Å“uvres, L'En-dehors, Maîtrise sous la direction de J. Droz, J.Maitron, Univ. Paris 1, 1971. 91 p.

Liens externes[edit]

Armand, Émile Armand, Émile Armand, Émile

Notes et références[edit]

  1. Arrêté le 6 octobre 1917, il est condamné le 5 janvier 1918 à cinq autres années de prison pour complicité de désertion (il est libéré en avril 1922).
  2. L'En Dehors est le nom de la revue anarchiste de Zo d'Axa (de son vrai nom : Alphonse Gallaud de la Pérouse), qui rassemblera, à partir de 1891, Octave Mirbeau, Bernard Lazare, Victor Barrucand, Félix Fénéon, Georges Darien...Bi-mensuel à partir de 1922 jusqu'à son interruption en octobre 1939, 335 numéros ont été publiés par Emile Armand. Son sous-titre était : "Organe de pratique, de réalisation, de camaraderie individualiste anarchiste". Emile Armand en fut le rédacteur-administrateur et la cheville ouvrière.
  3. Armand fonde plusieurs journaux où il expose ses théories individualistes et pacifistes : Hors du troupeau (1911), Les Réfractaires (1912), L'En dehors et L'Unique (1945).



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