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« Les inférieurs de tous types exercent leur capacité d'une réflexion personnelle critique tous les jours — c'est pourquoi les maîtres sont déçus, frustrés et parfois renversés. Mais à moins que les maîtres ne soient renversés, à moins que les inférieurs ne s'impliquent dans l'activisme politique, aucune quantité de réflexion critique ne mettra fin à leur assujettissement et ne leur apportera la liberté. »<ref>[[Carole Pateman]], ''The Sexual Contract'' (Le contrat social), p. 205</ref>
 
« Les inférieurs de tous types exercent leur capacité d'une réflexion personnelle critique tous les jours — c'est pourquoi les maîtres sont déçus, frustrés et parfois renversés. Mais à moins que les maîtres ne soient renversés, à moins que les inférieurs ne s'impliquent dans l'activisme politique, aucune quantité de réflexion critique ne mettra fin à leur assujettissement et ne leur apportera la liberté. »<ref>[[Carole Pateman]], ''The Sexual Contract'' (Le contrat social), p. 205</ref>
  
Les anarchistes ont pour but d'encourager ces tendances de la vie de tous les jours de rejeter, de résister et de contrecarrer l'autorité et de les amener à leur conclusion logique : une société d'individus libres, coopérant en égaux en associations libres et [[autogestion|autogérées]]. Sans ce processus de réflexion personnelle critique, de résistance et d'auto-libération, une société libre est impossible. Par conséquent, l'anarchisme vient, pour les anarchistes, de la résistance naturelle des peuples soumis à s'efforcer d'agir en individus libres au sein d'un monde hiérarchique. Ce processus de résistance est appelé « '''[[lutte des classes]]''' » par beaucoup d'anarchistes (puisque c'est souvent la classe ouvrière qui est la plus soumise dans la société) ou, plus généralement, « '''[[lutte sociale]]'''. » C'est la résistance ordinaire à l'autorité (sous toutes ses formes) et le désir de liberté qui sont les clefs de la [[révolution]] anarchiste. C'est pour ces raisons que « les anarchistes insistent constamment que la guerre des classes est le seul moyen pour les ouvriers [et les autres groupes opprimés] d'obtenir le contrôle de leur destin. »<ref>[[Marie-Louise Berneri]], ''Neither East Nor West'' (Ni à l'Est ni à l'Ouest), p. 32</ref>
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Les anarchistes ont pour but d'encourager ces tendances de la vie de tous les jours de rejeter, de résister et de contrecarrer l'autorité et de les amener à leur conclusion logique : une société d'individus libres, coopérant en égaux en associations libres et [[autogestion|autogérées]]. Sans ce processus de réflexion personnelle critique, de résistance et d'auto-libération, une société libre est impossible. Par conséquent, l'anarchisme vient, pour les anarchistes, de la résistance naturelle des peuples soumis à s'efforcer d'agir en individus libres au sein d'un monde hiérarchique. Ce processus de résistance est appelé « '''[[lutte des classes]]''' » par beaucoup d'anarchistes (puisque c'est souvent la classe ouvrière qui est la plus soumise dans la société) ou, plus généralement, « '''[[lutte sociale]]'''. » C'est la résistance ordinaire à l'autorité (sous toutes ses formes) et le désir de liberté qui sont les clefs de la [[révolution]] anarchiste. C'est pour ces raisons que « les anarchistes insistent constamment que la guerre des classes est le seul moyen pour les ouvriers [et les autres groupes opprimés] d'obtenir le contrôle de leur destin. »<ref>[[Marie Louise Berneri]], ''Neither East Nor West'' (Ni à l'Est ni à l'Ouest), p. 32</ref>
  
 
La révolution espagnole est un processus, pas un événement, et chaque « action révolutionnaire spontanée » est habituellement le fruit d'un long et patient travail d'organisation et d'éducation par des individus  « utopistes. » Le processus de « créer un monde nouveau dans la coquille de l'ancien » (pour reprendre une expression de l'[[IWW]]), en construisant des institutions et des relations alternatives nouvelles, est la composante d'une longue tradition de militantisme et d'engagement révolutionnaire.
 
La révolution espagnole est un processus, pas un événement, et chaque « action révolutionnaire spontanée » est habituellement le fruit d'un long et patient travail d'organisation et d'éducation par des individus  « utopistes. » Le processus de « créer un monde nouveau dans la coquille de l'ancien » (pour reprendre une expression de l'[[IWW]]), en construisant des institutions et des relations alternatives nouvelles, est la composante d'une longue tradition de militantisme et d'engagement révolutionnaire.
  
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Comme Malatesta l'expliquait : « encourager les organisations populaires de tous types est la conséquence logique de nos idées de base, et devrait par conséquent être une part intégrale de notre programme [...] les anarchistes ne veulent pas émanciper les peuples ; nous voulons que les peuples s'émancipent eux-mêmes [...], nous voulons qu'une nouvelle façon de vivre émerge du corps du peuple et corresponde à l'état de leur développement et avance comme ils avancent. »<ref>Op. Cit., p. 90.</ref>
  
As Malatesta made clear, "to encourage popular organisations of all kinds is the logical consequence of our basic ideas, and should therefore be an integral part of our programme. . . anarchists do not want to emancipate the people; we want the people to emancipate themselves. . . , we want the new way of life to emerge from the body of the people and correspond to the state of their development and advance as they advance." [Op. Cit., p. 90]
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À moins qu'un processus d'auto-émancipation ait lieu, une société libre est impossible. Il n'y a que quand les individus sont eux-mêmes libres, autant matériellement (en abolissant l'État et le capitalisme) qu'intellectuellement (en se libérant eux-mêmes des attitudes de soumission envers l'autorité), qu'une société libre est possible. Nous ne devons pas oublier que le capitalisme et le pouvoir d'État, dans une large mesure, ont un pouvoir sur les esprits de celles et ceux qui y sont soumis (renforcé, bien sûr, par la force physique si la domination faiblit ou que le peuple commence à se rebeller et à résister). Dans les faits, cela se présente comme le pouvoir spirituel des idées de la classe au pouvoir qui domine la société et imprègne les esprits des opprimés. Aussi longtemps que cela dure, les travailleuses et travailleurs se plieront à l'autorité, à l'oppression et à l'exploitation comme étant des conditions normales de vie. Les esprits soumis aux doctrines et aux positions de leurs maîtres ne peuvent espérer se libérer, se révolter et se battre. Ainsi, les opprimés doivent d'abord surpasser la domination mentale du système existant avant de mettre fin au joug (et, disent les anarchistes, l'action directe est le moyen de réaliser ces deux étapes, voir les [[sections FAQAnar:J.2 - Qu'est-ce que l'action directe ?|J.2]] et [[FAQAnar:J.4 - Quelles tendances dans la société aident l'activité anarchistes ?|J.4]]). Le capitalisme et l'étatisme doivent être écraser mentalement et théoriquement avant d'être écraser matériellement (beaucoup d'anarchistes appellent cette libération mentale « '''conscience de classe''' », voir la [[section FaqAnar:B.7.3 - Qu'est-ce que les anarchistes entendent par "conscience de classe" ?|B.7.3]]). Et l'auto-libération grâce à la lutte contre l'oppression est le seul moyen d'y parvenir. Les anarchistes encouragent donc (pour reprendre le terme de [[Kropotkine]]) « '''''l'esprit de révolte.''''' »
  
Unless a process of self-emancipation occurs, a free society is impossible. Only when individuals free themselves, both materially (by abolishing the state and capitalism) and intellectually (by freeing themselves of submissive attitudes towards authority), can a free society be possible. We should not forget that capitalist and state power, to a great extent, is power over the minds of those subject to them (backed up, of course, with sizeable force if the mental domination fails and people start rebelling and resisting). In effect, a spiritual power as the ideas of the ruling class dominate society and permeate the minds of the oppressed. As long as this holds, the working class will acquiesce to authority, oppression and exploitation as the normal condition of life. Minds submissive to the doctrines and positions of their masters cannot hope to win freedom, to revolt and fight. Thus the oppressed must overcome the mental domination of the existing system before they can throw off its yoke (and, anarchists argue, direct action is the means of doing both -- see sections J.2 and J.4). Capitalism and statism must be beaten spiritually and theoretically before it is beaten materially (many anarchists call this mental liberation "class consciousness" -- see section B.7.4). And self-liberation through struggle against oppression is the only way this can be done. Thus anarchists encourage (to use Kropotkin's term) "the spirit of revolt."
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L'auto-libération est le produit de la lutte, de l'auto-organisation, de la [[solidarité]] et de l'action directe. Celle-ci est le moyen de créer des anarchistes, des femmes et hommes libres, et ainsi « les anarchistes ont toujours conseillé de prendre part à ces organisations de travailleurs qui stimule l'action directe de Prolétariat contre le Capital et son protecteur, l'État. » C'est parce qu'« une telle lutte [...], bien mieux qu'un moyen indirect, permet aux travailleurs [et aux travailleuses] d'obtenir des améliorations temporaires dans leurs conditions de travail quotidiennes, tandis qu'elle leur ouvre les yeux sur le mal qui est fait par le Capitalisme et l'État qui le soutient, et réveille leur conscience à propos des possibilités d'organiser la consommation, la production et l'échange sans l'intervention du capitalisme et de l'État », c'est-à-dire de voir la possibilité d'une société libre. Kropotkine, comme beaucoup d'anarchistes, indiquait le [[syndicalisme]] et les mouvements syndicalistes  comme le moyen de développer les idées libertaires au sein de la société existante (bien qu'il ne limitait pas, comme la plupart des anarchistes, l'activité anarchiste au seul syndicalisme). En réalité, chaque mouvement qui « permet aux travailleurs [et aux travailleuses] de de mettre en pratique leur solidarité et de faire vivre la communauté de leurs intérêts [...] et prépare le terrain pour ces conceptions » de l'[[anarcho-communisme]], c'est-à-dire de détruire la domination spirituelle de la société existante dans les esprits des opprimés. <ref>[[Pierre Kropotkine]], ''Evolution and Environnement'' (L'évolution et l'environnement''), p. 83 et 85.</ref>
  
Self-liberation is a product of struggle, of self-organisation, solidarity and direct action. Direct action is the means of creating anarchists, free people, and so "Anarchists have always advised taking an active part in those workers' organisations which carry on the direct struggle of Labour against Capital and its protector, -- the State." This is because "[s]uch a struggle . . . better than any indirect means, permits the worker to obtain some temporary improvements in the present conditions of work, while it opens his [or her] eyes to the evil that is done by Capitalism and the State that supports it, and wakes up his [or her] thoughts concerning the possibility of organising consumption, production and exchange without the intervention of the capitalist and the state," that is, see the possibility of a free society. Kropotkin, like many anarchists, pointed to the Syndicalist and Trade Union movements as a means of developing libertarian ideas within existing society (although he, like most anarchists, did not limit anarchist activity exclusively to them). Indeed, any movement which "permit[s] the working men [and women] to realise their solidarity and to feel the community of their interests . . . prepare[s] the way for these conceptions" of communist-anarchism, i.e. the overcoming the spiritual domination of existing society within the minds of the oppressed. [Evolution and Environment, p. 83 and p. 85]
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Pour les anarchistes, d'après les mots d'un militant anarchiste écossais, « l'histoire de progrès humain est vu comme l'histoire de la révolte et de la désobéissance, avec l'individu appauvri par la subversion à l'autorité sous toutes ses formes et capable de garder sa dignité seulement dans la révolte et la désobéissance. »<ref>[[Robert Lynn]], ''Not a Life Story, Just a Leaf from It'' (''Pas l'histoire d'une vie, juste une de ses pages''), p. 77.</ref> C'est pourquoi les anarchistes mettent l'accent sur l'auto-libération ( et l'auto-organisation, l'[[autogestion]] et l'auto-activité). Ce n'est par conséquent guère étonnant que Bakounine considérait la révolte comme un des « Trois éléments ou, si vous voulez, trois principes fondamentaux [qui] constituent les conditions essentielles de tout développement humain, tant collectif qu’individuel dans l’histoire : 1° l’animalité humaine ; 2° la pensée ; et 3° la révolte. »<ref>[[Michel Bakounine]], ''[[Dieu et l'Etat|Dieu et l'État]]'', p. 12.</ref> Tout simplement parce que les individus ou les groupes ne peuvent être libérés par d'autres, que par eux-mêmes. Une telle révolte (auto-libération) est le seul moyen grâce auquel la société existante puisse devenir aussi libertaire et anarchiste que possible.
  
For anarchists, in the words of a Scottish Anarchist militant, the "history of human progress [is] seen as the history of rebellion and disobedience, with the individual debased by subservience to authority in its many forms and able to retain his/her dignity only through rebellion and disobedience." [Robert Lynn, Not a Life Story, Just a Leaf from It, p. 77] This is why anarchists stress self-liberation (and self-organisation, self-management and self-activity). Little wonder Bakunin considered "rebellion" as one of the "three fundamental principles [which] constitute the essential conditions of all human development, collective or individual, in history." [God and the State, p. 12] This is simply because individuals and groups cannot be freed by others, only by themselves. Such rebellion (self-liberation) is the only means by which existing society becomes more libertarian and an anarchist society a possibility.
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==Notes et références==
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Revision as of 21:52, 14 March 2010

Catégorie:Que représente l'Anarchisme?

FAQ anarchiste
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« L'anarchie c'est l'ordre moins le pouvoir »
A - Qu'est-ce que l'anarchisme ?

Introduction

A.1 - Qu'est ce que l'Anarchisme ?


A.1.1 - Qu'est-ce que "Anarchie" signifie ?
A.1.2 - Qu'est-ce que "Anarchisme" signifie ?
A.1.3 - Pourquoi l'Anarchisme est appelé aussi socialisme libertaire ?
A.1.4 - Les Anarchistes sont-ils socialistes ?
A.1.5 - D'où vient l'anarchisme ?


A.2 - Que représente l'Anarchisme?


A.2.1 - Quelle est l'essence de l'anarchisme ?
A.2.2 - Pourquoi les anarchistes prônent-ils la liberté ?
A.2.3 - Les Anarchistes sont-ils en faveur de l'organisation ?
A.2.4 - Les Anarchistes sont-ils en faveur de la liberté "absolue" ?
A.2.5 - Pourquoi les anarchistes sont-ils en faveur de l'égalité ?
A.2.6 - Pourquoi la solidarité est importante pour les anarchistes ?
A.2.7 - Pourquoi les anarchistes plaident-ils pour l'émancipation individuelle ?
A.2.8 - Est-il possible d'être un anarchiste sans s'opposer à la hiérarchie ?
A.2.9 - Quelle sorte de société les anarchistes veulent-ils ?
A.2.10 - Qu'est-ce que la suppression de la hiérarchie signifiera et amènera ?
A.2.11 - Pourquoi la plupart des anarchistes soutiennent-ils la démocratie directe ?
A.2.12 - Le consensus est-il une alternative pour s'organiser en démocratie ?
A.2.13 - Les anarchistes sont-ils des individualistes ou des collectivistes ?
A.2.14 - Pourquoi le volontarisme n'est pas suffisant ?
A.2.15 - Que dites-vous de la nature humaine ?
A.2.16 - L'anarchisme exige-t-il des personnes "parfaites" pour qu'une société anarchiste puisse exister ?
A.2.17 - Est-ce que la plupart des gens ne sont pas trop stupides pour qu'une société libre puisse exister ?
A.2.18 - Est-ce que les anarchistes supportent le terrorisme ?
A.2.19 - Quelles vues éthiques les anarchistes tiennent-ils ?
A.2.20 - Pourquoi la plupart des anarchistes sont athées ?


A.3 - Quelles sortes d'anarchisme existe-t-il ?


A.3.1 - Quelles sont les différences entre les individualistes et les socialistes anarchistes ?
A.3.2 - Y-a-t-il des différents types d'anarchisme socialiste ?
A.3.3 - Quels sortes d'écologisme anarchiste y a t il ?
A.3.4 - Est-ce que l'anarchisme est pacifiste ?
A.3.5 - Qu'est-ce que l'anarcha-feminisme ?
A.3.6 - Quelle est la culture Anarchiste ?
A.3.7 - Existe-t-il des anarchistes religieux ?
A.3.8 - Qu'est-ce que "anarchisme sans adjectif" ?
A.3.9 - Qu'est ce que l'anarcho-primitivisme ?


A.4 - Qui sont les penseurs reconnus dans l'anarchisme ?


A.5 - Quels sont des exemples "d'anarchie en action" ?


A.5.1 - La commune de Paris
A.5.2 - Les martyrs de Haymarket
A.5.3 - La création des unions syndicales
A.5.4 - Les anarchistes dans la Révolution russe
A.5.5 - Les anarchistes dans les occupations d'usines en Italie
A.5.6 - L'anarchisme et la révolution en Espagne
A.5.7 - Révolte en France en Mai/Juin 1968

Sommaire complet et détaillé


La liberté, de par sa nature, ne peut être donnée. Un individu ne peut être libéré par un autre, mais doit rompre ses chaînes grâce à sa propre action. Bine sûr, l'effort individuel peut faire partie d'une action collective, et doit l'être dans de nombreux cas pour arriver à ses fins. Comme le montre Emma Goldman :

« L'Histoire nous montre que chaque classe [ou groupe ou individu] opprimée obtient la vraie libération de ses maîtres grâce à ses propres efforts. »[1]

Cela est dû au fait que les anarchistes reconnaissent que les systèmes hiérarchiques, comme toutes les autres formes de liens sociaux, modèlent ceux qui y sont soumis. Comme Murray Bookchin le disait : « les sociétés de classe organisent nos structures psychiques au commandement et à l'obéissance. » Cela veut dire que les gens intériorisent ces valeurs de sociétés hiérarchiques et de classe et, « l'État n'est pas simplement une constellation d'institutions bureaucratiques et coercitives. C'est aussi un état d'esprit, une mentalité inculquée pour ordonner la réalité. [...] Ses capacités de direction par la force brute ont toujours été limitées. [...] Sans un haut degré de coopération entre les classes les plus persécutées de la société comme les esclaves et les serfs, son autorité ne disparaîtra pas. La crainte et l'apathie face au pouvoir de l'État sont produites par le conditionnement social qui rend ce pouvoir possible. »[2] L'auto-libération est le moyen par lequel nous pouvons briser à la fois nos chaînes internes et externes, c'est-à-dire en nous libérant mentalement et physiquement.

Les anarchistes se disputent depuis longtemps sur le fait que les gens ne peuvent se libérer qu'eux-mêmes. Les anarchistes suggèrent des méthodes diverses et variées pour aider ce processus de libération qui sont exposées dans la section J (Que font les anarchistes ?) et ne seront donc pas développées ici. Toutefois, toutes ces méthodes impliquent une organisation et concertation des individus entre eux, l'établissement de leurs propres programmes de lutte et des moyens d'action qui renforcent leurs pouvoirs et éliminent leur dépendance vis-à-vis des leaders. L'anarchisme repose sur le peuple qui « agit par lui-même » (en utilisant ce que les anarchistes appellent l'action directe, voir la section J.2 pour plus de détails).

L'action directe, pour ceux qui la pratiquent, a un pouvoir libérateur et dynamisant. L'auto-activité est le moyen grâce auquel ceux soumis à l'autorité peuvent développer leur créativité, leur initiative, leur imagination et leur sens critique. C'est le moyen de changer la société. Comme le montre Errico Malatesta :

« Il y a une action réciproque entre l'homme et son environnement social. Les hommes font de la société ce qu'elle est et la société fait des hommes ce qu'ils sont, et le résultat est une sorte de cercle vicieux. Pour transformer la société, les hommes doivent changer, et pour transformer les hommes, la société doit changer [...] Heureusement, la société actuelle n'a pas été créée par le désir inspiré d'une classe dirigeante qui a réussi à réduire tous ses sujets à l'état d'instruments inconscients et passifs. Elle est plutôt le résultat de plusieurs milliers de luttes fratricides et d'un millier de facteurs humains et naturels [...]

« D'où la possibilité de progrès [...] Nous devons profiter de tous les moyens, de toutes les possibilités et de toutes les occasions que notre environnement actuel nous donne pour agir sur nos camarades et développer leur conscience et leurs exigences [...] pour revendiquer et imposer ces transformations sociales majeures qui sont réalisables et qui servent efficacement à ouvrir la voie à de nouvelles avancées [...] Nous devons chercher à rassembler tout le peuple [...] pour soumettre des exigences et pour qu'il s'impose et reçoive tous les progrès et libertés qu'il désire quand il les désire, et le pouvoir de les réclamer [...] nous devons pousser le peuple à toujours vouloir plus et à renforcer sa pression [sur les classes dirigeantes], jusqu'à ce qu'il obtienne son entière émancipation. »[3]

La société, en façonnant tous les individus qui la composent, est, par la même occasion, créée par eux à travers leurs actions, leurs pensées et leurs idéaux. Défier les institutions qui limitent notre liberté est mentalement libérateur puisque cela correspond à déclencher le processus de critique des relations autoritaires en général. Ce processus nous donne un aperçu du fonctionnement de la société, de l'évolution de nos idées et de la création de nouveaux idéaux. Pour citer Emma Goldman encore une fois : « La vraie émancipation commence [...] dans l'âme des femmes. » Et aussi dans celle des hommes, devrions-nous ajouter. C'est seulement ici que nous pouvons « commencer [notre] régénération intérieure, diminuant le poids des préjugés, des traditions et des coutumes. »[4] Mais ce processus doit être auto-dirigé pour que, comme le note Max Stirner, « l'homme qui est libéré ne soit rien d'autre qu'un homme libre [...] un chien traînant un morceau de sa chaîne avec lui. »[5] En changeant le monde, même très superficiellement, nous nous changeons nous-mêmes.

Lors d'un entretien pendant la Révolution espagnole, le militant espagnol anarchiste Buenaventura Durruti dit : « Nous avons un monde nouveau dans nos cÅ“urs. » Seule l'auto-activité et l'auto-libération nous permettent de créer une telle vision et nous donnent la confiance pour essayer de l'actualiser au sein du monde le monde réel.

Toutefois, les anarchistes ne pensent pas que l'auto-libération doive attendre la « révolution glorieuse » pour être proclamée. Comment nous agissons ici et maintenant influencera la futur de notre société et de nos vies. Ainsi, même dans les sociétés pré-anarchistes, comme la nôtre actuellement, les anarchistes essayent de créer, comme le dit Bakounine, « non seulement les idées mais aussi les faits du futur lui-même. » Nous pouvons le faire en créant des relations sociales et des organisations alternatives, en agissant en hommes et femmes libres dans une société non-libre. De plus, ce processus d'auto-libération continue tout le temps :

« Les inférieurs de tous types exercent leur capacité d'une réflexion personnelle critique tous les jours — c'est pourquoi les maîtres sont déçus, frustrés et parfois renversés. Mais à moins que les maîtres ne soient renversés, à moins que les inférieurs ne s'impliquent dans l'activisme politique, aucune quantité de réflexion critique ne mettra fin à leur assujettissement et ne leur apportera la liberté. »[6]

Les anarchistes ont pour but d'encourager ces tendances de la vie de tous les jours de rejeter, de résister et de contrecarrer l'autorité et de les amener à leur conclusion logique : une société d'individus libres, coopérant en égaux en associations libres et autogérées. Sans ce processus de réflexion personnelle critique, de résistance et d'auto-libération, une société libre est impossible. Par conséquent, l'anarchisme vient, pour les anarchistes, de la résistance naturelle des peuples soumis à s'efforcer d'agir en individus libres au sein d'un monde hiérarchique. Ce processus de résistance est appelé « lutte des classes » par beaucoup d'anarchistes (puisque c'est souvent la classe ouvrière qui est la plus soumise dans la société) ou, plus généralement, « lutte sociale. » C'est la résistance ordinaire à l'autorité (sous toutes ses formes) et le désir de liberté qui sont les clefs de la révolution anarchiste. C'est pour ces raisons que « les anarchistes insistent constamment que la guerre des classes est le seul moyen pour les ouvriers [et les autres groupes opprimés] d'obtenir le contrôle de leur destin. »[7]

La révolution espagnole est un processus, pas un événement, et chaque « action révolutionnaire spontanée » est habituellement le fruit d'un long et patient travail d'organisation et d'éducation par des individus « utopistes. » Le processus de « créer un monde nouveau dans la coquille de l'ancien » (pour reprendre une expression de l'IWW), en construisant des institutions et des relations alternatives nouvelles, est la composante d'une longue tradition de militantisme et d'engagement révolutionnaire.

Comme Malatesta l'expliquait : « encourager les organisations populaires de tous types est la conséquence logique de nos idées de base, et devrait par conséquent être une part intégrale de notre programme [...] les anarchistes ne veulent pas émanciper les peuples ; nous voulons que les peuples s'émancipent eux-mêmes [...], nous voulons qu'une nouvelle façon de vivre émerge du corps du peuple et corresponde à l'état de leur développement et avance comme ils avancent. »[8]

À moins qu'un processus d'auto-émancipation ait lieu, une société libre est impossible. Il n'y a que quand les individus sont eux-mêmes libres, autant matériellement (en abolissant l'État et le capitalisme) qu'intellectuellement (en se libérant eux-mêmes des attitudes de soumission envers l'autorité), qu'une société libre est possible. Nous ne devons pas oublier que le capitalisme et le pouvoir d'État, dans une large mesure, ont un pouvoir sur les esprits de celles et ceux qui y sont soumis (renforcé, bien sûr, par la force physique si la domination faiblit ou que le peuple commence à se rebeller et à résister). Dans les faits, cela se présente comme le pouvoir spirituel des idées de la classe au pouvoir qui domine la société et imprègne les esprits des opprimés. Aussi longtemps que cela dure, les travailleuses et travailleurs se plieront à l'autorité, à l'oppression et à l'exploitation comme étant des conditions normales de vie. Les esprits soumis aux doctrines et aux positions de leurs maîtres ne peuvent espérer se libérer, se révolter et se battre. Ainsi, les opprimés doivent d'abord surpasser la domination mentale du système existant avant de mettre fin au joug (et, disent les anarchistes, l'action directe est le moyen de réaliser ces deux étapes, voir les J.2 et J.4). Le capitalisme et l'étatisme doivent être écraser mentalement et théoriquement avant d'être écraser matériellement (beaucoup d'anarchistes appellent cette libération mentale « conscience de classe », voir la B.7.3). Et l'auto-libération grâce à la lutte contre l'oppression est le seul moyen d'y parvenir. Les anarchistes encouragent donc (pour reprendre le terme de Kropotkine) « l'esprit de révolte. »

L'auto-libération est le produit de la lutte, de l'auto-organisation, de la solidarité et de l'action directe. Celle-ci est le moyen de créer des anarchistes, des femmes et hommes libres, et ainsi « les anarchistes ont toujours conseillé de prendre part à ces organisations de travailleurs qui stimule l'action directe de Prolétariat contre le Capital et son protecteur, l'État. » C'est parce qu'« une telle lutte [...], bien mieux qu'un moyen indirect, permet aux travailleurs [et aux travailleuses] d'obtenir des améliorations temporaires dans leurs conditions de travail quotidiennes, tandis qu'elle leur ouvre les yeux sur le mal qui est fait par le Capitalisme et l'État qui le soutient, et réveille leur conscience à propos des possibilités d'organiser la consommation, la production et l'échange sans l'intervention du capitalisme et de l'État », c'est-à-dire de voir la possibilité d'une société libre. Kropotkine, comme beaucoup d'anarchistes, indiquait le syndicalisme et les mouvements syndicalistes comme le moyen de développer les idées libertaires au sein de la société existante (bien qu'il ne limitait pas, comme la plupart des anarchistes, l'activité anarchiste au seul syndicalisme). En réalité, chaque mouvement qui « permet aux travailleurs [et aux travailleuses] de de mettre en pratique leur solidarité et de faire vivre la communauté de leurs intérêts [...] et prépare le terrain pour ces conceptions » de l'anarcho-communisme, c'est-à-dire de détruire la domination spirituelle de la société existante dans les esprits des opprimés. [9]

Pour les anarchistes, d'après les mots d'un militant anarchiste écossais, « l'histoire de progrès humain est vu comme l'histoire de la révolte et de la désobéissance, avec l'individu appauvri par la subversion à l'autorité sous toutes ses formes et capable de garder sa dignité seulement dans la révolte et la désobéissance. »[10] C'est pourquoi les anarchistes mettent l'accent sur l'auto-libération ( et l'auto-organisation, l'autogestion et l'auto-activité). Ce n'est par conséquent guère étonnant que Bakounine considérait la révolte comme un des « Trois éléments ou, si vous voulez, trois principes fondamentaux [qui] constituent les conditions essentielles de tout développement humain, tant collectif qu’individuel dans l’histoire : 1° l’animalité humaine ; 2° la pensée ; et 3° la révolte. »[11] Tout simplement parce que les individus ou les groupes ne peuvent être libérés par d'autres, que par eux-mêmes. Une telle révolte (auto-libération) est le seul moyen grâce auquel la société existante puisse devenir aussi libertaire et anarchiste que possible.

Notes et références

  1. Emma Goldman, Red Emma Speaks (Emma la rouge parle), p. 167.
  2. Murray Bookchin, The Ecology and Freedom (L'écologie et la liberté), p. 159 et pp. 164-165.
  3. Errico Malatesta, His Life and Idea (Sa vie et ses idées), pp. 188-189.
  4. Emma Goldman, Op. Cit., p. 168.
  5. Max Stirner, The Ego and Its Own, p. 168.
  6. Carole Pateman, The Sexual Contract (Le contrat social), p. 205
  7. Marie Louise Berneri, Neither East Nor West (Ni à l'Est ni à l'Ouest), p. 32
  8. Op. Cit., p. 90.
  9. Pierre Kropotkine, Evolution and Environnement (L'évolution et l'environnement), p. 83 et 85.
  10. Robert Lynn, Not a Life Story, Just a Leaf from It (Pas l'histoire d'une vie, juste une de ses pages), p. 77.
  11. Michel Bakounine, Dieu et l'État, p. 12.